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Littérature au poids

Publié le 14 mars 2009 par Maxd

seul.1237028632.jpgUn jour alors que je me trouvais à errer dans les rayons d’une petite librairie de quartier, j’ai assisté à une scène étonnante. Un client était venu proposer timidement au libraire de lui laisser en dépôt quelques exemplaires d’un livre qu’il avait édité à compte d’auteur et le commerçant fit une moue peu amène tout en prenant un autre livre qui se trouvait sur le présentoir (moins cher mais plus lourd) et soupesa les deux livres simultanément en disant :  «Votre livre est trop cher. Il ne fait pas le poids. Ça ne se vendra pas.» Et le libraire de rendre les exemplaires à l’autre à la fois déçu et navré de l’avoir dérangé. Pour la petite histoire, les deux livres qu’avait évalués le commerçant avaient à peu près le même format, une couverture analogue et une densité en caractères d’imprimerie approchante même si celui qui était en vente comportait ça et là des planches et des illustrations. Mais la comparaison s’arrête là car le livre du présentoir traitait, ce qui est tout à fait respectable, de fleurs et de plantes alors que celui de l’écrivain amateur était une compilation d’aphorismes personnels savoureux (je le sais pour lui avoir acheté ensuite un exemplaire devant le magasin quand nous en sortîmes ensemble), aphorismes auxquels bien entendu le libraire n’avait même pas daigné jeter un œil, s’étant contenté d’en faire une grossière évaluation au poids.

Depuis ce jour, fort du professionnalisme de ce libraire chevronné et soucieux d’acquérir de la littérature de qualité, j’ai pris l’habitude de peser tous les livres que j’achète non sans les avoir auparavant soupesés avec zèle dans les librairies avant de faire mon choix. Mais je ne me contente pas d’en évaluer le poids. J’examine aussi les mensurations du livre avec un double-décimètre, l’épaisseur du papier et de la couverture, le nombre de pages et de paragraphes, les interlignes, le nombre de signes par ligne et par page, la police d’imprimerie (certaines polices, pour un même texte, permettent de couvrir plus de pages), après quoi j’évalue à la louche, au cas où je décide de prendre l’ouvrage, si j’en aurai pour mon argent. Une fois acheté, le livre subit à la maison, grâce à une balance, une calculette et un crayon, une analyse quasiment scientifique, car il me faut être certain ne pas m’être fait rouler par le marchand.

Ainsi, probablement influencé par le tapage médiatique retentissant autour de la sortie du dernier Paul Auster, je me suis précipité chez mon libraire pour lui acheter -pour le coup sans même le soupeser- Seul dans le noir. Et je n’ai pas été déçu car ce livre est sans nul doute bien meilleur que le précédent du même écrivain, Dans le scriptorium, qui, avec 147 pages pour un poids de 152 grammes est hors de prix (18,50 € en 2007) comparé à Seul dans le noir dont le coût est de 19,50 € pour un poids de 175 gr. et 182 pages. Autant dire qu’avec le dernier ouvrage de l’auteur new yorkais, vous avez plus de 30 pages gratuites, ce qui, en période de crise, n’est pas négligeable.

A cet égard, je déconseille vivement la lecture des poètes. Prenez, par exemple, Plume d’Henri Michaux, œuvre légère de 200 gr. pour des pages peu remplies, des textes courts, de longs espaces en blanc entre les paragraphes et entre chaque texte, des lignes remplies seulement par un malheureux astérisque et certaines pages par quelques lignes (10 lignes pour le poème Rentrer dans l’édition 1963 de Gallimard qui, par-dessus le marché, n’est même pas paginée !), c’est du gachis ! Et je ne parle pas,malgré une couverture cartonnée consistante et donc relativement pesante, des Œuvres choisies de Victor Hugo avec des alexandrins qui n’arrivent même pas à remplir la largeur du papier. C’est du vol ! Je le redis, pour les poèmes, la quantité d’encre vendue n’est vraiment pas à la hauteur d’œuvres dignes de ce nom.

En terme de remplissage, les nouvelles ne constituent pas forcément une bonne affaire non plus. Je prendrai pour exemple le Tome I des Nouvelles de Dino Buzzati, chaque nouvelle plutôt courte entraînant autant de pages blanches ou presque pour les séparer. En revanche, avec 715 pages pour un poids d’1 kg, cela nous fait une page à près d’1,40 gr. ce qui ferait peser la dernière œuvre de Paul Auster à plus de 254 gr. ! Je comprends mieux maintenant ma préférence pour l’auteur du Désert des Tartares dont le ton m’a toujours paru infiniment plus léger que celui du précédent, balance à l’appui.

Et justement pour la palme de la légèreté et du meilleur rapport poids-prix-nombre de pages, c’est vers la collection de La Pléiade que je me tourne. Je suis en train de lire l’édition reliée L’Iliade et l’Odyssée d’Homère et là, il n’y a pas photo : pour 42,75 € et 1140 pages très denses, le tout pour un poids seulement de 400 gr., vous pourriez vous offrir, tenez-vous bien, 351 pages de Dans le scriptorium et 420 pages de Seul dans le noir. Finalement, j’arrive à me demander si j’ai fait une très bonne affaire en achetant la dernière œuvre de Paul Auster.

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Article paru le 26 janvier 2009 dans les chroniques des abonnés sur le site du journal Le Monde

http://abonnes.lemonde.fr/opinions/chronique/2009/01/26/litterature-au-poids_1146363_3232.html


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