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Jean-Paul Sartre, quand il se désengageait

Publié le 27 octobre 2020 par Fmariet

 François Noudelmann, Un tout autre Sartre, Paris, Gallimard, 207 p.

Jean-Paul Sartre, quand il se désengageait
Encore un ouvrage sur Sartre, certes mais l'idée principale en est que Jean-Paul Sartre qui s'est tant confié, expliqué, raconté a quand même oublié de dire beaucoup de choses sur lui-même, sur sa vie. Oublié ? Pas si sûr ! Le "réenroulement rétrospectif" de la vie de Sartre omet des moments importants et sa psychanalyse existentielle est pleine de trous. Normal pour chacun(e) d'entre nous puisque nous ne visons pas la transparence totale, mais pour Jean-Paul Sartre, qui y prétendait, nous sommes tentés d'y percevoir des oublis révélateurs. Pour comprendre Sartre, François Noudelmann a privilégié plusieurs points de vue : on y voit un sympathisant communiste qui se rend en URSS, puis à Cuba, puis en Chine ; il regarde quelque peu ébahi les grands défilés militaires, et retourne en URSS encore, même après la Hongrie. Mais c'est qu'il y a, en URSS, une traductrice dont il est très amoureux. Voilà Sartre, qui raconte n'importe quoi pour les beaux yeux de son amoureuse : on pourrait penser à Louis Aragon, son rival politique d'alors.Pour écrire, Sartre se drogue. Pour écrire, la Critique de la raison dialectique, mais aussi pour d'autres écrits politiques, mineurs, conjoncturels. Il souffre d'écrire sans plaisir... Vladimir Jankélévitch voyait dans la culpabilité de Sartre le prix qu'il payait pour sa bien faible résistance au nazisme pendant la guerre. "L'homme a voulu coller à son époque, par culpabilité d'avoir été trop léger", conclut François Noudelmann qui ajoute, quelque peu espiègle : "S'appliquant la théorie hégeliano-marxiste de l'Histoire, il a, par volontarisme moral, cherché à incarner son temps et à lui imprimer une courbure. Cependant, à côté de la ligne officielle, il a souvent pris des tangentes". Car Sartre, c'est aussi, les tangentes ; par exemple, le dégoût de la politique : "Vivement la littérature dégagée !", s'exclame-t-il en 1952. Les tangentes, ce sont aussi de nombreuses femmes, à côté de Simone de Beauvoir, l'officielle, qui règne, en apparence : à côté, il y a eu Michelle Vian, Lena Zonina, sa traductrice russe, et d'autres, mais surtout Arlette Elkaïm-Sartre, sa fille adoptive.François Noudelmann est convaincu que le vrai Sartre n'existe pas : il y a le Sartre politique, que l'on connaît bien, et l'autre Sartre, plutôt touriste que l'on ne soupçonne guère. A la fin de ses études, Jean-Paul Sartre aurait voulu enseigner à Kyoto, au Japon, mais cela n'a pas marché. Il a aimé son voyage aux Etats-Unis, et les reportages, après guerre. Il a aimé l'Italie, beaucoup : avec Arlette Elkaïm-Sartre, sa fille adoptive, juive algérienne, ils y tournent des films en Super 8 sur leurs voyages. "Fabrique de nostalgie" ? Mais on ne connaît guère ce Sartre là. Et c'est l'intérêt de ce livre que de le faire imaginer et de nous rappeler que l'on ne connait de Sartre que ce qu'il a bien voulu rendre public.L'auteur entraine ses lecteurs du côté de "l'affinité" (élective ?) qui associe Jean-Paul Sartre et Arlette Elkaïm ; celle-ci, qui l'adoptera aussi, comme il l'adopta, intervient dans de nombreuses activités de Sartre dont, par exemple, le "Scénario Freud" (avec John Huston) ou dans le Tribunal Russel. Mais ce n'est pas là l'essentiel.Le livre s'achève par la relation régulière de Jean-Paul Sartre et de sa fille à la musique classique, au jazz ("musique de l'avenir") et à la chanson. Une centaine d'heures d'enregistrement ; souvent il accompagne et elle chante.

Cet ouvrage est donc un ensemble de réflexions sur la biographie : on ne connaît pas Jean-Paul Sartre. Sartre joue à être Sartre, multipliant les moi, multiples, divisés ou flottants. Ce n'est donc pas seulement un "tout autre Sartre", sûrement pas, mais un portrait plus nuancé que nous propose François Noudelmann qui vise "à sauver Sartre du sartrisme", à montrer un Sartre inactuel... et plus sympathique que le compagnon de route des communistes de la fin du XXème siècle.


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