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Plume-Patte, de Philippe Villard

Publié le 01 décembre 2020 par Francisrichard @francisrichard
Plume-Patte, de Philippe Villard

Il était connu sous le sobriquet de "Plume-Patte". Un surnom étrange, comme une énigme, un surnom tombé on ne sait d'où et propagé on ne sait comment pour coller aux basques d'un homme qui, pour certains, était même devenu un mythe.

Plume-Patte s'appelle en réalité Robert Duillier, mais personne ne l'appelle ainsi, sauf peut-être, quelquefois, sa femme, celle qu'en son for intérieur il appelle La Rombière et à laquelle il échappe autant qu'il le peut pour mieux revenir, essuyer sans mots dire ses colères et... filer doux.

Pour gagner sa croûte, il est gardien de nuit ici et là: Mais, pour lui, veiller, ce n'était pas du boulot. Enfin, pas un "vrai". C'était plutôt quelque chose comme une occupation. En tout cas, c'est préférable aux trente-six métiers qu'il a exercés auparavant et qui malmenaient son corps.

Ce qu'il fait le mieux, dans la journée, c'est, dans son garage, rafistoler des mécaniques pour Jean-Pierre Balme, le carrossier d'à côté, qui le paie en pièces de dix francs et qui emploie le grand Gégé pour repeindre les voitures qu'il a retapées. Lequel Gégé, d'ailleurs, le fournit en primeurs...

En cette seconde moitié du XXe siècle, touché par la grâce, il a tout de suite compris la course des pistons, la danse des soupapes, le ballet de la distribution. Il sait soulager les hoquets d'un carburateur, caler des allumages, régler un diesel à la goutte, chorégraphier les transmissions.

Cette science, qui ne s'apprend pas dans les livres, lui permet de réparer la Bentley de Mister Rosbif, Hubert-Gaëtan Favre-Murisier, un rupin, qui n'en croit pas ses oreilles quand il lui en fait écouter le moteur avant et après son intervention. À l'intérieur, quelque chose, avait changé:  

Il n'aurait su dire ni quoi ni comment. Il lui semblait qu'une nouvelle harmonie s'était installée. Une rondeur charnue, dense, équilibrée, satisfaite, émanait de ces pièces en mouvement.

Plume-Patte n'a pas de conscience de classe. Il sait qu'il appartient au monde d'en-bas. Il n'en souffre pas du moment qu'on ne l'empêche pas d'être heureux. Sans le savoir, c'est un sage qui fait sienne ce que disait le poète Horace: Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain.

Il est heureux quand, au garage ou chez Loulou, il boit un coup, joue à la belote ou fait ripaille avec les copains: le grand Gégé, Gilbert surnommé Clarence, Jo, La Brusque, le père Zinzin, la Nasa, Marius La Ch'ville, le docteur Floch, Juju ou Mémé La Grolle, tous gens de peu, petites gens.

Ce monde est-il englouti comme le suggère la progression religieuse des chapitres? Non. Mais il a évolué et reste invisible pour ceux qui d'en haut décident ce qui est bon pour lui, sans scrupule à le voir disparaître s'il empêche la machine étatique de tourner rond pour eux qui en profitent.

Le roman de Philippe Villard est précieux, parce qu'il montre qu'on peut vivre autrement. Ce ne sont pas l'ultralibéralisme, qui est un fantasme, ni les nouvelles technologies qui ne le permettent pas, mais les atteintes aux libertés individuelles auxquelles tenait Georges Brassens, souvent cité.

Francis Richard

Plume-Patte, Philippe Villard, 192 pages, Éditions À plus d'un titre


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