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Le groupe

Publié le 23 février 2010 par Maxd

LE GROUPE

Conférencedonnée un soirpluvieux du mois de novembre pour l’Amicale des feux follets de Palavas-les-Flots (Hérault)

Monsieur le Préfet,

Monsieur le Maire,

Mesdames et Messieurs,

     

Mes chersAmis,

L’homme est, comme chacun ne l’ignore pas, un animal plus ou moins raisonnable, doué d’une certaine intelligence et ayant comme caractéristiques essentielles, d’une part, la station verticale, ce qui lui permet de ne voir guère plus loin que son nez, et, d’autre part, la tendance naturelle et quasiment obligatoire de s’agglomérer en ensembles grégaires, bêtes et compacts appelés groupes.

Dès sa naissance, l’homme se trouve revendiqué par un groupe que l’on nomme famille. L’ensemble de plusieurs familles forme un milieu. Il y a plusieurs milieux dans une ville et l’ensemble de la population se groupe en pays formant nation. Les nations qui s’entendent bien, que ce soit par la culture, la confiture ou la force des choses, se retrouvent généralement dans un bloc qui fait face à un autre bloc formé lui-même d’une infinité de groupes ou sous-groupes. Bref! Groupes d’intérêts, groupes d’action, petits groupes, groupies, sous-groupes, groupes de travail, groupes sportifs, groupes enfin uscules, l’homme, force est pour nous de la constater, vit toujours en groupe.

Dans un premier temps, Mesdames et Messieurs, nous allons tenter de définir le groupe. Le groupe est un ensemble d’individus dont le nombre dépasse au moins deux, ayant un ou plusieurs pôles d’intérêt communs (pêche à la truite, haine des liliacées bulbeuses, passion des courses en montagne avec peaux de phoques sous les skis et cinquante kilos de matériel sur le dos…). A partir de là, se forme forcément une certaine hiérarchie avec un chef, des sous-chefs et des adjoints, une masse grouillante globalement toujours d’accord et les éternels derniers. On trouvera, en outre, au sein de cet agglomérat, quelques contestataires faisant preuve, à l’évidence, d’un mauvais esprit caractérisé, des ambitieux de la masse grouillante qui rêvent d’être chefs, des voleurs, des égoïstes, des petits saints, des fayots, des rapporte-paquet, des bossus, des fourbes, des timides, des Apollon, des chauves et aussi des femmes, si le groupe n’est pas réservé aux seuls hommes et lycée de Versailles. De toute façon, quels que soient les éléments qui le constituent, le groupe marche toujours d’un seul homme. A priori, on serait tenté de penser que tous ces braves gens s’unissent à cause de leurs points communs ou de leurs mêmes passions. En réalité, il n’en est rien. L’unique raison qui poussent les individus à se grouper est le goût d’être en groupe. On trouve bien vite un prétexte (adoration pour George Sand, professions communes…) et hop! le groupe est formé.

Le groupe a-t-il la possibilité de croître? La réponse, Mesdames et Messieurs, dépend évidemment des lois qui régissent l’association en question, certains groupes demeurant désespérément fermés à l’entrée de nouveaux membres en son sein. Cependant, la plupart du temps, le groupe accepte de nouveaux éléments dans la mesure où ceux-ci ne vont pas bouleverser la vie paisible du groupe et a fortiori s’ils sont susceptibles d’être rentables et bénéfiques à l’ensemble. Le nouveau membre sera tout d’abord observé de très près et regardé d’un fort mauvais oeil, puis, peu à peu, intégré au groupe, plus ou moins rapidement selon son coefficient de malléabilité (on admet selon la règle de Grex Gregis qu’un individu ayant un coefficient de malléabilité inférieur à 1,687 est un homme seul). Inversement, le groupe peut sans difficulté rejeter ou lâcher l’un des siens, que ce soit par la volonté de tous ou le désir d’un seul qui, noyautant aisément la masse grouillante par une propagande savamment orchestrée, ralliera celle-ci à son opinion.

Il existe, bien sûr, d’autres manières pour le groupe de s’agrandir ou de diminuer son importance: ce sont la fusion ou la scission. La fusion entre groupes est très facile. Il en résulte simplement un groupe un peu plus volumineux que les précédents avec souvent de nouvelles lois et de nouveaux rites que les masses grouillantes respectives acceptent avec la plus grande mollesse, dès lors que leurs chefs se sont bien mis d’accord. La fusion confère, bien entendu, à la nouvelle association une plus grande puissance et à chaque individu un rôle plus infime, alors que ce dernier, paradoxalement, a la certitude d’en représenter un élément plus important.

La scission représente une pratique de groupe fort pratiquée également. Elle peut être le fait de querelles internes dont le point de départ ne pourrait être que l’instinct ou d’ambitions de sous-chef emmenant avec lui une partie du troupeau ou encore de phénomènes géophysiques (groupe de touristes allemands séparé par une grande faille lors d’un tremblement de terre au Guatemala dans les années soixante-dix). Quoi qu’il en soit, ces phénomènes de scission donnent naissance à des petits groupes, moins puissants mais plus nombreux, la somme des individus représentant toujours le même nombre.

Les groupes se caractérisent tous, sans exception, par des lois et des rites qui se transforment bien vite en sales habitudes. Nous étudierons d’abord, si vous le voulez bien, Mesdames et Messieurs, les lois. Celles-ci sont généralement simples, dépourvues de toute complexité et faciles à respecter. Nous les énumérerons sans les grouper

– Obéissance tacite et passive aux mouvements de la masse.

– Reconnaissance arbitraire de l’autorité du chef afin que le vie de groupe soit possible.

– Solidarité aveugle, du moins en théorie, avec les autres membres du groupe et acceptation du prochain, dès lors qu’il appartient au même groupe.

– Imitation permanente du collègue de groupe, lequel doit, en retour, vous imiter fidèlement.

– Renoncement à toute créativité personnelle au profit d’une “création de groupe”, si médiocre soit-elle. Il est toutefois autorisé de faire preuve d’une peu d’originalité personnelle, mais pas trop, pour bien se faire voir du groupe, notamment d’un peu d’humour, afin de distraire la galerie. A noter que, si l’on est bien considéré en faisant rire le groupe, on est alors rapidement classé comme le “bouffon de service” et condamné à faire le pitre quoi qu’il advienne et quelle que soit sa mélancolie personnelle.

– Obligation de prendre l’esprit grégaire pour mieux se confondre dans la masse et autorisation de commettre en groupe ce que l’on n’oserait jamais faire tout seul: moqueries de mauvais goût, chansons grossières, hurlements dans la rue en plein milieu de la nuit, marche au pas de l’oie, coups, blessures, assassinats, tortures, guerres pas pour rire etc…

– Participation active à tout mouvement d’idolâtrie ou d’hystérie collective avec passage à l’acte, cela va de soi.

– Acceptation sans condition de l’opinion traditionnelle admise par le groupe, même si un semblant de discussion a été nécessaire pour laisser croire qu’on a de la personnalité.

Naturellement, les membres du groupe ne sont aucunement obligés de vivre en permanence en groupe. Toutefois, il est indispensable que tous leurs actes et toutes leurs pensées au cours de leur vie hors groupese fassent dans la seule perspective du groupe, qui reste le centre de leur pauvre vie, et surtout en ayant conscience de lui appartenir.

Il existe encore bien d’autres lois qu’il est inutile de citer ici, d’autant qu’elles sont pratiquement innées chez tout élément de groupe. Il en est de même des rites qui sont innombrables et dont le seul but est de donner une cohésion au groupe, une impression de solidité et, en même temps, un sens profond à son existence. Citons tout de même les réunions périodiques, les activités de loisirs, les prises de position sur tel ou tel sujet de l’actualité avec pétitions à l’appui, l’évocationdes souvenirs communs maintes et maintes fois remise sur le tapis, les funérailles de l’un des membres défunts avec fausse émotion, fausse tristesse mais vraies larmes et banquet bien arrosé à la sortie du cimetière, etc…

Une question brûlante est de savoir quel est, au fond, le rôle du chef dans un groupe. Hélas, il faut bien en convenir, ce rôle est malheureusement assez lamentable. Nous avons tendance à penser que celui-ci, n’échappant pas aux inébranlables exigences du groupe, obéit bien inconsciemment et aveuglément aux mouvements de la masse, ce qui nous fait pleinement adhérer à cette phrase de Baudelaire: “ Les dictateurs sont les domestiques du peuple, rien de plus – un foutu rôle, d’ailleurs – et la gloire est le résultat de l’adaptation d’un esprit à la sottise nationale “.

A présent, Mesdames et Messieurs, tâchons de découvrir ce que le groupe apporte à l’homme. Nous évoquerons tous ces bienfaits, au fur et à mesure, dans le désordre chronologique, et en nous gardant bien de les grouper. La sécurité physique et morale est, sans conteste, un avantage non négligeable de la vie en groupe. Un groupe est évidemment plus fort physiquement qu’un individu isolé, ce que le Maréchal de La Palice n’aurait certainement pas démenti, surtout si l’on prend soin de charger un sous-groupe d’une activité de défense voire même d’offense. De la même manière, la sécurité morale, sensation d’être dans un cocon, est grande au sein d’un groupe puisque la conscience de lui appartenir suffit souvent aux membres pour qu’ils se croient utiles, importants et même puissants. D’ailleurs les différents rites sont là pour maintenir les membres du groupe dans cette douce illusion!

Un immense bienfait du groupe est représenté par l’inutilité de toute initiative personnelle. Les décisions fondamentales (façon de s’habiller, loisirs, moeurs) et accessoires (croyances, religion, opinion politique) sont prises en fait par le groupe, l’individu n’ayant pas besoin de penser trop longuement. Prenons un exemple banal: les voyages dans les pays les plus reculés avec semblant d’aventures, comme monter sur le dos d’un chameau dans le désert, sont d’une simplicité enfantine dès lors qu’ils sont organisés en groupe. L’économie d’énergie intellectuelle (ce mot est sans doute un peu fort) est non négligeable. Bien entendu ceci suppose un minimum d’abnégation de la part de chaque membre, abnégation purement théorique puisque les individus d’un groupe sont par définition passifs et se reposent sur le chef et ses acolytes.

Mais l’avantage de loin le plus intéressant que peut procurer le groupe, Mesdames et Messieurs, Monsieur le Préfet, Monsieur le Maire, mes chers Amis, est, sans nul doute, le bonheur, bonheur imbécile certes, mais bonheur quand même. En effet il est fort rare que les éléments d’un groupe soient malheureux, nous sommes forcé d’en convenir. L’angoisse de groupe n’existe guère, pas plus que la solitude de groupe. Si pour une raison ou pour une autre, un adhérent du groupe venait à ressentir un soupçon d’angoisse, bien vite il se réfugierait dans les bras du groupe dont les activités futiles suffiraient à l’en délivrer.

Il existe encore d’autres privilèges que la vie en groupe peut procurer: avantages financiers grâce aux cotisations, aux cagnottes et aux prix de groupe, impression d’être aimé, possibilité de parler fort et fièrement au nom du groupe, avancement dans la hiérarchie, ce qui peut prendre toute une vie tout en lui donnant pleinement son sens, j’en passe et des meilleures.

En fait les différents éléments d’un groupe s’aiment-ils? Eh bien malgré les apparences, nous répondrons: non! Le groupe, en effet, n’est qu’une symbiose entre la masse et l’individu d’une part, entre chacun des individus d’autre part. La vie qui en découle ne représente que la somme algébrique du même nombre d’égoïsmes qu’il y a de membres passifs, chacun d’entre eux essayant de tirer la couverture à soi. Pour preuve, nous pouvons imaginer une expérience toute simple et bien innocente: un groupe se trouve dans une pièce close, une salle de cinéma par exemple. Lançons une bombe au milieu de la salle. Le feu rapidement se déclenche, la panique survient, chacun se sauve comme il peut, piétinant son collègue de groupe pour gagner au plus vite la sortie de secours, la haine ayant rapidement pris la place de l’amour solidaire! Nous pouvons également choisir un autre exemple beaucoup plus cruel, cette fois: dans les cocktails, les convives se tueraient – avec politesse bien sûr! – s’ils le pouvaient, pour approcher le buffet, tout cela pour quelques malheureux canapés au fromage! Ainsi le mépris, voire la haine de l’autre, prêts à surgir, règnent au sein du groupe sous une forme camouflée appelée amour et dont le moteur principal est la lâcheté.

Quel est l’avenir du groupe? la plupart du temps, les groupes sont voués à la croissance, période de puissance, puis c’est l’apogée qui précède la chute. Le déclin du groupe est presque toujours dû à des conflits qui ont opposé plusieurs sous-groupes au sein d’un même groupe. Car le problème est là: la guerre est au groupe ce que la mort est à l’individu, c’est-à-dire inéluctable. La guerre entre deux groupes formés, chacun, d’autant de sous-groupes innocents et non concernés, aboutit très souvent à l’apparition de supergroupes qui vont peu à peu s’organiser à la désorganisation des groupes déjà existants.

Et quel est l’avenir du solitaire dans tout cela? Eh bien, il n’y en a pas non plus! Les groupes étant majoritaires sur notre pauvre planète, le solitaire subit hélas les mouvements des groupes. Si une guerre se déclenche, il n’y échappera pas non plus. Quant à la mort, elle le guette et ne le ratera pas, soyez-en sûrs!

En conclusion de cet exposé didactique et exhaustif, Mesdames et Messieurs, nous conseillons vivement à nos adhérents de ne jamais se grouper et de refuser non moins catégoriquement de ne pas appartenir à un groupe. Nous sommes certains qu’ils accepteront ce conseil avec la plus grande mollesse et qu’ils nous en sauront gré!

Enfin nous rappelons à nos fidèles adhérents que la prochaine Assemblée Générale aura lieu de 37 Janvier à 29 h 63. Merci d’avance pour votre présence.

Je vous remercie pour votre attention et vive la France!

R.M.D.


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