L'aménagement culturel des territoires ne cesse de se recomposer en fonction des réformes politico-administratives , comme la loi NOTRe, par exemple. Le principe libre administration de chaque échelon territorial est maintenu et les champs de compétences peuvent ou non être partagés. Au delà des modalités antérieures de financements croisés ou de partenariat s'est imposé la création d'établissements publics de coopération intercommunale ?
Quels sont les fondements et les réalités de cette coopération en matière de politiques de la culture ?
La recherche du Laboratoire d’usages culture(s) art société (LUCAS) est portée par la fédération Arts vivants & départements. Elle étudie l’état de la coopération entre départements et intercommunalités en matière de politique culturelle et se structure autour des problématiques suivantes : Pourquoi les intercommunalités et les départements coopèrent-ils en matière de politique culturelle ? Comment la coopération culturelle se manifeste-t-elle dans les départements et les intercommunalités (territorialisation de l’action culturelle, nouvelle fabrique culturelle territoriale) ? Quels sont les effets de la coopération culturelle sur l’action culturelle et les territoires ?
Pour répondre à ces questionnements, l’équipe du LUCAS a réalisé dix études de cas auprès de territoires ayant manifesté leur intérêt pour le projet
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Les limites de la coopération culturelle
Les transformations sont multiples, elles sont organisationnelles, sectorielles, politiques ou encore culturelles… Et pourtant, l’analyse plus fine des mutations nous laisse une étrange impression d’inachevé. Les acteurs culturels, les artistes et la société civile restent à la marge et peinent à accéder au code source de la fabrique culturelle. Les droits culturelsrestent confinés dans le hors-sol, et à une critique esthétique, littéraire et conceptuelle. Ils éprouvent toutes les difficultés à atterrir et à s’incarner dans la culture du quotidien et la fabrique des coopérations culturelles. La portée des outils d’intelligence collective se limite à la formation des quelques agents de collectivités.
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La coopération culturelle s’invente d’abord par le haut, par les politiques culturelles, par les dispositifs contractuels, par l’État et les collectivités publiques, avant de se tourner vers les territoires, les usages, les expériences, les besoins et les aspirations d’acteurs non institutionnels et non culturels. Elle éprouve des difficultés à s’extraire d’une culture de l’offre et d’un modèle de gouvernance vertical et descendant. Elle peine à se mouvoir dans un entre deux et à créer des porosités entre l’upperground des institutions culturelles labellisées et immergées dans les préceptes de la démocratisation culturelle, et l’underground des acteurs culturels émergents et animés par le référentiel des droits culturels.
© Sonia Zannad The Conversation. 13 octobre 2020
© Sonia Zannad The Conversation. 13 octobre 2020
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Il est à noter que le Laboratoire d’usages culture(s) art société(LUCAS) semble ignorer l’existence des travaux de l’Institut de coopération pour la culture auquel j’ai eu le privilège de participer pendant quelques années.
Je renvoie donc au texte Mieux faire culture, ensemble, synthèse de nos travaux, publié en février 2018 et je reviens sur la conclusion d'une des toutes premières contributions de ce même collectif dans la mesure où elle posait la question des fins et des valeurs, sans lesquelles aucune action éducative, culturelle ou politique ne saurait avoir de sens (autre que purement gestionnaire).
Pour un pivotement stratégique des politiques culturelles publiques.
(ICC, mars 2013)
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Valeurs, questions et processus.
Il faut pouvoir proposer une reformulation : si nous prenons au sérieux la proposition d'une politique culturelle humaniste soutenue par la puissance publique, sur quels fondements pourrait-elle s'appuyer ?
Nous en avons repéré trois :
L’émancipation : quelle signification en donner aujourd'hui ? Comment composer le singulier avec les emprunts faits à d'autres communautés ? De quelle manière le collectif peut-il être une source d'étayage de la singularité ? Comment faciliter l'appropriation des situations proposées ? La revendication d'une singularité est très forte aujourd'hui. La responsabilité de la puissance publique n'est-elle pas d'agir sur cette articulation entre singularité et socialisation, avant que le marché ne s'en occupe exclusivement.
La solidarité: partons du principe d'interdépendance entre tous les individus. La puissance publique peut-elle proposer des principes d'organisation, de régulation des liens existants entre les individus et les collectifs, entre ceux possédant plus de moyens de ressources par rapport aux autres. Pourrait-on mieux agir sur le partage des risques et des incertitudes ? Solidarité et équité sont des valeurs sur lesquelles peuvent se construisent de nouvelles réponses ;
La délibération: tous les acteurs ont à faire face à des situations d'arbitrages permanents. Cela provoque de très nombreuses incompréhensions et tensions. Il y a là un véritable défi d'aller vers une démocratie et une laïcité culturelles qui soit en mesure de tenir compte des complexités dans lesquelles nous vivons et d'être plus souple dans les solutions à construire. Cela demande de créer toutes les conditions d'une implication de l’ensemble des acteurs concernés, y compris les citoyens. Cela exige tout autant de dégager un accord de principe sur la façon de trancher entre options parfois d’autant plus non conciliables quand il s’agit de questions artistiques ou culturelles qu’elles relèvent de choix subjectifs profondément intériorisés et profondément structurant pour la personne humaine ou ses communautés d’appartenance.
La mise en évidence de ces trois piliers doit pouvoir faire écho à trois processus complémentaires :
les processus de reconnaissance, les processus d'organisation ouverte en phase avec les réalités et enfin les processus de régulation et de redistribution capables de répondre aux difficultés actuelles. Cela suppose de retrouver une capacité collective à produire de la signification. C’est tout l’enjeu des travaux de l’Institut de Coopération pour la Culture.
L'urgence contre l'importance, la réforme contre la refondation.
J'ajoute à ces considérations de poids, quelques extraits d' une note que j'ai rédigée en février 2019 dans laquelle je tentais de faire le point sur ces travaux collectifs.
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Un climat général s'est installé dans lequel de moins en moins nombreux sont ceux qui peuvent se donner le temps de lire, penser, délibérer. L’urgence l'emporte sur l'importance.
Et pourtant, dans la réalité de l'espace politique et culturel et social, il se passe des choses nouvelles et intéressantes (d'où notre attention constante à procéder à partir d'études de cas) : leur analyse requiert patience et sens de la complexité. N'en prédomine pas moins chez certains un désir de « boîte à outils ».
Les échanges de notre dernier séminaire ont renouvelé le constat d'une réalité bloquée et d'une problématique bien plus complexe que ce que répètent à l'envi les propos conventionnels à la recherche d'une issue de secours.
On peut en retenir la suggestion faite alors de s'orienter vers un « tour de table des expériences possibles » : faire renaître le désir politique de nouvelles aventures artistiques et culturelles, susciter l’appétit des responsables pour un ré-examen de l'institué et l'ouverture du champ des possibles ?
En d'autres termes inviter à passer de l'aménagement du territoire, du maillage en équipements et de la production d'une « offre » à une logique de l’accompagnement des initiatives et des projets qu'ils viennent des artistes, des professionnels ou de la société civile .
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Dans l'actualité de cet environnement de prises de position, déclarations et propositions, on n'en finirait pas de dénombrer les manifestes qui affirment qu'il faut tout changer, refonder, reconstruire...
A mesure que les décisions de ceux qui détiennent le pouvoir ne cessent de s'affairer de manière systématique à la désorganisation durable, les dynamiques porteuses d'alternative sont contenues dans les marges et sous le plafond de verre des avantages acquis et du désordre établi.
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L'avenir a une histoire.
Un possible chemin de traverse consisterait à rappeler les moments successifs où l’État s'est interrogé (ou s'est trouvé interrogé) sur ses impasses et la nécessaire « refondation » de sa politique culturelle. Dès avant le rapport de Jacques Rigaud «Pour une refondation de la politique culturelle » (1996), la mise en cause des dix premières années du Ministère de la Culture dans la déclaration de Villeurbanne en 1968 ; le nouveau référentiel du développement culturel (Jacques Duhamel et la déclaration d'Arc-et-Senans -colloque sur la Prospective du développement culturel -1972), etc. viennent ponctuer une longue histoire d'appels au renouveau.
En d'autre termes, on pourrait creuser cette piste : dans une démocratie, la légitimité de l’intervention du (des) pouvoir(s) dans les champs artistique et culturel ne va jamais de soi, doit sans cesse être réinterrogée... au même titre que la démocratie elle-même.
« Je conçois la culture comme ce processus d’auto-création de l’homme par la culture, et j’essaie de travailler sur ce que cela signifie pour la démocratie. Il ne peut pas y avoir de projet de démocratie réelle s’il n’y a pas de place pour la culture et la création » (Catherine Trautmann)
D'où un possible et salutaire pas de côté à l'égard des fausses évidences du « secteur culturel », la nécessaire rupture avec l'entre soi d'un « monde de la culture ».
Dans la même perspective, on peut aussi se rendre attentif et travailler sur l'écart entre les idées reçues et les périmètres convenus sur lesquels s’entendent élus et professionnels avec les représentations de la culture portées par nos concitoyens (« Les représentations de la culture dans la population française », J.M. Guy, DEPS, Ministère de la Culture,2016).
En finir avec « la » culture ?
« J’ai souvent pensé que l’éducation n’était pas assez culturelle et que la culture se souciait trop peu d’éducation. Aussi, ma première entreprise sera-t-elle de faire fusionner les deux Ministères. Le Ministère des Savoirs, tel deviendra son nom - celui de « Culture Nationale » revêtant des consonances suspectes, quand celui d’« Éducation Culturelle » présente un petit côté patronage assez malheureux - aura pour mission d’ouvrir davantage l’école à la culture et d’orienter clairement la politique culturelle vers l’éducation ». (...)
Cecile LadjaliUn ministère des savoirs, MARDI, 11 AVRIL, 2017 L'HUMANITÉ.
A de rares exceptions près -comme ci-dessus-, le paradoxe des appels à « refonder » les politiques culturelles est qu'ils contribuent à reconduire la catégorie « culture ».
En oubliant qu'il s'agit bien plus fondamentalement de refonder les politiques, bien plus radicalement de redonner sens et valeur au politique.
La spécificité de l'artistique et l'exception culturelle n'autorisent pas à négliger le droit commun de toute action publique en temps de crise.
Pour des politiques publiques cohérentes et articulées, la règle générale devrait être de mettre en avant la délibération, la coopération, la participation et le contrôle citoyen. Ce sont des principes qui valent pour tous les champs de même que la rigueur dans l'expertise des configurations, l'intelligence et le courage dans la fabrication des agencements pragmatiques. Le décloisonnement administratif, la cohérence stratégique et l'efficience tactique devraient nourrir des politiques transverses et en interaction les unes avec les autres, agir sur un écosystème où l'attention aux cultures plurielles s'articule avec l'instruction, l'éducation, la formation, la solidarité et les dynamiques territoriales.
Dès ses premiers travaux, l'Institut, contre les routinisations du « monde de la culture », s'est efforcé de mettre en exergue les valeurs humanistes qui devraient être au fondement de l'action publique en faveur de « la culture » : émancipation, solidarité, délibération .
« La responsabilité de la puissance publique n'est-elle pas d'agir sur cette articulation entre singularité et socialisation, avant que le marché ne s'en occupe exclusivement ? ».
Au cœur de la diversité culturelle et de la multiplicité des appartenances, elle doit créer pour chacun les conditions lui permettant de s'élever, de se libérer des conditionnements y compris les plus profondément intériorisés ce qui constitue un appel à creuser la notion de laïcité culturelle.
(...)
J.C. Pompougnac, février 2019.
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