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Heiligenkreuz — Chez les moines blancs de Sainte- Croix qui gardent le corps de Marie Vetsera. Un texte de Maurice Verne.

Publié le 11 décembre 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco

Heiligenkreuz — Chez les moines blancs de Sainte- Croix qui gardent le corps de Marie Vetsera. Un texte de Maurice Verne.

Crédit photo : Henryk Żychowski


Chez les moines blancs de Sainte- Croix qui gardent le corps de Marie Vetsera
    Cette abbaye de Heiligenkreuz, entourée de murailles, avec ses portes monumentales, est une suzeraineté du moyen âge parmi nous. Les moines règnent sur la région, où ils possèdent depuis huit siècles, terres, labours, coteaux de vignes, bois. Ils ont leurs domestiques et leurs troupeaux, trafiquent un vin savoureux qu'on peut boire sur place dans une taverne installée dans le couvent. Moines à robe blanche et chasuble noire, demi- fermiers et intellectuels. C’est donc une petite ville que l'abbaye de Sainte-Croix ; chaque siècle y a laissé ses beaux morceaux de pierre : les successives sculptures du cloître aux trois cents colonnes, ses nobles décorations sur les murs des salles d'apparat, un chapitre enchanteur, sa chapelle romane fleurie à l'intérieur des dentelles du flamboyant. Les moines avaient la garde des tombeaux des margraves de Babenberg qui précédèrent sur le trône les Habsbourg. On voit dans la crypte aux épaisses ténèbres Frédéric le Lutteur, étendu, hiératique sur les dalles ; la vieille Ostarrichi lui doit son étendard — il frappait d'estoc et de taille dans les batailles, son vêtement blanc et son armure étaient couverts de sang, un soir de combat il retira sa ceinture, elle avait laissé une tache blanche et les preux en firent ce pavillon d'Autriche qui n’a plus bougé — rouge et blanc... 
    Depuis l’an 1135, et les créateurs de l'abbaye, les religieux français de Citeaux, les moines pensaient bien limiter ainsi leur multiple et active besogne de seigneurs féodaux du pays de Mayerling et autres lieux, mais ceux qui gardaient le panthéon des Babenberg se virent requis de veiller sur le corps d’une petite princesse de songe et de beauté. Et la vieille maman Baltazzi leur laissa, à sa mort, une partie de sa fortune pour qu’ils prient pour l’âme de la tendre et pitoyable pécheresse.     Mystérieux et incessants retours de l’histoire d'Autriche. 
La tombe de Marie Vetsera 
    C’est par un calvaire au cortège de hauts saints et saintes de pierre, entre des rangs d’arbres qui forment une tremblante nef de verdure qu’on gagne le cimetière. Chaque palier de la dure grimpée recèle une chapelle où se joue une scène du Golgotha avec d’autres personnages coloriés. Le calvaire épouse l’échine d’un monticule et le redescend. Et le cimetière s’étend, devenu un point de pèlerinage sentimental universel comme l’apocryphe tombeau de Juliette à Vérone. Le cimetière s’étale sur la pente douce d’une colline, le gazon le recouvre et les premiers sapins des bois proches l’abritent. Dès l’entrée, à gauche, un large  carré, qui est un parterre, entoure la dalle de marbre gris ornée de six anneaux de fer. Elle dort là cette enfant qui aima un prince, fut la victime d’une machination politique et mourut dans une étreinte : la Juliette authentique. Une croix de marbre blond monte entre des arbustes funéraires. 
Mary Freiin v.Vetsera, geb. 17 märz 1871. gest. 30 jänner 1889; wie eine Blume sprosst der Mensch auf und wird gebrochen (Hiob 142). 
    Le livre de Job dit : « L’être humain pousse comme la fleur et comme la fleur il est fauché...» 
La nuit d’effroi 
    — II y avait, monsieur, un signe diabolique sur cette scène...     Le fossoyeur est le fils de celui qui, à minuit, reçut le corps de Marie Vetsera, que le comte Stockau et Alexandre de Baltazzi descendirent de la voiture, en le reprenant chacun par un bras, comme une femme lasse qu’on soutient, et menèrent dans la chapelle du cimetière où attendaient le père supérieur de l’abbaye et les policiers.     — On avait creusé la fosse à la lueur des lanternes, mais par trois fois la terre rejetée retomba et la referma. Mon père et ses aides virent là un signe néfaste et refusèrent de reprendre le travail, ce furent les policiers venus de Vienne qui l'achevèrent enfin, sous les rafales de pluie.     « Quand, le cadavre arriva, debout, entre le comte Stockau et Alexandre de Baltazzi, les témoins se signèrent.. La morte gardait les yeux grands ouverts et sa bouche semblait vouloir appeler ; du sang était sur elle, mon père ne savait rien encore, mais il pensait bien que quelque chose d’extraordinaire venait de se passer car on ne voit pas souvent une morte enterrée à minuit, avec précipitation. On étendit la jeune fille, qui demeurait très belle, mais ses longs cheveux noirs se déroulèrent, ils paraissaient vivants et refusaient de tenir dans le cercueil, et les témoins virent là un nouveau signe maléfique ; on cloua le couvercle et on descendit vers la tombe ; les hommes glissaient sur le terreau mélangé de neige, de gel et de flaques d’eau, les policiers précédaient le cortège en tenant haut les lanternes et tout bientôt, fut fini. » 
L’autre chapelle expiatoire 
    Nous entrâmes dans la chapelle sur le versant montant du cimetière, qui est entourée des tombes des moines couvertes de lierre. Ce qui fut refusé à Mayerling pour la mémoire de Rodolphe a été réalisé ici : du mystère rend les vieilles pierres parlantes. Tout y dit la douleur. Maman Baltazzi offrit le vitrail central, au-dessus du simple autel de marbre blanc, deux têtes d’anges ont les traits de Marie et du jeune frère mort brûlé vif. Au pied, les pères supérieurs de l’abbaye sont enterrés. Mais c’est Marie qui devient l’ange du lieu. Ladislai et Maria. Mater dolore afflicta, les inscriptions émeuvent : « Dieu m’a enlevé mes enfants », clame sur les murs la vieille mère qui n'eut pas le droit de mettre le baiser d'adieu sur le front de la morte.     — Mme Baltazzi, dit le fossoyeur, put venir quelques jours après, quand on eut à peu près arrangé la tombe ; elle allait de la chapelle à la tombe, un peu comme une femme ivre, demandant sans cesse les détails à mon père, et devant la tombe elle demeurait de longs moments, appelant : « Marie, ma petite Marie ! » On aurait dit une mère qui endort son enfant au berceau.     — Eut-elle une plainte?    — Jamais.... elle raconta par la suite à mon père que pendant des jours elle alla attendre dans l'antichambre de la Hofburg afin que l’empereur la reçût. Elle voulait lui demander s’il n’était pas resté quelques reliques dans la chambre de Mayerling. Le prince de Montenuovo lui répondait invariablement que l’empereur ne la recevrait pas ; elle espérait tout de même que l'empereur sortirait de son cabinet, et alors elle se serait jetée à ses genoux et l'aurait supplié ; elle vint de nombreuses fois inutilement. La dernière fois, l’impératrice, en grand deuil, sortit du cabinet de l’empereur, traversa l'antichambre, Mme Baltazzi se précipita, l’impératrice la reconnut, ne fit pas un geste et passa. « J’ai compris, disait là pauvre femme à mon père, que j'étais coupable, que j’étais condamnée », et elle ne retourna plus au palais.     — Est-il vrai que l’impératrice vint au cimetière de Heiligenkreuz ? — Oui, mon père m’a raconté la scène. Mme Baltazzi priait sur la tombe quand une voiture de Vienne, qui n'était pas une voiture de la cour, s’arrêta devant le cimetière ; une dame voilée descendit et vint à la tombe, elle vit Mme Baltazzi mais ne s’en retourna pas, elle demeura un moment devant la grille. Mon père avait reconnu l’impératrice. Les deux mères se regardèrent, Mme Baltazzi était si saisie qu'elle ne fit pas la révérence protocolaire, l’impératrice, au bout d'un moment, se retira. Mme Baltazzi dit alors à mon père : « L’impératrice a pardonné à Marie, elle est venue ». 
Le dernier héros de Mayerling 
   Le hasard voulut que le jour de ma visite un jeune homme vînt trouver le fossoyeur, qui achevait son récit pour nous, et lui annonça qu’il allait repeindre la tombe de son ami pour la Toussaint proche. Le fossoyeur nous le présenta :    —Monsieur, dit-il en me désignant, est un écrivain français qui va parler de Marie. Le jeune homme nous invita à le suivre. Nous nous trouvâmes devant un petit tertre qui portait à la tête le chevalet avec l’inscription et deux lanternes-de-verre glauque.     — La dernière victime de Mayerling ! nous dit-il. Sur le cartouche il était écrit : Ewald Laumann, 22 ans.     « C’était mon meilleur ami, messieurs, il avait eu la tête tournée par la beauté de Marie Vetsera, il l’aimait comme une vivante, sa chambre de Vienne était pleine des photos de la morte, il lui écrivait des vers où il la plaignait. Un jour il n’y tint plus, il vint devant la tombe de Maria et se tira un coup de revolver.     Le fossoyeur compléta :     — Le pauvre gosse ! C’était le 30 août 1926, par une belle matinée de printemps, j’entendis la détonation, j’accourus, je vis ce jeune homme affaissé, il était mort sur le coup. On nous montra le portrait d’Ewald, qui était employé des postes à Vienne, une belle tête d’adolescent aux yeux ardents.     — Chaque année, avant la Toussaint, reprit ie jeune homme, qui préparait sa peinture, ie viens repeindre la tombe d’Ewald car ses parents nee lui ont pas pardonné d’avoir préféré la pensée d’une jeune fille morte depuis quarante-cinq ans. à leur tendresse vivante.     Ainsi finit, le drame de Mayerling par le suicide d’un petit employé de- . poste qui rêvait. MAURICE VERNE.
Un texte extrait d'un feuilleton de l'Intransigeant (décembre 1934)

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