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Le Chili aux urnes pour enterrer (ou pas) la Constitution pinochetiste

Publié le 23 octobre 2020 par Anthony Quindroit @chilietcarnets

Ce dimanche 25 octobre 2020, le Chili est appelé à se prononcer sur un texte hérité de la dictature de Pinochet : la Constitution. Veulent-ils la changer ? La conserver ?
Ce scrutin arrive après des mois de révolte dans le pays. Une crise née en 2019 autour du prix du ticket de métro à Santiago et qui a vite vu les luttes converger. Parmi les exigences, la rédaction d’une nouvelle constitution était portée par de nombreuses voix.

Le Chili aux urnes pour enterrer (ou pas) la Constitution pinochetiste

Des manifestations monstres ont eu lieu au Chili en 2019 et ont poussé le gouvernement à organiser ce référendum (photo DR Wikipedia commons Carlos Figueroa « Protestas en Chile de 2019, Santiago, Chile »)

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Des manifestations monstres ont eu lieu au Chili en 2019 et ont poussé le gouvernement à organiser ce référendum (photo DR Wikipedia commons Carlos Figueroa « Protestas en Chile de 2019, Santiago, Chile »)


Un an plus tard – après un report pour cause de crise sanitaire mondiale liée au coronavirus – le texte fondamental, approuvé le 11 septembre 1980, vit peut-être ses derniers jours. Partisans du « Apruebo » (qui veulent un nouveau texte) et du « Rechazo » (qui souhaitent conserver la Constitution actuelle) ont rendez-vous aux urnes.

Politiste, professeur à l’Université du Chili, à l’institut des Affaires publiques et membre de l’Opalc, l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes – un observatoire politique spécialisé sur l’Amérique latine et les Caraïbes qui réunit un groupe d’enseignants, chercheurs et étudiants de Sciences Po et d’autres institutions partenaires – Antoine Maillet vit au Chili depuis 2008. Pour Chili et carnets, il fait le point sur la situation et sur les enjeux liés à ce scrutin.

Le Chili aux urnes pour enterrer (ou pas) la Constitution pinochetiste

Antoine Maillet, politiste, suit de près la situation au Chili où il réside depuis 2008. (Photo DR)

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Antoine Maillet, politiste, suit de près la situation au Chili où il réside depuis 2008. (Photo DR)

Tout d’abord, comment est venue cette opportunité de révision constitutionnelle ? Cela découle-t-il des vives tensions que connaît le pays depuis 2019 ?

Antoine Maillet : « C’est bien plus que des tensions. C’est l' »Estallido », l’explosion ! On peut même parler de révolte, un terme qui rend mieux compte de ce qu’a connu les pays pendant trois mois en 2019. L’ampleur était énorme et remettait en cause le modèle social, culturel et économique du Chili, modèle mis en place depuis la dictature. Dans une Amérique latine où l’instabilité politique est forte, le président était en sursis alors que, justement, le Chili est très stable politiquement depuis les années 1990 grâce à sa croissance économique. Elle s’était un peu tassée, mais elle restait. Le Chili était un modèle pour beaucoup de pays. Son intégration à l’OCDE a été une reconnaissance. Mais derrière cela, il y a une réalité moins plaisante à voir. »

Laquelle ?

« Des inégalités qui étaient connues dans les chiffres mais dont l’expérience était, elle mal connue. On l’a constaté pendant la crise du coronavirus quand le ministre de la Santé a admis avoir été surpris par le nombre de personnes vivant sous le même toit, la concentration dans les habitations. C’est un signe de pauvreté. La croissance du pays est basée sur le modèle économique du Chili qui est fondamentalement tourné vers l’exploitation des ressources naturelles et les exportations. Il y avait une forme d’aveuglement sur la réalité du pays. Et cela a fini par se traduire par d’importantes mobilisations. Comme les retraites en 2016, sur les droits des femmes en 2018 et tout a convergé en 2019. »

Mais, même avant cela il y a eu des mobilisations importantes. Et elles n’ont pas débouché sur un possible changement de Constitution. Pourquoi ?

« Les mobilisations passées n’ont pas eu de traduction dans les politiques publiques. Sauf celles pour l’éducation durant le second mandat de Michelle Bachelet. Quand elle revient en 2013, elle promet la gratuité de l’éducation supérieure après de fortes mobilisations en 2011 et 2012. C’est l’un de ses axes pour revenir au pouvoir. Un autre, c’est la réforme de la Constitution mais elle n’est pas allée au bout. »

Il aura tout de même fallu trente ans pour que cet héritage de la dictature vacille. Pourquoi cela a-t-il pris aussi longtemps ?

« D’abord, il faut rappeler que ce référendum est le résultat politique des mobilisations de 2019 et qu’il devait avoir lieu en avril 2020. Il a été repoussé pour cause de Covid. Après, pourquoi a-t-il fallu trente ans…? Dans un premier temps, il y a eu la transition post-dicature. En 1988, le « No » à Pinochet a ouvert une transition négociée vers la démocratie mais Augusto Pinochet est resté commandant des Armées. Et la Concertación [coalition des partis chiliens du centre et de la gauche, NDLR] a joué selon les règles qui étaient établies – car, si le « No » l’a emporté, il y avait aussi des partisans du « Si » à Pinochet – avec une croissance qui était au rendez-vous. C’était l’intégration par la croissance qui avait un certain succès. La consommation était très ouverte, le niveau de vie a augmenté mais avec un endettement des ménages très fort. Cet endettement, ce n’était pas pour acheter des maisons mais pour consommer et la classe moyenne s’est retrouvée dans un état de surendettement généralisé, une précarité énorme, une assurance chômage sur trois mois, le coût important de la santé, une retraite misérable… Il y avait une accumulation mais un aveuglement. Et les mobilisations ont vraiment repris en 2011 avec les étudiants, fortement endettés, qui appelaient au changement. Là, on arrive sur la première génération qui, massivement, va partir à la retraite. Avec un système par capitalisation, ils partent avec des taux de remplacement en moyenne de 30% du dernier salaire ! Il y a beaucoup de retraites de misère. Le troisième âge continue de travailler jusqu’à 70, 75 ans… Cela crée des situations de souffrance. Et, en dehors des partis, différents mouvements se sont structurés pour arriver à cette explosion. »

Quel pourrait être le résultat de ce référendum ?

« Il n’y a pas de sondage fiable. Mais, 60% pour l' »Apruebo » [le « oui » à une nouvelle Constitution, NDLR] serait déjà une belle victoire. Il faut prendre en compte qu’une part de la population veut garder les règles du jeu individualistes. Quand Michelle Bachelet a voulu mettre en place la gratuité des études primaires et secondaires, il y a eu des mobilisations pour continuer à payer ! Pas de la part de l’élite, qui continue d’envoyer sa jeunesse dans le privé, mais d’une partie de la classe moyenne qui aspire à rejoindre la classe supérieure. Et la mobilisation de 2019 a aussi donné lieu à des violences : pillages de magasins dans des communes populaires où les gens ne pouvaient plus faire leurs courses, destructions de bâtiments… Il y a une crainte d’une frange de la population qui va voter contre la nouvelle Constitution par peur du désordre, où sont parfois confondues mobilisation et délinquance. »

Comment se déroule la campagne ?

« Elle est plutôt apolitique. Il y a d’ailleurs une forme de rejet de la classe politique. La campagne de l' »Apruebo » a surtout été menée par les milieux culturels. Mais, en fait, il n’y a pas vraiment eu de campagne. »

Si le pays se prononce pour une nouvelle constitution dimanche, quelle sera la suite ?

« La suite, c’est la constituante (qui s’appellera « convention ») : qui pour écrire cette constitution ? Comment va-t-elle fonctionner cette constituante en sachant que tout doit être validé à la majorité des deux tiers de la constituante, ce qui suppose des accords larges et on va partir d’une feuille complètement blanche ? On va voir qui sera élu. Mais ce sera la première assemblée constituante du monde paritaire. Il y a également des discussions pour que les peuples indigènes – les Mapuches mais pas seulement – aient des sièges dans cette assemblée. Se pose aussi la question des indépendants… On peut penser que des partis vont en intégrer pour rallier des voix. Nous verrons le 11 janvier 2021, date de dépôt pour les listes de la convention constitutionnelle. »

Si on extrapole, il y aura quoi dans cette nouvelle constitution ?

« On ne sait pas d’autant que le débat sur le plébiscite a été pauvre. La question d’un Chili fédéral ou d’un Chili unitaire n’a pas été abordée. Va-t-on consacrer différents droits sociaux ? Certains craignent une constitution très déclarative, type Bolivie, Venezuela, Équateur… Du coup, d’autres insistent sur l’importance de « la salle des machines », la façon dont le pouvoir va être exercé. Le système de semi-présidentialité à la française avec un Premier ministre a des adeptes. »

Concrètement, qu’est-ce qui ne va pas avec la constitution héritée de la dictature ?

« Dans le concret, sur l’éducation par exemple, il est consacré le droit à la liberté d’enseigner mais pas celui à l’accès à l’éducation publique de qualité. Pareil sur la santé, il y a le droit d’avoir des assurances mais rien sur l’accès aux soins. C’est aussi cette constitution qui a consacré la privatisation de l’eau au Chili. Alors, un nouveau texte ouvrirait des brèches sur ces sujets. Mais cela va prendre du temps. »

Est-ce un scrutin à risques ?

« Il y a des tensions avec l’armée et la police militaire, des signes d’insubordination. Notamment depuis la phrase de Sebastián Piñera sur « le pays en guerre » au moment des mobilisations de 2019. »

Peut-on craindre un coup d’État ?

« De manière mesurée, disons que l’engagement démocratique d’une partie de la droite et des forces armées est soumis à caution. Il y a un risque, cela fait partie des incertitudes. Ce n’est pas hautement probable mais ça existe. On n’est en revanche pas comme en 1973 [le putsch militaire de Pinochet, NDLR] mais plutôt comme en Bolivie avec Evo Morales poussé à la démission par les militaires, une transition avec une suspension de la démocratie… Après, il peut y avoir d’autres formes d’autoritarismes. Comme avec la Russie et ces pays satellites. Ce ne sont pas de strictes dictatures mais ce ne sont pas strictement des démocraties. Ca reste quand même improbable, mais pas impossible »

L’autre sujet qui va animer 2021, c’est l’élection présidentielle. Qui pourrait succéder à Sebastián Piñera ?

« Le plus important sur cette élection, c’est qu’elle va avoir lieu pendant la constituante. C’est là-dessus, sur ce processus, qu’il faut se concentrer. Tant qu’on n’a pas le résultat du plébiscite, difficile de se prononcer sur la présidentielle de novembre 2021. Si l' »Apruebo » est important, le nouveau président ou la nouvelle présidente ne pourra pas s’opposer frontalement à la constituante. »

Peut-on, sans exagérer, dire que c’est un référendum historique pour le pays ?

« Oui, il est historique car inattendu. Et il marque la fin d’une époque et de dix ans de mobilisation tout comme la fin du leg constitutionnel de la dictature. Mais ça ne permet pas au pays de faire le deuil de cette dictature. On l’a vu encore récemment avec un débat très vif sur la pénalisation des crimes commis pendant la dictature. L’un des fers de lance de l’opposition à ce texte était une jeune député, ouvertement pinochetiste, qui n’a pas connu cette époque… »

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