« Une nouvelle ère de paix commence entre Israël et le monde arabe » par ces mots Benjamin Netanyahu proclame l’ouverture des relations diplomatiques entre son pays et les Émirats arabes unis d’une part, et Bahreïn d’autre part, sous l’égide des États Unis du Président Trump.
Le 15 septembre 2020, les quatre parties signent la « Déclaration d’Accord d’Abraham », composée d’un accord-cadre et d’une déclaration d’intention plus générale. La Déclaration a pour vocation de renforcer «la paix au Moyen-Orient fondée sur la compréhension mutuelle et la coexistence, ainsi que le respect de la dignité humaine et de la liberté, y compris la liberté religieuse ».
Une fois que la messe est dite au nom d’Abraham, principal patriarche des religions juive, chrétienne et musulmane ; l’analyse de cette entente entre ces Etats nous oblige à faire une grille de lecture en trois temps :
- Tout d’abord, le moment de cette déclaration tripartite nous conduit à déceler les opportunités à saisir pour chaque protagoniste ;
- Puis, les intérêts en jeux de ces Accords nous permet d’observer de nouveaux rapports de force géopolitiques ;
- Enfin, les enjeux économiques prennent le dessus sur les enjeux idéologiques.
Moment opportun où chaque partie avance ses pions
Un « sauve-qui-peut » de campagne électorale. Il faut souligner quelques points à propos de cet accord. D’abord, l’implication des Etats-Unis, en l’occurrence du Président Trump n’est pas sans intérêts. Á la veille des élections américaines, tel un joueur d’échecs à l’agonie, le Président de la première puissance mondiale, prétend sauver son bilan au Moyen-Orient et globalement à l’international par ces Accords. Á défaut d’apporter la bonne vieille démocratie dans cette partie du monde, la signature des « Accords d’Abraham » à Washington D.C. serait le symbole diplomatique qui ferait table rase d’un bilan terni par l’exacerbation de la guerre économique contre la Chine, l’escalade de tensions avec l’Iran, et la distanciation partenariale avec l’Union européenne.
Benjamin Netanyahu, chef du parti Likoud, se retrouve malgré lui Premier ministre d’un gouvernement bicéphale. La tenue du procès dès le début de l’année 2021 du chef du « Gouvernement d’union et d’urgence », inculpé pour corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires différentes n’arrange pas sa situation politique sur le plan intérieur. Ces Accords de normalisation avec ses voisins lointains arrivent à point nommé et redorent son blason électoral comme étant l’homme de la situation pour sortir Israël d’un boycott généralisé par les pays arabes. Tel Moïse avec son bâton personnifié par le Président Trump, il divise en deux le consensus des pays arabes constitué en 2002 au Sommet de la Ligue arabe à Beyrouth.
Des problématiques contradictoires
« Jamais deux sans trois ! » L’État hébreu, à la suite de sa création le 14 mai 1948, a eu plusieurs conflits dans sa courte histoire avec ses voisins les plus proches. Les conflits israélo-arabes perdurent depuis sa fondation ayant comme dénominateur commun le désaccord sur la reconnaissance, a fortiori l’existence d’Israël par les pays arabes. Il est à noter qu’il y a eu trois guerres marquantes entre Israël et des coalitions arabes :
- La première, au lendemain de la fondation de l’État d’Israël en 1948, la « guerre israélo-arabe » ;
- La deuxième en 1967, « la guerre des six-jours » ;
- Et enfin la troisième en 1973, « la guerre du Kippour ».
Seul État de religion juive dans cette région, rappelons-nous qu’Israël porte à son crédit deux traités de paix signés avec deux pays arabes : l’un avec l’Égypte en 1979 et l’autre avec la Jordanie en 1994. En 2020, par la signature de ces Accords « de paix sans guerre », les Émirats arabes unis et Bahreïn, reconnaissent de jure, tour à tour, l’existence de l’État d’Israël. Cette Déclaration est donc une grande avancée diplomatique pour l’État hébreu. Digne d’un joueur d’échecs habile et patient, il encercle peu à peu son ennemi, l’Iran, en se rapprochant de ses ennemis d’antan.
« Si vis pacem, para bellum ». L’embargo de l’ONU sur les armes contre la République Islamique d’Iran, a officiellement expiré le 18 octobre 2020, aux termes de l’accord international sur le nucléaire iranien et la résolution 2231 du Conseil de sécurité. Téhéran peut désormais acquérir des « armes et équipements nécessaires de n’importe quelle source sans aucune restriction légale » dixit Mohammad Javad Zarif – Ministre iranien des affaires étrangères.
Il n’est donc pas surprenant, le jour même de la signature de ces Accords, d’apprendre de la bouche mercantile de Donald Trump qu’il n’aurait « aucun problème » à vendre des avions de chasse américains F-35 aux Émirats arabes unis. Ces derniers, par la signature de ce traité, à l’instar du Cavalier aux échecs, se déplacent dans deux directions. D’abord, la normalisation des relations diplomatiques avec Israël est un pas de plus dans leur légitimité internationale d’intégrer le concert des nations. Puis, cette normalisation des relations leur octroie le droit d’acquérir des armes américaines, qui, autrefois, nécessitait la validation, à demi-mots, de cette vente par Israël, afin de se protéger contre Téhéran, ennemi commun aux parties.
L’exploitation de la division du monde musulman
« L’établissement de relations diplomatiques entre deux États, l’État d’Israël d’une part et un État arabe d’autre part, les Émirats arabes unis, est un pas en avant dans cette volonté d’établir une sorte de cordon de sécurité de plus en plus strict autour de l’Iran. » Didier Billion – Directeur adjoint de l’Iris. L’Iran est omniprésente dans la tête des dirigeants arabes. L’influence de l’islam politique qu’elle diffuse à travers le chiisme, l’alternative du sunnisme, est vu d’un mauvais œil par ces États. La loi fondamentale de la République islamique conforte les craintes de ces monarchies du Golfe. L’article 154 de la Constitution prévoit, sans équivoque, l’exportation des « valeurs, principes et idéaux » de la révolution islamique à tous les pays et « soutient la lutte des opprimés pour la conquête de leurs droits contre les oppresseurs dans tous les points
du globe ».
La prophétie du roi Abdallah II de Jordanie, d’ores et déjà formulée en 2004, d’un « croissant chiite » s’est alors confirmée dans les années post-Saddam Hussein, et particulièrement à la suite du « Printemps arabe ». L’Iran, tel le stratège d’un jeu de Go, combinant à la fois l’adresse dans l’exécution et la prudence diplomatique, a su transformer ce Croissant en « Premier quartier » d’influence régionale, en partant du Hezbollah du Liban aux rebelles Houthis du Yémen.
« L’éclaireur du Roi ». Le royaume de Bahreïn, situé au centre du Golfe persique et à 200km au sud de l’Iran, revêt une importance géopolitique. Il abrite, pour ne citer qu’une raison, la principale base navale américaine dans cette région. Téhéran a longtemps considéré que l’archipel – sa « quatorzième province » – lui revenait de droit, notamment du fait de la composition de la population majoritairement chiite, tandis que la dynastie régnante est sunnite. Toutefois, Bahreïn entretient des relations quasi-filiales avec le grand voisin sunnite, l’Arabie saoudite. La Monarchie saoudienne a l’intention de maintenir et de préserver la dépendance économique de Manama vis-à-vis d’elle. Riyad, par la signature des Accords d’Abraham par Bahreïn avec Israël, espère réaliser une pierre deux coups. Elle aspire d’une part, à des échanges économiques avec l’État hébreu par l’intermédiaire de son fils prodige ; et d’autre part, elle souhaite parer l’influence chiite de l’adversaire, la République islamique.
La volonté partagée d’affaiblir l’Iran
« L’union fait la force. » l’État d’Israël, ennemi héréditaire de l’Iran et son allié inconditionnel, les États-Unis d’Amérique, se sont montrés dissuasifs, voire belligérants à l’encontre de Téhéran depuis l’accession au pouvoir de Donald Trump. Ce dernier a donné son feu vert à une frappe américaine pour l’élimination du général iranien Qassem Soleimani à Bagdad, en janvier 2020. Dans la même année, il s’est farouchement opposé à l’échéance du terme de l’embargo de ventes d’armes à Téhéran, en proposant à la communauté internationale un projet de résolution visant à prolonger indéfiniment cet embargo, en vain. Tel Aviv, quant à elle, n’a jamais fait confiance à Téhéran dans sa promesse de respecter l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien de 2015. De plus, Israël s’inquiète, à juste titre, de la possible acquisition de l’arme atomique par un régime qui l’a menacé, il n’y a pas si fort longtemps, de la « rayer de la carte ».
Ces deux acteurs principaux se livrent une guerre à peine voilée où chaque camp montre ses muscles. Israël multiplie ses opérations militaires contre l’Iran en Syrie, un exemple entre mille est la conduite d’au moins sept frappes aériennes contre des positions iraniennes et pro-iraniennes, au printemps dernier. La riposte de la République islamique qui combat le Tsahal depuis dix ans dans une guerre invisible, ne s’est pas fait attendre. Ses Gardiens de la révolution ont perpétré une cyberattaque contre le réseau hydraulique israélien fin avril 2020 et une autre visant la chaîne d’approvisionnement de l’armée israélienne.
Les Émirats arabes unis ayant rejoint en septembre 2019, la coalition navale menée par Washington pour assurer la navigation dans le détroit d’Ormuz, s’ajoutent à cette opération de percée diplomatique pour briser la chaîne d’influence du « Premier quartier » chiite.
Revers de la médaille, c’est une prise de guerre pour l’État hébreu qui humilie la coalition de la Ligue arabe formée contre lui, en s’accaparant d’un pays du Golfe persique. La question qui reste en suspens est la suivante : quand est-ce qu’Israël achèvera la bête en signant un traité de normalisation des relations avec l’Arabie saoudite ?
L’abandon de la cause palestinienne au profit de la realpolitik
« L’or et la vertu sont comme deux poids mis dans une balance, dont l’un ne peut monter sans que l’autre s’abaisse » – Platon. Lors de la signature de la Déclaration d’Accords d’Abraham, la question de la cause palestinienne est tombée aux oubliettes par les acteurs. Les États arabes parties aux Accords, en l’occurrence les Émirats arabes unis jouent sur la sémantique avec leur nouvel allié, afin de minimiser la puissance symbolique envoyée à la communauté oumma par ce rapprochement. Abou Dabi déclare que ce traité met fin à toute annexion supplémentaire de territoire palestinien en Cisjordanie ; mais Tel-Aviv rétorque que l’annexion est suspendue, en d’autres termes elle est reportée – « dura lex, sed lex ». L’initiative de la Ligue des Etats arabes de 2002, conditionnant toute reconnaissance de l’Etat Israël, à la création d’un État palestinien sur les frontières de 1967, s’est alors brisée de facto avec perte et fracas.
« Contre qui a grande réputation, il est difficile de conspirer, de partir en guerre. » – Machiavel. Á la suite de la crise sanitaire et de la récession de l’économie mondiale, Mohammed ben Zayed ben Sultan dit « MBZ » – prince héritier et ministre de la Défense d’Abou Dabi – s’est vu obligé de changer son fusil d’épaule et dévoiler au grand jour sa stratégie de développement économique et sécuritaire de son pays. Israël, dans sa stratégie d’accroissement de puissance, s’est dotée d’une capacité économique, de défense et d’influence sans précédent dans son Histoire. Le partenariat noué avec les Émirats arabes unis et Bahreïn est donc bénéfique pour les deux camps : Tel-Aviv verra son économie gonflée par l’exportation de ses produits à ses nouveaux clients ; et Abou Dabi et Manama pourront accélérer leur redressement économique.
Par ces Accords d’Abraham, certes l’ouverture des ambassades est permise, les échanges à caractère culturel seront promus, et la coexistence dans la paix de chaque Etat est sanctuarisée ; mais aux yeux de chaque partie, ce traité demeure avant tout et essentiellement économique. Toutefois, dans cette partie du monde où les rapports de force sont légion, la « Déclaration d’Accords d’Abraham » rebat les cartes dans la conquête de puissance régionale.
Daniel Beyene
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