Carl-Moritz Frank
Je ne connaissais pas l'anecdote du tailleur Carl-Moritz Frank, qui donna sans le vouloir un malencontreux coup d'épingle à l'archiduc Rodolphe et y vit le présage d'une mort prochaine. Le journaliste Léon Treich la relate dans Le Petit Journal du 24 septembre 1935 .Les nouvelles qui reviennent périodiquementpar Léon Treich Ou nous nous trompons fort ou, celle-ci, nous l'avions déjà lue dans les journaux autrichiens et allemands, il y a deux ou trois ans : on va vendre le fonds, du célèbre tailleur viennois Carl-Moritz Frank. S'agissait-il, en 1932 ou 33, de la fermeture de la fameuse maison, et aujourd'hui en effet, de sa vente ? Il est possible. Toujours est-il que, depuis de longs mois, les descendants de Carl-Moritz Frank ne prenaient plus mesure à personne. Victimes, comme tant d'autres, de la ruine de l'empire austro-hongrois et de la décadence de Vienne. Durant plus d'un siècle cependant, le tailleur Frank, ses fils et ses petits-enfants eurent l'honneur d'habiller tous les rois d'Europe, ceux notamment (ce furent leurs plus fidèles clients !) ceux notamment de Grande-Bretagne. Napoléon III avait été, lui aussi, pendant quelque temps, servi par les Frank. Puis, sur les conseils de l'Impératrice qui ne manquait pas de bon sens et d'intelligence pratique, il s'était fait habiller à Paris, et n'avait pas été plus mal habillé. Bien entendu, toute la cour austro-hongroise passait chez Frank. C'était lui qui taillait les vêtements de cheval de la malheureuse impératrice Elisabeth qui finit si tragiquement sous le couteau de Luccheni, en Suisse. Lui aussi, lui toujours, qui habillait l'archiduc héritier Rodolphe. On contait même à ce sujet, avant la guerre, une troublante anecdote. Au début de janvier 1889, Frank — deuxième du nom — essayait un costume de chasse, pour le prince héritier. Au cours de l'essayage, Rodolphe fit un mouvement brusque et malgré toute son adresse professionnelle, le tailleur le piqua légèrement avec une épingle qu'il plaçait sous l'épaule droite de son royal client. Au sursaut de Rodolphe, Frank devint livide. Aussitôt l'archiduc, très- gentiment, le rassura : — Ne vous troublez pas ainsi, ce n'est rien du tout, la surprise seulement. Mais le tailleur, violemment ému : — Je demande pardon à Votre Altesse, mais il ne faut pas qu'elle porte ce costume... Jamais... Jamais... . II était en proie à une visible terreur. — Pourquoi donc ? s'étonna Rodolphe. Il me plaît beaucoup au contraire ! —Non, non, que votre Altesse m'excuse ! J'ai eu la maladresse, au cours de ma vie, de piquer trois personnes, expliqua en balbutiant le tailleur. Elle sont mortes toutes les trois tragiquement, le premier jour où elles ont porté le costume que je leur essayais lorsque Je les blessai ! Rodolphe éclata de rire en frappant avec bonne humeur sur l'épaule du malheureux homme : je garde le costume, c'est une trop belle série à interrompre ! Quinze Jours plus tard, il mettait son costume, son beau costume neuf — et c'était Mayerling !Les récits de Mayerling
Les diverses versions du drame de Mayerling sont présentées dans mon recueil Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).