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La vitalité du roi Michel Bouquet

Publié le 05 novembre 2020 par Sylvainrakotoarison

" Pour le moment, je vis ma vieillesse dans un état de grande sérénité. Bizarrement, compte tenu de ma tournure d'esprit, la mort ne me fait pas peur. " (Michel Bouquet, "Valeurs actuelles", le 9 octobre 2014).
La vitalité du roi Michel Bouquet
Les années passent à une allure folle. C'est vrai que l'année 2020 est peut-être passée un peu moins rapidement en raison de la catastrophe pandémique et de ses conséquences sur le confinement, mais le temps, inexorable, poursuit inlassablement et irrémédiablement sa course effrénée. Voici que l'un de mes acteurs préférés, Michel Bouquet, atteint son 95 e anniversaire ce vendredi 6 novembre 2020. 95 ans ! Né quelques semaines avant Michel Piccoli qui, lui, est hélas parti cette année.
Les personnes très âgées impressionnent car elles sont très riches, riches du témoignage d'un temps lointain, passé, trépassé, oublié par les générations suivantes. Michel Bouquet avait 17 ans en 1943. En pleine Occupation ! Il est des jeunesses tragiques. Cela ne veut d'ailleurs pas dire que la jeunesse d'aujourd'hui ne vit pas des événements tragiques, car les confinements, la pandémie de covid-19, la vague durable d'attentats islamistes sont autant de tragédies pour des jeunes en recherche de devenir, d'avenir, d'identité. D'autres "anciens jeunes" ont eu aussi la guerre d'Algérie, ou le sida qui a bouleversé en une sorte de fausse et injuste réaction à la révolution sexuelle consécutive à mai 68.
Il n'est pas un exploit de vivre vieux, c'est plutôt de la chance, peut-être aussi une certaine vigilance dans la manière de vivre, mais il n'y a pas de justice dans ce domaine, des qui-ne-font-pas-attention passent entre les gouttes du destin et des qui-se-surveillent-beaucoup tombent pour pas-de-chance dans un accident, une maladie, etc.
La vitalité du roi Michel Bouquet
Ce n'est même pas un exploit d'atteindre le vieil âge avec toute sa tête. Là encore, il n'y a pas de justice. La chance. On peut juste dire maintenant que certains ne deviennent pas séniles, gâteux, mais qu'ils sont devenus malades et que leur maladie atteint le mental, l'esprit au lieu du corps ou en plus du corps. La vie rouillée, les rouages rouillés. Neurones comme muscles, c'est la même chose, c'est la même dégénérescence. Il y en a, c'est du tout ou rien, d'autres, c'est du progressif. Apparemment, Michel Bouquet est passé entre les gouttes. Il a encore le tempérament du jeune acteur. Ou plutôt, il est peut-être même encore plus vivant que durant ses jeunes années.
Car chez certains nonagénaires, il y a des traits de caractère qui s'affirment, comme une certaine bonté, une sérénité qui bonifie les relations, les rend plus chaleureuses, plus compatissantes. Je l'ai même remarqué chez un militaire, un ancien résistant devenu général et qui n'avait rien d'un rigolo : Ministre des Armées de De Gaulle, Premier Ministre de Pompidou, Pierre Messmer s'était métamorphosé pendant sa très grande vieillesse (il est mort au-delà de 90 ans). Il avait le sourire bienveillant. Il n'était plus le militaire mais le grand-père gâteau. Tout le monde ne devient pas Tatie Danielle. Heureusement.
Cette métamorphose est un peu différente à appréhender pour un comédien ou un acteur. Après tout, le métier veut que la personne ne joue qu'un rôle. Un rôle de méchant, de gentil, etc. On dit souvent qu'un bon acteur, c'est justement celui qui est capable de jouer tous les rôles, pas le rôle de lui-même, de son propre caractère. C'est pour cela qu'en sortant des sentiers battus de son propre caractère, le comédien peut (ou pas) se révéler comme un excellent dans ce domaine. Même Coluche pouvait exceller dans un rôle qui n'avait rien de comique. Finis les "maître d'école", "inspecteur La Bavure", Ben-Hur Marcel, "Banzaï" et autres comiques troupiers quand est venu "Tchao Pantin" qui, hélas, a été le seul film de ce type et qui préfigurait un tournant dans une carrière cinématographique beaucoup plus subtile et complexe pour Coluche (hélas...).
Quand on regarde les traits du visage de Michel Bouquet, celui d'une cinquantaine d'années est finalement peu différent de celui d'à peine vingt ans. Il apparaît comme un être lisse, impeccable, rigoureux, un tantinet sévère, plein d'avenir. Le Michel Bouquet nonagénaire (et aussi octogénaire) est beaucoup moins anguleux, beaucoup moins carré et beaucoup plus rond, chaleureux, beaucoup plus gai, vivant, riant, presque avec le comportement presque cabotin qu'on peut retrouver dans "Le Roi se meurt" dont l'auteur Eugène Ionesco voyait le personnage en Michel Bouquet.
La vitalité du roi Michel Bouquet
Michel Bouquet, je l'ai adoré en Roi se mourant, mais je l'ai aussi aimé plus jeune dans ses rôles froids, d'homme distant, représentant l'autorité froide, l'ordre mécanique, celle qui écrase tout sur son passage, les choses et les êtres.
Je ne peux m'empêcher de penser à lui quand j'entrevois Javert dans "Les Misérables" (la version sortie le 20 octobre 1982, réalisée par Robert Hossein, un autre nonagénaire, avec Lino Ventura en Jean Valjean et Jean Carmet en Thénardier) ; c'est probablement une erreur car sans doute que le Javert était différent selon Victor Hugo : " En grandissant, il pensa qu'il était en dehors de la société et désespéra d'y entrer à jamais (...). En même temps, il se sentait je ne sais quel fond de rigidité, de régularité et de probité, compliqué d'une inexprimable haine pour cette race de bohêmes dont il était. Il entra dans la police. Il y réussit. À quarante ans, il était inspecteur. Il avait dans sa jeunesse été employé dans les chiourmes du midi. ". Au cinéma, Michel Bouquet n'a pas été le seul Javert, dix-sept acteurs ont joué le rôle, dont Charles Vanel (en 1934), Bernard Blier (en 1958), Bernard Fresson (en 1972), Anthony Perkins (en 1978) et John Malkovich (en 2000) dont la version semble probablement la plus mémorable (aux côtés de Gérard Depardieu et Christian Clavier).
La chaîne Arte a diffusé récemment deux films très réussis de François Truffaut (j'aurais tendance à dire que c'est un pléonasme, tous les films de François Truffaut sont réussis), deux films dans lesquels a joué Michel Bouquet assez jeune : "La mariée était en noir" (sorti le 17 avril 1968), où l'implacable Jeanne Moreau, veuve, se venge en tuant (dans le désordre) Michel Bouquet (Robert Coral), Charles Denner (le peintre Fergus), Michael Lonsdale, Claue Rich, etc., et "La Sirène du Mississipi" (sorti le 18 juin 1969), duo d'amour entre Jean-Paul Belmondo et Catherine Denouve, avec un empêcheur de tourner en rond, le détective privé obtus joué par Michel Bouquet (qui est finalement assassiné, attention spoiler !).
Dans le rôle du mari trompé qui se venge, Michel Bouquet est inquiétant dans "La Femme infidèle" de Claude Chabrol (sorti le 22 janvier 1969) avec une Stéphane Audran (l'épouse) peut-être plus victime que coupable. Toujours cet aspect froidement mécanique qui a fait la perfection des rôles de Michel Bouquet.
Même s'il a joué peu de films depuis ces dernières décennies, il a joué à tout âge, vingt films depuis le début des années 1980 (une moyenne de cinq films par décennies).
Quant à maintenant, Michel Bouquet a tourné son dernier film très récemment, été 2019, "Villa Caprice", réalisé par Bernard Stora, où il joue aux côtés de Niels Arestrup, Irène Jacob, Laurent Stocker, Patrick Bruel, Éva Darlan, etc. Ce film devait sortir dans les salles le 25 novembre 2020 mais sa sortie devrait être reportée pour cause de confinement.
Michel Bouquet, bon anniversaire, et mes souhaits pour de nouveaux films encore !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 novembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le roi ne se meurt pas.
Michel Bouquet.
Marlène Jobert.
Jean-Michel Folon.
Henri Verneuil.
Wladimir Yordanoff.
Jean-Luc Bideau.
Bourvil.
Michael Lonsdale.
Claude Chabrol.
Charles Denner.
Annie Cordy.
Vanessa Marquez.
Maureen O'Hara.
Ennio Morricone.
Zizi Jeanmaire.
Yves Robert.
Suzanne Flon.
Michel Piccoli.
Jacques François.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.
La vitalité du roi Michel Bouquet
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