L'art de Proust est celui de la parenthèse. Chaque mot peut faire l'objet de plusieurs pages de digressions. Et il y a des digressions dans la digression. Tout cela se coagule en quelques événements importants, comme si notre vie n'était faite que d'eux. Entre temps, rien ne se passe. D'ailleurs c'est un temps confus. Je me demande s'il ne confond pas ses souvenirs. Par exemple, il parle du procès Dreyfus et de la guerre russo-japonaise comme si elles étaient contemporaines. Son narrateur, qui lui ressemble beaucoup, paraît, souvent, avoir au moins dix ans de moins que lui.
Je trouve cela extrêmement mal construit. Parfois c'est pénible. Difficile de s'intéresser à tous ces instants découpés en morceaux. Surtout au début. Mais il y a des moments de grâce. Ce sont des rencontres avec les membres de la famille Guermantes. Quelques jours avec Saint Loup, à côté de sa caserne, une réception chez Mme de Villeparisis, une autre chez le duc et la duchesse de Guermantes. Comme un anthropologue, Proust est à la fois intégré à la société qu'il observe, la plus haute aristocratie qui soit, et extérieur à celle-ci. D'ailleurs, il exerce sur elle une fascination certaine. Peut être parce qu'elle en est à ses derniers feux. Certes elle demeure riche et brillante, mais elle est condamnée : elle ne comprend pas le monde qui s'annonce.
Il y a aussi des moments surprenants. Proust semble n'être qu'un observateur. Et pourtant, alors que rien ne le laissait prévoir, il met en pièces le chapeau du baron de Charlus, pour lui manifester son mécontentement !
La fin est extraordinaire. Swann annonce au duc et à la duchesse de Guermantes qu'il va mourir. Ils ne sont que bonnes manières. Et il n'y en a aucune qui soit prévue pour une telle occasion. Ils ont une obligation : une réception. Ils le laissent sur le trottoir.