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Covid-19 : le mauvais storytelling des médecins

Publié le 05 novembre 2020 par Dangelsteph
Covid-19 : le mauvais storytelling des médecins

La Covid-19 et spécialement le deuxième confinement révèle un storytelling des médecins qui ne sert pas leurs intérêts ni ceux de la lutte contre le virus.

Oui, parce que si leur storytelling ne causait du tort qu'à eux-mêmes, et bien ce serait leur problème. Après tout, chacun a les siens, et plus qu'il n'en faut en ce moment, n'est-ce pas ? C'est parce que cela a un impact sur le combat contre le virus que j'écris cet article, et que je ne m'adresse pas à la confédération inter-galactique des médecins de France pour leur proposer de faire une conférence lors de leur prochain congrès...

Quel est ce bad storytelling médical ?

Plusieurs événements ou anecdotes, peu importe comment on les appelle sont apparus et ce dès le premier confinement pour certains d'entre eux :

    La cavalcade de contradictions des médecins, tous éminents spécialistes : la cristallisation étant le combat des chefs entre le professeur Didier Raoult et (selon lui) le reste du monde
    Les déclarations d'un médecin à la télévision : "Il faut laisser l'économie de côté. L'économie, ça se rattrape, un patient en réanimation ça ne se rattrape pas"
    Cet autre médecin, dans un tweet : quelque chose comme "Moi aussi j'aime les livres, même si je n'ai plus trop le temps d'en lire. Mais là, il y a plus important que le sort des libraires"
    Dans un autre registre, cet autre médecin encore : "Il faudrait porter le masque dès l'âge de 2 ans, c'est ce qu'ils font dans certains pays asiatiques. On apprend aux enfants à porter un masque dès leur plus jeune âge". Ou, sur le même sujet des masques, cet autre médecin : "si on veut stopper le virus, il faut porter le masque même à la maison".
    Autre exemple encore : la colère du ministre de la santé, Olivier Véran, à l'Assemblée nationale qui lui refusait l'extension de l'état d'urgence pour la durée souhaitée par le gouvernement. Il a brandi des exemples de personnes assez jeunes actuellement en réanimation à l'hôpital

Ce ne sont que quelques exemple. Il y en certainement d'autres. Ce sont ceux auxquels j'ai été confronté dans ma lecture ordinaire de Google actualités. Ce sont des anecdotes, mais un faisceau d'anecdotes peut bien former un récit.

N'est-ce pas monté en épingle par les médias ?

Les médias sont dans leur storytelling. comment cela : le rôle des médias est d'informer ! Délivrer de la nouvelle, comme on me l'a appris à l'école de journalisme. Oui, mais ça c'était avant...

Avant que le nombre de journalistes ne commence à chuter en France (depuis 2009, c'est une baisse constante). Et encore, on a plus de chance qu'en Espagne ou aux Etats-Unis, où la baisse atteint 30%. Avant que leur statut ne devienne de plus en plus précaire. Etc.

Avant que les médias n'entament leur chute libre. Depuis 1980, la presse imprimée par exemple, longtemps reine de l'information, a perdu 71% de ses revenus publicitaires.

Alors voilà, il ne reste que le clic. Le clic est devenu l'objectif principal voire même unique, je soupçonne, des médias. La quantité de clics va dicter la valeur du média sur le marché des pubs qui se cliquent. C'est une question de survie. Et comme on dit : "un homme qui se noie se raccroche à n'importe quoi".

    On envoie au public un message lui montrant qu'il n'est finalement qu'une matière première de la science médicale. C'est l'histoire que raconte les disputes entre spécialistes. Sous couvert d'être celui qui soigne le mieux, c'est bien d'avoir raison dont il s'agit. Sinon, pourquoi, de part et d'autre, se hasarderait-on à jouer avec les règles établies des études médicales sur l'efficacité de tel ou tel traitement ?
    On envoie au public un message lui disant qu'il y a quelque part au dessus de lui, des gens qui savent ce qui est bon pour lui et qu'il n'y a qu'à suivre les consignes. C'est avoir une vision bien technicienne et bien peu au fait des dynamiques sociales qui ont cours, notamment dans les organisations qui font face à des démarches de changement. On sait bien, et depuis longtemps, qu'une démarche de changement dans laquelle les gens ont le sentiment "d'être changés" et non pas de "changer" (subir le changement vs. être acteur du changement) est vouée à l'échec. C'est bien pour cela que la très grande majorité des démarches de changement échoue dans tout type d'organisation humaine. Pourquoi la santé échapperait-elle à cette dynamique humaine ? Parce que c'est la santé ? Ah bon...
    Dans le même ordre d'idées, le milieu médical raisonne en gestion de risques techniques, et immédiats. Bien entendu, le risque est la santé du malade, il y a bien un humain dans l'histoire. La vie technique vs. la vie humaine. Mais seul le risque technique médical est pris en compte, les risques humains (les conséquences humaines d'un désastre économique) sont mis de côté. Or, le commun des mortels, lui, est focalisé sur ces risques, qui n'ont pas seulement une dimension actuelle mais un impact sur leur vie d'aujourd'hui, de demain et d'après-demain. De risques humains. Et il évalue l'intérêt de prendre ou non des risques, de ce point de vue, humain, et avec une part d'individualité-individualisme... inévitablement humaine. A chacun son domaine d'expertise me direz-vous. Mais l'humain n'est pas un domaine d'expertise des uns ou des autres, il est universel. Ou du moins devrait l'être.
    Un manque de contextualisation : mon post de blog le plus récent parle de contextualisation, justement, de l'importance d'intégrer des éléments de contexte dans une histoire. On nous raconte ce qui se passe en Asie. Et finalement, il n'y aurait qu'à faire pareil... Comme s'il s'agissait d'appliquer un protocole, une procédure, sans considérations pour l'acceptabilité culturelle et sociale de la chose. Après le premier confinement, un médecin, doyen de faculté, me parlait de l'inacceptabilité sociale du port du masque à la maison. Lui, a fait ce travail d'intégration de l'humain dans sa pratique et cela le rend plus pertinent.
    Même quand on nous cite des exemples : cela reste des données. C'est une personne, âgée de 28 ans, dans le coma. C'est un cas à traiter, décrit par un ensemble de faits, ne manque plus que l'indication de sa catégorie socio-professionnelle. Ce n'est pas une histoire humaine, c'est un diagnostic et cela ne nous parle pas. Nous ne sommes pas du sérail, mais on nous parle comme à des médecins.

Et pour générer du clic, il faut une histoire. Une histoire forte, qui dure. C'est à dire une histoire avec des extrêmes, plus précisément une navigation entre des extrêmes. Et là, par exemple, le professeur Raoult est du pain béni pour les médias. Ce n'est pas qu'ils l'aiment ou qu'ils ne l'aiment pas. Il est utile pour positionner le curseur de l'histoire en l'opposant à d'autres médecins qui se positionneront plus ou moins près de l'autre extrême.

Voilà, pas la peine d'incriminer les médias dans ce bad storytelling des médias. Ils sont juste en mode survie, auto-centrés.

Quel est le vrai problème de ce storytelling médical ?

S'il n'y en avait qu'un... Non, le storytelling des médecins pendant cette période Covid souffre de plusieurs problèmes.

L'impact de ce storytelling déficient :

De quoi a-t-on besoin dans une telle période ? Pour le chef du service d'infectiologie de l'hôpital Tenon à Paris, Gilles Pialoux : "on n'a pas bien expliqué les choses aux Français". Mais non, l'enjeu n'est pas là. Les gens ont toutes les informations dont ils ont besoin. Ils ont eu plein d'explications, trop même. Au passage, c'est un bon client pour les médias, car ce qu'il dit est archétypal. Il analyse ce qu'il appelle un confinement light de la part des français comme l'expression d'une colère sociale. Mais non, là encore... S'il y avait colère, les gens l'exprimeraient de manière forte, en France on sait faire...

Il y a une déconnexion complète entre les médecins et le public. Le gouffre que l'on ressent à titre individuel quand le médecin vous parle d'une maladie grave dont vous souffrez, est ici collectif.

S'y greffe le fait que le monde médical se trompe d'objectif. Il ne s'agit pas d'informer mais de donner confiance. Il n'y a pas de colère, il y a de la défiance, et la responsabilité-culpabilité est du côté des médecins. Et quand des médecins disent "on n'y arrivera pas si les gens ne font pas ceci ou cela...", oui c'est vrai, mais on n'y arrivera pas non plus si vous continuez à leur parler comme cela. Les gens n'ont pas confiance en votre humanité humaine chers amis médecins, seulement en votre humanité technique, et ça ne suffit pas.

Bien sûr, tous les médecins ne sont pas comme ça. Mais les besoins du storytelling médiatique font que les positions extrêmes sont davantage voir exclusivement mises en avant. Et donc...


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