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Les divergences stratégiques des Etats-membres de l’Union Européenne sur les choix énergétiques

Publié le 03 novembre 2020 par Infoguerre

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Les membres de l’UE ont des intérêts stratégiques, énergétiques et commerciaux à défendre, ces derniers étant conditionnés par les dotations en ressources et en capacités de production électrique inhérentes aux pays en question. Cela donne donc lieu à des guerres de lobbying et d’influence, à l’exemple des cas comparés de la France et de l’Allemagne, l’un globalement pour le maintien de l’électronucléaire, l’autre en ayant fait sa bête noire et s’étant largement imposé en Europe comme l’exportateur incontournable de technologies éoliennes. Ces dernières soulèvent aujourd’hui beaucoup d’interrogations sur leur efficacité réelle, sur leur nocivité en termes de santé publique ainsi que sur l’économie criminelle qui parasite cette activité.

La tentative d’encerclement cognitif de l’énergie nucléaire

Le véritable enjeu reste d’agencer intelligemment tous les moyens de production peu polluants à notre disposition, afin de rendre notre économie plus verte et plus responsable. Si l’on souhaite se doter d’une trop grande partie de telle ou telle énergie, les problèmes de dépendance énergétique ou de sécurité d’approvisionnement vont peser lourd dans la balance et l’on risque de faire fausse route par rapport à l’objectif fixé. Depuis la mise en place de la taxonomie européenne, une question en particulier a soulevé plusieurs débats mouvementés : Peut-on dire que l’énergie nucléaire est une énergie décarbonée ? Les « pro » disent oui, les « anti » non, et se livrent, en permanence, une guerre de l’information qui a le défaut principal de rester cantonnée au débat « écologique », sans intégrer la dimension très cynique des logiques de puissance et des manœuvres de prédation de certains industriels.

Sur ce point précis, la stratégie de l’Allemagne,  très influente dans les choix énergétiques de l’UE, est en train de devenir un sujet central.  Quel jeu caché joue Berlin, notamment à l’égard de la France et de son potentiel énergétique en voie de déconstruction sous la pression extérieure ? Et  quelles positions, les Allemands cherchent-ils à renforcer aux dépens de l’économie française ?  Quelle est pour l’Allemagne la finalité du « deal » bilatéral passé avec la Russie dans le domaine du gaz ? Comment le pouvoir exécutif allemand gère-t-il les contradictions intérieures par rapport au parti vert, né du mouvement anti-nucléaire lors du débat sur les euromissiles. Un mouvement antinucléaire allemand qui a cette époque était indirectement manipulé par les services de renseignement de RDA et de l’URSS. Parti vert allemand anti-nucléaire et intérêts gaziers de la Russie, voici une piste de réflexion parmi d’autres, qui mériterait d’être étudiée avec beaucoup plus de précision, afin de cerner  le dessous des cartes du débat sur l’énergie propre.

La « taxonomie verte »

Avec la mise en place du Green deal (1) et de la taxonomie dans l’Union Européenne, un conflit s’est déclaré entre les parties prenantes du « pour » ou « contre » le recours à l’atome. Ce rapport de force ne date pas d’hier : d’un point de vue historique, le nucléaire a toujours été décrié, notamment depuis la seconde guerre mondiale avec l’utilisation des bombes A et H par les Etats-Unis, les accidents de Tchernobyl et de Fukushima. Plusieurs gouvernements ont souvent interféré pour empêcher la prolifération des armements nucléaires, de peur de voir une guerre nucléaire éclater. D’un point de vue stratégique, il fallait éviter d’être sous le joug d’une puissance tierce ou de ne plus avoir de moyens de pression si tous les gouvernements en étaient munis. Entre les belligérants, et ce depuis un certain temps, on compte les points de part et d’autre. Le projet Green Deal présenté par la Commission n’intégrait pas le nucléaire, même si en décembre 2019 le Conseil Européen évoquait le nucléaire comme « potentiellement viable au projet » (2). Il n’en reste pas moins que l’énergie nucléaire est toujours exclue des fonds de financement alloués au Green Deal.

Le rapport du GIEC (3) (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) démontre les bienfaits que l’énergie nucléaire pourrait apporter dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Un débat à l’allure de rapport de force s’est installé entre les gouvernements, les ONG et l’industrie énergétique sur la manière dont l’énergie nucléaire devrait être nommée par cette classification (4). Cela va déterminer son éligibilité aux financements et aux investissements du Green Deal. Le dit rapport de force a mis en évidence les différences de conception de ce qu’est une énergie durable entre les différents États membres de l’UE, en particulier entre la France et l’Allemagne (5).

Dans un premier temps, le nucléaire a été écarté de ce label « vert », car ne répondant pas aux critères d’éligibilité, en particulier sur la question des déchets radioactifs, d’après le TEG (Technical Expert Group). Les pronucléaires ont demandé une contre-expertise (6), le livrable de cette dernière étant prévu pour fin 2021 (7). Les pros-nucléaire soulignent que, sans le nucléaire dans le mix énergétique, du moins de certains pays, les objectifs des accords de Paris ne seront pas atteints. Du côté des antis, on défend et promeut un scénario se concentrant sur les énergies renouvelables (8). En attendant, l’Union Européenne interfère en essayant de démanteler EDF et d’affaiblir le nucléaire français sous prétexte de la libre concurrence (9 et 10).

Les limites du « Green deal »

L’Union Européenne a besoin d’une stratégie harmonisée et axée sur plusieurs points, à savoir qu’elle doit répondre aux demandes des consommateurs (particuliers, secteurs industriels) tout en adaptant en permanence les réseaux électriques pour qu’ils puissent faire face à ces changements de modes de production. Elle devrait donc faire l’état des lieux des dotations de chaque pays et appliquer, éventuellement, des financements exclusifs à chacun, afin de ne pas détruire un secteur industriel par rapport à un autre et favoriser des échanges technologiques et industriels intra-européens. A ce jour, ce n’est pas le cas. Ceci génère un rapport de force informationnel dont l’enjeu est le financement et la maîtrise de la production énergétique de « Demain » dans l’Union-Européenne.

Il revient de remettre dans le contexte ce que sont nos énergies durables à disposition et comment déterminer les plus à même de nous permettre de respecter les objectifs du Green deal (11). Toutes les énergies durables (ou propres) que proposent les différents acteurs à l’heure actuelle ne le sont pas réellement. L’énergie produite par le nucléaire est à cent pour cent décarbonée, tout comme celle produite par les Energies Renouvelables (EnR). Pour toutes ces méthodes de production d’énergie, le CO2 est émis pendant les phases d’extraction de la matière première, sa transformation en élément constituant le produit, le transport et le montage.

Les résultats économiques très contestables des Energies Renouvelables 

Si le nucléaire n’est pas référencé comme étant « vert », et donc non intégré à la taxonomie, cela obligerait la France à revoir sa politique énergétique. Elle se verrait dans l’obligation implicite d’installer des Energies Renouvelables qui lui coûtent cher et qui, au-delà du coût, lui font émettre plus de CO2 qu’auparavant. De plus, elle devrait financer son industrie électronucléaire sur ses deniers propres (13). Le retard pris à cause du rapport de force informationnel la pénaliserait doublement dans ce scénario. Cela conduirait doucement vers une sortie du nucléaire, fragiliserait sa production d’électricité et son réseau de distribution. Pourtant, d’après Monsieur Jean François Carenco, président de la CRE (Commission de Régularisation de l’Énergie) :

« Il ne faut pas s’y tromper : grâce au mix énergétique décarboné, composé principalement de nucléaire et d’hydroélectrique, nous bénéficions déjà de faibles émissions de CO2 et d’un prix de l’électricité maîtrisé. Nous émettons six fois moins de CO2 que nos voisins allemands et le prix de l’électricité pour un consommateur résidentiel moyen est de l’ordre de 180 euros par mégawattheure contre 300 euros en Allemagne. Le développement des énergies renouvelables électriques ne sert donc pas à réduire les émissions de CO2. Il faut le rappeler, car on dit beaucoup de mensonges à ce sujet. Cela n’a aucun sens et procède d’une forme de populisme idéologique. » (14).

Camille Badaire Le Page

Notes

  1. Baptiste Roman – Toute l’Europe – 24 janvier 2020 – Pacte vert : comment l’UE compte mobiliser 1 000 milliards d’euros en 10 ans
  2. Conseil Européen – 12 décembre 2019 – consilium.europa.eu/media-euco-final-conclusions
  3. Alain Desgranges – Le monde de l’énergie – 31 janvier 2020 – Le nucléaire, un atout pour le climat et la France
  4. When the gas and nuclear lobbies reshape the EU sustainable taxonomy
  5. Mathilde Dorcadie – Reporterre – 24 juillet 2020 – L’Europe favorisera-t-elle le nucléaire au nom de l’« urgence climatique » ?
  6. Wolrd Nuclear News – 3 juin 2020 – Industry urges EC to recognise nuclear’s role in economic recovery
  7. Frédéric Simon – Euractiv – 6 juillet 2020 EU experts to assess nuclear power’s green credentials
  8. European Environmental Bureau – juin 2020 – Building a Paris Agreement Compatible (PAC) energy scenario
  9. Cédric Ingrand – 13 octobre 2020 – La Commission européenne voudrait démanteler EDF, la France fait de la résistance
  10. Benjamin Mallet – 8 octobre 2020 – Projet Hercule: Paris et Bruxelles débattent du degré de réorganisation d’EDF
  11. Robert F. Ichord, Jr – 30 juin 2020 – L’avenir de l’énergie nucléaire en Europe
  12. Assemblée Nationale – 24 juin 2020 – RAPPORT D’INFORMATION DÉPOSÉ PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES  sur l’indépendance énergétique de l’Union européenne
  13. LA POLÉMIQUE CONTINUELLE CONCERNANT LE NUCLÉAIRE DE QUATRIÈME GÉNÉRATION
  14. Assemblée Nationale – 25 Juillet 2019 – RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE ([1]) sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique,

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