On assiste depuis quelque temps à une dérive très inquiétante dans le domaine des infractions sexuelles et il est temps, me semble-t-il, de prendre conscience de ces dérives, de leurs extrêmes gravités et de réagir quand il est encore temps.
Depuis le mouvement « Mée too » on nous dit que « la parole s’est libérée » et notamment celle des femmes et celles des jeunes enfants et que dès lors les viols ou attentats divers à l’intégrité sont maintenant dénoncés.
On ne peut que se réjouir de cette situation à condition qu’elle n’entraine pas des conséquences trop graves et elles-mêmes irréparables.
On ne peut pas ignorer, à moins d’être totalement inexpérimentés ou totalement naïfs que la parole peut être mensongère et que les femmes comme les enfants, comme les hommes en général ne sont pas à l’abri du mensonge, de la perversion.
Dès lors et depuis les origines l’humanité a mis en place petit à petit des mécanismes destinés à protéger contre les accusations mensongères.
Elle a d’abord -ce qui semble élémentaire- demander qu’au-delà de la parole des preuves plus sérieuses soient apportées.
Que ces preuves soient analysées, pesées, discutées contradictoirement devant un juge.
En attendant ce débat contradictoire la présomption d’innocence a été proclamée dans de nombreux textes fondamentaux et a constitué un immense progrès destiné a protéger tout citoyen face a des accusations qui pouvaient se révéler infondées.
Lié à cette présomption d’innocence on a ajouté que c’était à celui qui poursuit (Procureur de la République) de faire la preuve de la culpabilité et non au prévenu de prouver son innocence ce qui est souvent impossible.
On a, aussi, établi la règle de la prescription des crimes. Cette règle est une disposition importante car il est clair pour tout le monde que les preuves dépérissent avec le temps et qu’il est difficile, souvent impossible de reconstituer les faits plusieurs années après.
Enfin un certain nombre de texte en droit pénal et en droit civil ont tenté de protéger la présomption d’innocence et donc de condamner le fait de mettre sur la place publique des accusations non jugées.
Toutes ces règles que je viens d’invoquer ont toutes été des progrès dans la protection des libertés individuelles et elles étaient au bénéfice de tous citoyen pouvant un jour se trouver accusé. Chacun devrait prendre conscience de l’importance capitale de ces règles qui sont le fruit du travail de nombreux philosophes et législateurs. Chacun devrait comprendre qu’il pourrait, un jour, être accusé car cela n’arrive pas qu’aux autres et qu’alors il serait bien heureux de pouvoir bénéficier de ces protections qui ne sont pas des protections contre le crime mais contre l’injustice.
Or, il est malheureusement clair que toutes ces règles sont aujourd’hui et de plus en plus bafouées, foulées au pied et cela ne constitue absolument pas un progrès de l’humanité mais, à mon sens, une absolue régression.
La présomption d’innocence dont beaucoup se gargarise (hommes politiques, journalistes) est absolument méconnu et même par ceux qui devraient en assurer la protection. Les politiques par faiblesse l’ont déjà mise à mal lorsqu’ils ont édicté la règle selon laquelle un élu mis en examen devait démissionner.
Cette règle qui se veut morale est absurde et ouvre la voix à tous les abus puisqu’il suffit d’être accusé et mis en examen (ce qui ne signifie être obligatoirement coupable) pour être écarté. Où se trouve la présomption d’innocence dans ce cas ?
Maintenant disons aussi que les règles tant civiles que pénales censées protéger celui qui est présumé innocent sont constamment bafouées et notamment par les journalistes qui, certes, prennent des précautions oratoires en saluant mécaniquement la présomption d’innocence mais présentent les faits de telles manière que le lecteur voit le poursuivi comme coupable bien avant d’avoir été jugé, poursuivi qui est quelques fois innocenté alors que le mal est fait !
Bien plus grave cette situation est rendue très grave sur les réseaux sociaux où aucune limite n’existe vraiment. Dés loirs l’accusé -et ce sera peut-être vous un jour- est présenté comme coupable au monde entier.
Cette situation n’est pas nouvelle mais elle devient véritablement préoccupante avec les dérives récentes où la parole des victimes devient sacrée, devient crédible par nature et où l’on accepte de la recevoir après des années et des années de silence au prétexte -quelque fois vrai- que cette parole n’a pas pu être dite avant ! Cette parole est d'avance crue et l'on nous cesse de répéter que la parole des femmes victimes doit être crue. Or n'y a t-il jamais des femmes qui acceptent vraiment avec diverses espérances et qui sont d'autant plus porté a dénoncer que leurs espérances ont été déçues! Est-ce un blasphème que de dire cela? Est-ce que la pratique des tribunaux ne démontrent pas que de nombreux justiciables de quelques côtés qu'ils soient mentent?
Dès lors les parquets ouvrent des informations malgré la prescription et l’accusé se retrouve plus de trente après les « faits » livré à une parole sacralisée et mis au pilori des journaux et des réseaux sociaux et sa parole, elle, est tout sauf crue !
Je crois que chacun réfléchira et se demandera si tout cela constitue un progrès. Je ne le pense pas.
J’ajouterai, enfin que l’objet que l’on poursuit, noble en lui-même, à savoir, rendre justice et par là « réparer » la souffrance de la victime ne sera pas atteint. En effet je doute complétement que la condamnation d’un auteur plus de trente ans après les faits répare quoique ce soit. La victime atteinte psychiquement par les faits aura, en effet du mal, à sortir d’un mal être qu’elle a connu pendant trente ans et plus et cela grâce à un jugement ! Son mal ne sera t-il pas plutôt aggravé par le débat qui s'engagera, par es propos du prévenu qui se défendra, autrement dit par le déballage de tout ce linge sale?
Je pense donc en fin de compte qu’il est bien que la parole se libère et qu’il faut y pousser et faire comprendre aux victimes qu’elles doivent dénoncer le mal le plus vite possible. Il faut des mécanismes pour les y aider, des lieux d'écoute et d'assistance. Mais lorsque cela ne se fait pas, pour des raisons que l’on peut comprendre, il est malsain de bouleverser nos règles fondamentales qui sont le fruit d’une longue réflexion. Cela d’ailleurs nuit a tout le monde et ne résout évidement pas la souffrance des victimes et certains avocats se sont élevés récemment contre ces dérives graves dans une tribune du Monde. Je partage entièrement leurs préoccupations.
Maintenant à chacun de se faire son idée.