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Lectures anxiogènes

Publié le 30 mai 2008 par Magda

Merci Rembrandt!

Vous êtes une femme? Sortez de chez vous en jupe. Si un homme vous fait une remarque (hé mademoiselle t’es charmante, salope!) vous êtes furieuse mais rassurée : votre charme est bel et bien vaillant. Si personne ne vous drague/aborde/agresse (cochez), vous êtes tranquille mais furieuse. Vous passez devant la vitrine d’une pharmacie : un corps féminin, nu et photoshopé s’étale en grand, plus oblongue que mince à vrai dire, sans tête - un bout de cuisse ultra-lisse, couleur poulet rôti, ou une fesse plus ronde et orange qu’un ballon en mousse. Vite, il faut maigrir, pour se faire à nouveau draguer/aborder/agresser (cochez). Première lecture anxiogène.

Vous prenez le métro pour aller travailler et vous arrêtez devant le kiosque à journaux. Joli mois de mai! Tous les magazines clament haut et fort qu’il faut “perdre du poids en trois semaines” et avoir “le ventre plus plat, la peau plus ferme, les cuisses plus toniques”. Etrange phénomène de notre temps : réduire l’être, son corps, son âme et son esprit, à des membres épilés et musclés. Deuxième lecture anxiogène.

Femme de goût toutefois, et de culture, vous avez envie d’une lecture distrayante avant d’aller vous abrutir des heures au bureau et c’est bien naturel. Vous évitez donc toute couverture vantant les mérites d’un énième régime issu du cerveau d’un charlatan médecin mafieux albanais américain et vous rabattez sur un magazine parlant mode, cinéma et bouquins. Jalouse, pour ne citer personne. Jalouse ne vous demande jamais de maigrir et c’est agréable. Vous parcourez quelques pages. La jupe Isabel Marant à 450 euros, le sac Chloé à 3000 euros, le foulard frangé Balenciaga à 600 euros. Vous en avez très envie. Seulement, vous gagnez 1500 euros par mois et vous vivez à Paris avec un loyer de 700 euros par mois. Vous n’avez pas besoin d’une calculette pour vous rendre compte que l’équation est mortelle. Pourtant, vous savez que sans le sac Chloé, sans la jupe Isabel Marant, vous ne pourrez pas toiser le reste de l’humanité par l’excellence de votre style.  Avec vos oripeaux de chez H & Merde, vous restez au bas de l’échelle et le magazine féminin vous l’assène tous les mois : ce qu’il faut faire pour être branchée, quelle star est ringarde et laquelle ne l’est pas, les “do” et les “don’t”. En témoignent ces affreux clichés pris dans la rue qui décortiquent le style qu’il faut avoir et les “fashion faux-pas” commis par de malheureuses nulles en mode. Regardez, elle a mis un pull turquoise avec des bottines grises, la ploucasse! Troisième lecture anxiogène.

Et que lisent vos malheureux voisins, entassés les uns sur les autres dans la rame de métro? Regardez par-dessus leur épaule (tout le monde le fait, allez-y franchement, vous pourrez même entamer une discussion avec le pauvre lecteur stressé). “L’immobilier grimpe encore”, “La France est morose”, “Sarkozy : encore quatre ans!” Quatrième lecture anxiogène.

Je comprends maintenant pourquoi mon meilleur ami ne lit que des auteurs morts. Parfois, j’ai envie d’un autodafé à l’ancienne dans lequel nous brûlerions tous ces papiers qui nous encouragent à consommer, à paraître pour ne jamais être, à acheter pour ne plus penser, à stresser pour ne plus nous révolter. Mais ne vaut-il mieux pas utiliser les armes de l’ennemi? Drôle de mai 2008. Non?


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