Tilenga combiné à l’EACOP (East African Crude Oil Project) est un vaste projet d’exploitation pétrolière dans la région de l’Afrique des grands lacs, mené par le groupe français Total et le chinois CNOOC (China National Offshore Oil Corporation). En effet, le projet Tilenga consiste en la création de 34 plateformes de forage et une zone industrielle, dans la zone du lac Albert et au sud du Parc National de Murchison Falls en Ouganda. Une fois le pétrole extrait et stocké, il sera acheminé via le projet EACOP, soit un pipeline chauffé à 50 degrés et enterré sur 300km en Ouganda et 1150km en Tanzanie, jusqu’au port de Tanga dans l’Océan indien.
L’intervention des ONG
Avant même la finalisation et la mise en route de ce projet, le géant de l’énergie Total est attaqué sur deux aspects différents. L’ONG d’origine anglaise OXFAM, délivre un rapport détaillé qui rend compte d’une enquête réalisée principalement sur le volet financier. Elle dénonce une évasion fiscale de Total et Cnooc via des filiales néerlandaises. Les Pays-Bas étant le premier investisseur en Ouganda, ils bénéficient d’accords privilégiés dont une exonération d’impôts dès lors qu’une entreprise Néerlandaise possède plus de la moitié des actions d’un actif sur le sol. Selon le rapport, ce montage financier constituerait une perte de 287 millions de dollars pour l’Ouganda sur la période des 25 années pour un seul des 4 blocs d’exploration (25 années qui correspondent à la concession).
Côté français, les deux ONG les Amis de la Terre et Survie publient un rapport conjoint de 42 pages intitulé : Manquements graves à la loi sur le devoir de Vigilance, le cas Total en Ouganda. Elles accusent la firme internationale d’être responsable d’avoir forcée des déplacements massifs de population et d’imposer des restrictions aux communautés locales dans l’usage de leur terre avant même d’avoir perçu une compensation. Le volet de risques liés à l’environnement est aussi fortement présent, Total serait responsable d’une destruction d’une partie de l’habitat naturel des animaux de la zone et exploiterait des sols sur un emplacement de réserve naturelle.
Les stratégies informationnelles des différentes parties prenantes
Côté ONG, la stratégie est à la mobilisation par le nombre de militants, tout le réseau s’active et on relaie l’information sur une trentaine de sites officiels. Chaque structure ayant sa sensibilité : OXFAM sur le volet financier et les Amis de la Terre et Survie sur le volet humanitaire et environnemental. On peut citer également d’autres organisations qui mènent le combat comme AFIEGO (African Institute for Energy Governance), CRED (Cercle de Recherche sur les Droits et les Devoirs de la Personne Humaine), NAPE (National Association for Primary Education) et enfin NAVODA (Navigators Of Development Association). Tout le panel des outils de communications modernes est mis en route : des vidéos Youtube montrant des témoignages d’habitants de la zone se disant démunis de leurs terres, et sur lesquelles les récoltes ne sont plus possibles, sont mises en ligne. Des pages Facebook et de nombreux commentaires twitter à ce sujet sont relayés.
Le public visé par cette communication de dénonciation est constitué majoritairement de militants écologistes radicaux, d’opposants aux grands projets d’aménagement des territoires, de défenseurs des animaux et également de la mouvance altermondialiste.
Une polémique avec des incidences juridiques
L’affaire est également menée devant le Tribunal de Nanterre, ce qui permet une exposition médiatique encore plus importante, car le combat est mis en avant désormais via la presse à grande échelle (AFP, le Monde, le Point, le Figaro) et atteint par conséquent un public plus vaste. La médiatisation de structure comme Les Amis de la Terre sur ce genre d’affaire est bénéfique car elle fait grandir leur sphère d’influence. Chez Total, la communication sur le projet Tilenga est axée uniquement sur les retombées positives sociales et économiques. Sur le site de Total, on trouve une plaquette qui annonce la création de 9 800 emplois générés par la combinaison Tilenga / EACOP (6000 emplois en Ouganda et 3800 en Tanzanie). Le volet environnemental est abordé, la firme s’engage à préserver l’environnement local, met en avant une volonté de réduire au maximum l’impact sur les populations locales en limitant des relocalisations et d’indemniser les familles le cas échéant. Sur la chaîne Youtube de Total Ouganda, on voit des acteurs locaux investis dans ce projet de grande envergure qui témoignent de l’impact positif du projet. Ainsi, la définition même du projet Tilenga par Total est : « un projet d’intérêt socio-économique ». La stratégie est de remporter l’adhésion ici, avec l’idée que ce projet amène de la richesse, de l’activité et du développement local.
La manière de communiquer de Total
Dans sa contre-attaque, Total a demandé un droit de réponse à la suite du rapport détaillé des Amis de la Terre et Survie. Les Amis de la Terre ont accepté de publier la réponse du porte-parole de Total directement sur leur site internet. Total, par ce biais, pénètre habilement le même canal de communication que l’ONG, utilisant leur propre système d’information pour contrecarrer leur attaque et ainsi atteindre les militants directement. Total montre dans ce procédé, une certaine ouverture en répondant directement sur le site de leurs détracteurs, ce qui est une manière de mettre en scène une volonté de transparence. Le contenu du communiqué se veut rassurant et la firme met l’accent sur sa volonté de poursuivre son engagement, dans le respect des populations et de l’environnement tout en condamnant les mauvaises pratiques s’il y en a eu. Les amis de la Terre, en acceptant ce procédé, bénéficient d’une plus grande visibilité et leur confère une certaine importance. On remarquera dans la polémique, que le groupe pétrolier ne répond à aucun moment sur les accusations de fraude fiscale, ce point reste en interrogation.
Pour finir, on peut s’interroger sur une possible stratégie de la Tullow Oil, entreprise britannique au départ actionnaire à 33.33% dans le projet Tilenga et EACOP. Cette multinationale a revendu ses parts du projet à l’entreprise Total en mars 2020 pour cause de manque de finance, ce qui est un aveu de faiblesse vis-à-vis de ses ex-partenaires. Ses partenaires (Total et CNOOC) restent concurrents, donc en se retirant du projet tardivement, la Tullow Oil a potentiellement un fort pouvoir de nuisance dont il est difficile d’évaluer les conséquences dans les faits.
Camille Reymond
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