Deux pays ont récemment misé sur l’hydrogène : la France et l’Allemagne. Un rapport de force économique se dessine entre ces deux puissances afin de devenir leader dans ce nouveau segment énergétique. Dans une économie mondiale où le pétrole est toujours plus utilisé, sa disparition, dans les années à venir, risque de bouleverser totalement nos habitudes de consommation. Il n’y a pas un seul secteur d’activité qui ne soit pas directement ou indirectement dépendant du pétrole. Les gouvernements prenant à peine conscience de cet enjeu ont commencé à se tourner vers de nouvelles sources d’énergie dite « verte ». Mais plusieurs problèmes apparaissent : premièrement, la fabrication de ces nouvelles technologies est très polluante (batteries, panneaux photovoltaïques, etc.). Deuxièmement, le stockage de l’énergie est très compliqué et la durée de vie de certains composants essentiels au fonctionnement de ces nouvelles sources d’énergie n’est pas pérenne. Une possible solution à ce problème serait l’hydrogène.
La fabrication de l’hydrogène : une histoire de couleur
L’hydrogène est rarement sous sa forme utile, c’est-à-dire le H2, qui est la molécule qui nous intéresse ici, il est donc nécessaire de la créer. Plusieurs méthodes de fabrication sont possibles pour créer de l’hydrogène. L’hydrogène « gris » est tiré du vaporeformage (production de gaz de synthèse) de combustibles fossiles (pétrole, charbon ou gaz). L’hydrogène « bleu » utilise le même procédé que la méthode « grise », mais avec un stockage ou une revalorisation du CO2 dégagé par les combustibles fossiles. Quant à l’hydrogène « vert », il est produit à partir d’énergies renouvelables comme des éoliennes ou des panneaux solaires. L’énergie récupérée est transformée par un processus d’électrolyse (échange au cours duquel l’énergie électrique est transformée en énergie chimique). Avec cette technique, il n’y a aucun rejet de CO2. Actuellement, 95% de la production mondiale d’hydrogène est grise. Cela correspond à environ 0.86 Gt/an soit l’empreinte carbone de la Corée du Sud et l’Espagne réunies.
L’évolution de l’énergie en France et en Allemagne
La France, depuis un an, cherche à dynamiser le secteur des énergies au sein de l’Europe, pour contrer le monopole chinois, notamment sur le plan du stockage de l’énergie. En effet, elle est à l’origine de BATTERY 2030+ qui depuis mars 2019 regroupe plusieurs entreprises et universités européennes afin de développer les batteries du futur. C’est Nicolas Hulot, le 1er juin 2018, qui a émis le premier plan hydrogène. Il avait déjà saisi le caractère vital de l’énergie au sein de nos sociétés, avec une vision très juste du secteur énergétique mondial : « Je veux donner à la France les moyens de conserver son avance au cœur d’une compétition mondiale déjà féroce, car elle constitue un atout pour notre indépendance énergétique ». Il annonce dans son plan, le déblocage de 100 millions d’euros pour le déploiement de l’hydrogène « vert » dans l’industrie, la mobilité et l’énergie.
L’Allemagne quant à elle, a abandonné le nucléaire en mars 2011 à la suite de la catastrophe de Fukushima. Elle souhaite également se séparer des centrales à charbon d’ici 2038. Ces décisions l’ont poussé à développer grandement les énergies renouvelables au sein de son pays. C’est dans cette optique que le 10 juin 2020, l’Allemagne a annoncé la levée de 9 milliards d’euros pour développer l’hydrogène « vert ». L’objectif est très clair, investir énormément pour acquérir de nouvelles technologies et ainsi devenir leader mondial dans ce créneau. Le gouvernement fédéral s’est fixé, d’ici 2030, une capacité de 5 gigawatts de production d’hydrogène.
Collaboration ou coopétition : Le rapport de force économique qui lance le début de la concurrence entre la France et l’Allemagne
Dès le 8 septembre 2020, la France répond à l’Allemagne à travers son plan de relance. Le gouvernement annonce le financement à hauteur de 7,2 milliards d’euros d’ici 2030, dont 2 milliards en 2021 et 2022. Le but est de permettre aux entreprises de passer de l’hydrogène « gris » à l’hydrogène « vert ». Ce financement soudain, est la résultante d’un comportement passif de l’État français. En effet, le gouvernement n’a pas su investir dès 2018 de grosses sommes, ce qui aurait permis de prendre la tête de cette course à l’hydrogène « vert ». L’investissement de l’Allemagne a réveillé l’État français sur cette question.
L’ensemble des décisions prises par la France et par l’Allemagne font écho aux choix environnementaux de l’Europe à travers plusieurs traités, comme les Accords de Paris ou bien la taxonomie verte de l’Union européenne. Même si ces deux puissances font partie de la même union politico-économique et revendique une coopération franco-allemande cela ne veut pas dire que l’une des puissances laissera l’autre devenir leader dans ce domaine.
Une stratégie tournée vers coopérations entre pays
La stratégie de la France est articulée en trois axes :
- Décarboner l’industrie en faisant émerger une filière française de l’électrolyse. En effet la France souhaite augmenter le nombre d’électrolyseurs afin de réduire les coûts de la production d’hydrogène « vert » et ainsi le rendre plus compétitif face aux autres types d’hydrogène.
- Développer une mobilité lourde à l’hydrogène « vert ». Le but est de convertir les transports terrestres déjà présents comme les camions, les bus ou les trains à l’hydrogène et de mettre au point de nouvelles technologies afin de créer les véhicules maritimes, terrestres et aériens fonctionnant uniquement à l’hydrogène.
- Soutenir la recherche, l’innovation et le développement de compétences afin de favoriser les usages de demain. Cela permettra la création de nombreux emplois et donc de dynamiser le secteur des énergies.
La stratégie allemande a longtemps été source de discorde au sein gouvernement fédéral. Elle s’articule autour des points suivants :
- Faire des technologies de l’hydrogène des éléments essentiels du redressement énergétique afin de décarboniser les processus de production à l’aide des énergies renouvelables.
- Créer les conditions réglementaires pour la montée en puissance du marché des technologies de l’hydrogène
- Renforcer les entreprises allemandes et leur compétitivité en encourageant la recherche et le développement ainsi que l’exportation de technologies liées aux technologies innovantes de l’hydrogène
- Garantir et façonner le futur approvisionnement national en hydrogène sans CO2 et ses dérivés
La France comme l’Allemagne ne pourront pas entièrement compter sur l’hydrogène pour alimenter leur pays en énergie. Ils seront obligés de conserver une ou plusieurs autres sources d’énergie ou alors importer de l’énergie d’autre pays. C’est ce que l’Allemagne a commencé à faire, elle a déjà prospecté d’autres pays (européens et non européens) afin de signer des accords et ainsi ne s’assurer aucun manque d’énergie dans le futur. Cela n’est pas sans rappeler la ruée vers l’or noir qu’ont subie les pays du Moyen Orient. La France cherche aussi des partenaires, elle s’est énormément rapprochée du Japon afin d’échanger des technologies entre grands groupes industriels japonais et pôles de compétitivité français.
La France est-elle apte à remporter cette course ?
À l’heure actuelle, il est trop tôt pour affirmer la victoire de l’Allemagne dans cette course. Néanmoins, si nous adoptons un point de vue purement stratégique, l’Allemagne propose une vision à plus long terme. Différents ministères du gouvernement allemand se sont concertés afin de donner une feuille de route pour l’hydrogène dans le futur. Contrairement à la France qui ne met que le ministère de la Transition écologique et le ministère de l’Économie sur ce thème. Pour que ce projet fonctionne correctement, tous les ministères devraient être sur ce projet afin de mettre en place de manière efficace cette transition et ainsi le rendre viable. Le gouvernement ne doit pas hésiter à s’entourer d’autre pays afin de développer des technologies comme elle le fait avec le Japon.
Cependant, une question ressort. Peu importe le vainqueur européen de cette course, sera-t-il à la hauteur de la Chine et de son avance technologique sur l’hydrogène produit à partir de la vapeur de ses centrales nucléaires ?
Louis Gourvil
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