Interpellé et mis en cage le 18 février 2019 parce que soupçonné d’appartenir à la Brigade anti-sardinard (Bas) en pleine période des marches initiées par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), cet ingénieur allemand d’origine camerounaise, condamné à trois ans ferme de prison, a été libéré samedi dernier.
Sur les photos prises et publiées sur les réseaux sociaux par certains de ses sympathisants samedi après sa levée d’écrou, c’est un Wilfried Siewe à la barbe grisonnante, à la silhouette svelte et un sourire qui peine à illuminer son visage sur lequel se dessine malaisément quelques rides. Sac en bandoulière, lunettes de soleil sur le front, culotte de couleur marron et chaussure en daim, l’homme au teint noir ébène (qui goûte à peine à la saveur de la liberté), tient dans sa main gauche, un tas de documents et une bouteille d’eau minérale. Congratulé pour son courage, célébré pour sa résistance à cette douloureuse épreuve qu’a été la prison et porté en triomphe tel un héros, c’est une nouvelle page qui s’ouvre dans la vie de l’ingénieur allemand d’origine camerounaise. Après avoir passé deux années derrière les barreaux, ce dernier revient de l’enfer. Lui qui a vécu un procès kafkaïen pour des raisons « banales mais amplifiées à des fins inavouées par une justice aux ordres » pour reprendre des morceaux choisis de commentaire qui accompagne l’info sur la toile. Coupé de sa famille, de ses amis et collègues, ce désormais ex-employé de la société Siemens garde certainement dans un coin de sa mémoire, le film de son arrestation ce fameux 18 février 2019.
L’affaire Kamto
Alors qu’il est venu passer ses congés au Cameroun avec sa femme et ses deux enfants, il est cueilli par les forces de sécurité le jour même où il devrait rentrer en Allemagne. Profitant de la journée, il avait décidé de faire quelques photos pour immortaliser leur séjour au pays natal. Frappé par la splendeur de la Cathédrale de Yaoundé, la Poste centrale, le jeune touriste va également prendre des photos au Palais de justice. Mal lui en prend parce que, le même jour passait en audience l’affaire Maurice Kamto, embastillé avec une vingtaine de ses partisans pour avoir organisé des marches pour s’insurger contre ce qu’ils appellent « hold-up électoral ». Wilfried Siewe va être interpellé et sommé de remettre son appareil.
L’homme s’exécute. En consultant l’appareil photo, les policiers découvrent des images d’une manifestation de contestation qui s’était déroulée en Allemagne et imputée à tort ou à raison à la Brigade anti-sardinards (Bas). Argument suffisant pour l’indexer comme faisant partie de ce mouvement qui à l’extérieur du Cameroun, peint au vitriol le régime en place, l’accusant d’être à l’origine de la situation conflictuelle du pays, secoué de toutes parts, par des crises multiformes. Le rapprochement est ainsi fait et le présumé bourreau aux arrêts.
Soulèvement à Kondengui
C’est ainsi que le sieur Siewe va être conduit dans un premier temps au Groupement mobile d’intervention (Gmi) et c’est tard dans la soirée qu’on va le conduire à la Police judiciaire où il sera gardé à vue pendant un certain nombre de jours avant d’être finalement déféré au Tribunal militaire où il est placé en détention provisoire et le dossier quotté à un juge d’instruction. La chance semble sourire au prévenu puisqu’avant même la date de la première audience, intervient l’arrêt des poursuites relativement à ceux-là qui étaient poursuivis dans le cadre de l’affaire Mrc. L’homme va donc bénéficier de cet arrêt de poursuite. Mais comme frappé par un sort, le pauvre va être mis à l’index au même titre que ceux des détenus qui ont fomenté un soulèvement à la prison centrale de Kondengui le 22 juillet 2020. Nouvelle condamnation, nouvelle épreuve.
Qui va payer la note ?
A la première audience cette fois au Tribunal de première instance de Yaoundé-Ekounou, Siewe sollicite le renvoi pour préparer sa défense. Chose curieuse, à l’audience de renvoi, le détenu n’est pas été extrait. L’affaire est mise en délibérée quand bien même l’accusé n’a pas été entendu. Pire, le juge qui n’a jamais voulu rabattre le délibéré à la demande des conseils de Siewe constitués des Maîtres Ambroise Marcel Mong et Henry Kouokam, condamne sévèrement ce dernier à trois ans d’emprisonnement fermes le 28 août 2019. C’est le début d’un long cauchemar marqué par les péripéties qu’enfante la procédure. Comme une justice aux ordres, l’accusé va vivre le martyr pendant des mois interminables. Les multiples appels de ses conseils dans l’optique de relever l’urgence d’œuvrer pour la respectabilité de la justice camerounaise, vont rester lettre morte. Après deux ans sevré de liberté et incapable de jouir de ses droits, l’homme est libéré.Sans être jugé mais condamné pour rien. Comment va-t-il rattraper ce temps perdu ? Qui va donc payer la note (salée) ?
Qui va réparer ce grave préjudice causé sur un individu qui a perdu son emploi entre temps et n’est pas sûr d’en trouver un autre dans ce pays où la crise de l’emploi est une réalité implacable ? Et dire que le Cameroun se targue d’avoir une justice équitable !