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Comme l'eau et le feu - Lettres à ma mère (1970-1983), de Pierrette Micheloud

Publié le 07 novembre 2020 par Francisrichard @francisrichard
Comme l'eau et le feu - Lettres à ma mère (1970-1983), de Pierrette Micheloud

Nos caractères (signe d'eau, signe de feu) sont difficiles à s'entendre, ce n'est pas de notre faute. Et nous nous ressemblons tant sur d'autres choses, quoi qu'il en soit, je peux te dire, malgré les apparences, que je t'ai toujours aimée autant que ma vie, et plus.

Ce passage d'une lettre de Pierrette Micheloud à sa mère, datée du 19 avril 1980, est révélateur de cette correspondance où, par exemple, la fille demande à sa mère de mieux se défendre contre une voisine qui lui empoisonne l'existence parce qu'elle ne supporte aucun bruit.

Dans cette correspondance, la poète se révèle sans doute autant que dans son oeuvre. D'ailleurs, à ce sujet elle souffre que certains de ses livres ne soient pas publiés par des éditeurs, alors que, consciente de sa valeur, elle est, plus que d'autres, une poète qui vend des recueils.

Heureusement, elle peut compter sur le soutien de ses deux admiratrices chéries que sont sa mère Blanche et sa soeur Edmée auxquelles elle adresse parfois une lettre commune. Ce n'est pas de la rancoeur qu'elle éprouve mais un sentiment profond d'injustice, ce qu'elle ne supporte pas:

Tu dis que c'est injuste que je ne sois pas connue, bien sûr, mais n'est-ce pas encore plus injuste que j'aie reçu le don de poésie, alors que tant d'autres ne l'ont pas? La terre est un monde d'injustice puisque nous en sommes au b-a ba de la conscience.

(2 mai 1978)

Cette hors-la-loi comme elle se présente - elle est franc-maçonne, hostile à la procréation, homosexuelle - a pourtant des règles. Ainsi, à plusieurs reprises, se plaint-elle qu'on lui envoie des courriers insuffisamment affranchis. Ce n'est pas pour la surtaxe à payer mais pour le principe.

Le 17 janvier 1978, elle fait part à sa mère de sa lecture d'un livre d'Annie Lebrun, intitulé Lâchez tout!, qu'elle lui enverra pour la faire rire et qui lui a été donné à la Librairie des Femmes, inaugurée à Paris le 30 mai 1974 et où elle est venue revendre des exemplaires de ses livres:

Elle assomme les néo-féministes, Benoîte Groult, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir, etc. Elles en prennent pour leur rhume! et je suis assez d'accord avec elle, ces femmes-là font beaucoup de tort aux femmes, et il y a une phrase qui m'emballe: "D'apparaître aujourd'hui sous une débauche de fanfreluches organiques, la féminité reste tout aussi bêtement mystérieuse, la maternité tout aussi bêtement triomphante, le désir féminin tout aussi dérisoirement maquillé..."

Pierrette Micheloud a ses têtes de Turc, tels Maurice Chappaz ou Henri Guillemin. À propos de celui-ci, elle écrit à sa mère le 23 avril 1981 avoir beaucoup aimé qu'un lecteur, Robert Junod, dans la Gazette de Lausanne du 13 avril, lui ait rivé son clou, au sujet de ce qu'il dit de Péguy:

Ce type m'est insupportable. Il ne cherche que l'anecdote, comme tous les gens bêtes et superficiels.

Le texte de Robert Junod figure parmi les dix-sept annexes aux lettres, compléments précieux qui les éclairent. Comme la poète, j'aime beaucoup - et Proust aurait aimé -, ce que dit Junod d'un Guillemin osant dire de Péguy qu'il a raté sa vie et accumuler des chefs-d'oeuvre:

Henri Guillemin commet l'erreur, dans ses biographies d'écrivains, de chercher à connaître l'homme sans se soucier d'abord de comprendre l'oeuvre et de l'apprécier en artiste. Erreur double, car c'est l'oeuvre avant tout qui importe; et parce que, de plus, la méconnaître empêche vraiment de connaître l'homme.


Alors pour au moins un peu connaître la femme, ou la reconnaître, pourquoi ne pas reproduire le début d'un poème de Pierrette Micheloud, tiré du recueil En Amont de l'Oubli, Paris, L'Harmattan, 1993, et qui figure en troisième de couverture de cette édition, fruit d'un travail remarquable:

D'un espace à l'autre du souffle

Il n'en faut pas davantage

Pour nous faire passer

Du côté de l'absence.

Francis Richard

Comme l'eau et le feu - Lettres à ma mère (1970-1983), Pierrette Micheloud, 200 pages, Éditions de l'Aire, édition établie, présentée et annotée par Catherine Dubuis (à paraître)


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