Lorsque l'on écrit de nombreux billets sur la monnaie (la création de monnaie, la monnaie de la Banque centrale, les monnaies locales, l'étalon-or), les questions liées à la finance ne sont jamais très loin, ne serait-ce qu'en raison du volume incroyable de monnaie créé par les Banques centrales et qui se déverse essentiellement sur les marchés financiers. Il m'a donc semblé pertinent d'expliquer brièvement ce que l'on entend financiarisation de l'économie, tant cela semble mal compris...
La finance de marché
Tout le monde a déjà entendu parler de la Bourse, même si aujourd'hui l'on ne trouve plus grand-chose au palais Brongniart à Paris. Toujours est-il qu'une bourse (notez le b minuscule) est une institution - de plus en plus souvent privée -, qui permet la cotation de titres standardisés et des échanges sécurisés.
La Bourse (avec un b majuscule) correspond au marché des actions, qui est censé permettre aux entreprises de se financer autrement que par l'emprunt et leur propre épargne, même si ces dernières années il est loin d'être le canal le plus usité en raison précisément de la financiarisation dont nous allons parler dans ce billet. La vidéo ci-dessous vous explique en un temps très court l'essentiel à retenir :
Ainsi, si tout pouvait se financer immédiatement ou à très court terme, il n'y aurait pas besoin de finance. En revanche, en raison des décalages temporels, la finance permet de :
- transférer de la monnaie à ceux qui ont des opportunités dans la production ou la consommation ;
- gérer les risques associés à l'investissement de monnaie dans les processus de production et de consommation, et permettre un échange entre ceux qui veulent se défaire d'un tel risque et ceux qui sont prêts à en prendre pour gagner une rémunération.
Sans entrer dans des détails trop techniques, il est cependant bon de garder à l'esprit que le prix qui se forme sur un marché est rarement celui prédit par la théorie des marchés en concurrence parfaite. Au contraire, le prix sur un marché financier est le plus souvent le résultat d'un effet de mimétisme (Paul imité Jacques, car il pense que ce dernier est au courant de ce qui se passe sur les marchés...) et d'asymétries d’information (certains en savent probablement plus que d'autres sur la réelle santé financière d'une entreprise...). Bref, un marché financier n'est pas forcément irrationnel, mais sa logique propre peut facilement le conduire à des bulles sur certains titres sans force de rappel.
Au fondement de la financiarisation de l'économie
C'est l'esprit de rente qui est la cause essentielle de la financiarisation de l'économie. En effet, tous les agents économiques rêvent plus ou moins secrètement d'obtenir une rente, qui permet soit de ne plus travailler, soit de ne travailler que lorsque l’on veut ou à tout le moins de déconnecter le travail accompli du revenu.
Cela ne se réduit donc pas au seul fantasme du trader, qui a fait fortune à 40 ans et peut désormais passer ses journées à jouer au golf. Comment qualifier autrement que de rente les taux de rendement sur fonds propres exigés par les actionnaires des sociétés cotées en Bourse ? Mais faut-il rappeler que la rente des uns est financée par le travail des autres, dans la mesure où il n'y a pas de repas gratuit en économie ? D'où la nécessité de pressurer les entreprises (et in fine les travailleurs) pour qu'elles augmentent productivité, rentabilité et dividende !
Ainsi, vous en déduisez aisément qu’il y a confusion entre finance et financiarisation, la deuxième n'étant finalement que la forme parasitaire de la première, en ce qu’elle met l’ensemble des activités productives sous la coupe des puissances financières (investisseurs, marchés, fonds...), avec la complicité active ou résignée du politique.
La financiarisation se voit d'abord au formidable essor de l’industrie financière depuis le début des années 1980, concomitamment au développement de nouveaux acteurs à la taille impressionnante (fonds de pension, hedge funds, fonds d'investissement...). Et quel meilleur signe de la financiarisation de nos économies, que la croyance d'un lien entre santé des marchés et santé de l'économie, pourtant démenti allègrement par les faits. Mais au fond, dans un monde de post-vérité comme disent ce qui veulent être savants, chacun peut voir midi à sa porte... Effrayant !
En définitive, le processus de financiarisation de l’économie et ses conséquences mortifères pour les ménages et les entreprises sont aujourd'hui bien documentés. La financiarisation profite néanmoins à une minorité, qui peut augmenter considérablement son patrimoine sans coup férir. Ce faisant, ils ont tout intérêt à faire passer la financiarisation de l'économie comme une nécessité sur la route du progrès, mot que l'on emploie désormais trop souvent pour justifier la destruction d'une civilisation au nom des intérêts égoïstes d'une caste...
P.S. L'image de ce billet provient de cet article des Échos.