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BREVE CHRONIQUE POLITIQUE DU PEROU 2020, par Mariella Villasante

Publié le 25 février 2021 par Slal

Février 2021

BRÈVE CHRONIQUE POLITIQUE DU PÉROU 2020
GRAVE CRISE POLITIQUE ET SANITAIRE : DÉSORDRE ÉTATIQUE ET CORRUPTION

Mariella Villasante Cervello
Instituto de democracia y derechos humanos de la PUCP, Lima

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Manifestation contre le coup d'État de Merino, Plaza San Martín. Lima, 14 novembre 2020 (DW)

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L'année 2020 a été marquée par l'approfondissement de la crise politique causée par les agissements du Congrès, et par l'expansion du Covid-19 dans l'ensemble du territoire national. Dans cette brève chronique je voudrais signaler les points les plus importants de la situation politique péruvienne qui a été, par ailleurs, abondamment divulguée en France.

Élection du nouveau congrès en janvier 2020

Le président Vizcarra a dissout le Congrès le 30 septembre 2019 et a appelé à des nouvelles élections le 26 janvier 2020. Dans son message à la Nation, le président a déclaré :
“Como sabemos, mi gobierno ha recurrido tres veces a la Cuestión de Confianza. (…) Hoy hemos presentado la tercera cuestión de confianza, y lo que ha acontecido en el Congreso subraya la desvergüenza en la que ha caído la mayoría parlamentaria, absolutamente divorciada de la voluntad de los peruanos y trabajando de manera denodada para proteger y blindar a los suyos. (…)
Ante la denegación fáctica de la confianza, y en respeto irrestricto de la Constitución política del Peru, he decidido disolver constitucionalmente el Congreso y llamar a elecciones de congresistas de la República.”

Après la dissolution du Congrès, une Commission permanente de 27 membres fut installée pour préparer la transition. Le même jour, les Péruviens ont manifesté dans les rues proches du Congrès et du Palais du gouvernement pour fêter l'événement.

Voici les principaux résultats du vote de janvier 2020 :


— On dénombre 28 804 140 électeurs inscrits. Sur un total de 17 741 356 votants (100%), il y eut 14 798 379 (80 %) votes valides ; 2 988 420 votes nuls (16%) et 414.724 votes blancs (2,3%).
— Les élections de janvier ont été marquées par un absentéisme assez important.
— Le 3 partis de droite (Acción Popular [25 sièges]) et du centre : Somos Perú [11 sièges] et Partido morado [9 sièges]) ont obtenu 45 sièges.
— Cinq partis se classent dans les extrêmes de la droite populiste/autoritaire (Alianza para el progreso [22 sièges], (Podemos [11 sièges], Unión por el Perú [13 sièges], Fuerza popular [15 sièges], et le parti ultra religieux Frente popular agrícola del Perú [FREPAP, 15 sièges]). Ils sont majoritaires avec 76 sièges.
— Le courant de gauche modérée est représenté par Frente amplio, avec 9 sièges.


Les résultats des élections de janvier 2020 montrent trois faits majeurs : l'émergence d'une majorité conservatrice, l'entrée au Congrès de nouveaux groupes populistes autoritaires et d'un groupe fondamentaliste, et la mise à l'écart des courants de gauche qui se sont présentés divisés en trois partis, dont un seul a pu obtenir des sièges.

Ces résultats ont permis également d'apprécier qu'au Pérou les idéologies sont quasiment inexistantes, et que les partis politiques ne véhiculent plus de programmes sociaux cohérents et réfléchis, mais simplement des consignes, des slogans, ou des idées simplistes sur l'ordre politique, social, économique et culturel. Cette situation s'explique, en grande partie, par les effets néfastes de la guerre interne (1980-2000), par la corruption installée au sommet de l'État par le régime d'Alberto Fujimori (1990-2000), et par l'incapacité des gouvernements de divulguer les données du Rapport final de la Commission de la vérité et la réconciliation (2001-2003) qui retracent la période qui a précédé la guerre, ainsi que les faits de violence et les responsables (État, forces armées, subversifs et résistants). La majorité des Péruviens, surtout les jeunes, méconnaissent notre passé récent et n'ont aucune idéologie politique digne de ce nom.

Le paysage électoral de janvier 2020 laisse à penser que les courants de droite et du centre rassemblent la majorité des Péruviens. La meilleure nouvelle est que le courant fujimoriste est en déclin, et que ses réseaux de clientèles mafieuses sont aussi en voie de disparition. Cela ne veut pas dire que les courants réactionnaires, autoritaires, obscurantistes et anachroniques aient disparu du paysage politique péruvien. Ils restent encore ancrés au sein des classes populaires, surtout en milieu rural et dans les périphéries des villes, comme l'a montré le haut pourcentage obtenu par le parti fondamentaliste FREPAP, dont la majorité est d'origine quechua.

Condamnations pour corruption : affaire Lava Jato

Le 15 février, dans la cadre de l'affaire de méga-corruption Lava Jato, l'ex-maire de Lima, Luis Castañeda Lossio, a été condamné à 24 mois de prison préventive. Les entreprises Odebrecht et OAS avaient apporté plus d'un demi-million de dollars à Lossio pour obtenir des marchés de la ville. D'autres personnalités avaient déjà été accusées de délits similaires : Susana Villarán et Keiko Fujimori sont sorties de prison et sont assignées à résidence. Les ex-présidents Alejandro Toledo [aux États-Unis], Pedro Pablo Kuczynski et Ollanta Humala attendent leurs procès chez eux également (Gestion, 23 décembre 2020).

La vacance présidentielle du 9 novembre 2020 dans le contexte de la pandémie du Covid-19

Rien ne laissait présager, au début de l'année, que les nouveaux congressistes étaient aussi corrompus que leurs prédécesseurs et qu'ils allaient organiser un vaste plan pour obtenir la vacance présidentielle. On pensait en effet, naïvement, que l'arrivée du Covid-19 au pays allait resserrer les rangs de la classe politique pour soutenir les efforts déployés par le gouvernement du président Vizcarra face à la pandémie, dont le premier cas fut annoncé le 6 mars 2020.

Le président Vizcarra (avec la ministre de Santé Elizabeth Hinostroza, annonce l'arrivée du Covid-19 au Pérou, le 6 mars 2020 (Presidencia de la República, El Comercio)

Le gouvernement du Pérou fut l'un des premiers à déclarer le confinement comme mesure d'urgence pour freiner la pandémie. L'état d'urgence a été également imposé et renouvelé jusqu'à présent. Mais les manques énormes en infrastructure sanitaire et hospitalière, notamment dans les régions andines et amazoniennes, ainsi que l'impossibilité de confiner totalement la population, ont provoqué une expansion exponentielle du Covid-19. Aujourd'hui on estime officiellement que le Covid-19 a provoqué plus de 44 000 morts ; le nombre réel des morts est sûrement bien plus important. Toutes les activités prévues pour la célébration des 200 ans de l'Indépendance formelle du Pérou [la dernière bataille contre les Espagnols eut lieu en 1824], sont incertaines et plusieurs ont déjà été annulées.

Cependant, les congressistes, menés par les partis de droite « traditionnelle » Acción popular y les partis populistes, avec des membres mêlés à des affaires de corruption (Alianza para el progreso, Podemos, Union por el Perú, Fuerza popular), s'allièrent dans le but de conserver leurs privilèges politiques et économiques. D'une part, ils développèrent une stratégie d'obstruction permanente au gouvernement et, d'autre part, ils commencèrent à organiser l'éviction du président dans le but de prolonger leur mandat et de retarder les élections d'avril 2021.

Le 28 juillet, le président Vizcarra annonça des changements dans son gouvernement pour mieux affronter la pandémie et la crise économique. Pedro Cateriano, un ancien homme politique du centre, très respecté dans le pays, fut nommé Premier ministre. Le 5 août, le Congrès lui refusa cependant sa confiance, pour la première fois depuis 27 ans, et déclencha une nouvelle période de précarité institutionnelle. Par ailleurs, le Congrès approuva une loi pour que les affiliés au système national de retraites (ONP) puissent retirer jusqu'à environ 1000€ (4,300 soles) ; une décision qui avait été mise en question par le gouvernement.

Le 11 septembre, « l'affaire Swing » fut portée sur le devant de la scène politique. Le chanteur Richard « Swing » Cisneros aurait bénéficié de contrats irréguliers du ministère de Culture avec le soutien du président Vizcarra. Edgard Alarcón, congressiste du parti Unión por el Perú [promu par l'ex-officier de l'armée Antauro Humala, frère d'Ollanta, en prison pour avoir dirigé une mutinerie contre le président Toledo en 2005], présenta des enregistrements devant le Congrès obtenus grâce à la complicité de proches collaborateurs du président Vizcarra. Les contrats irréguliers ne sont pas extraordinaires ni dans les pays latino-américains, ni dans les pays du Nord. Cependant, ce fut le prétexte pour que des congressistes populistes accusent le président Vizcarra « d'incapacité morale permanente », selon les termes de la Constitution, et demandent un vote pour l'obtenir. La motion recueillit 32 votes pour, sur les 87 nécessaires, et fut donc repoussée.

Le 12 septembre, le président du Congrès, Manuel Merino, appela de hauts gradés des Forces Armées pour les « informer » du processus de vacance en cours. En réalité, il tentait d'obtenir le « soutien » des militaires dans le coup d'État en préparation. Mais les officiers supérieurs ne lui apportèrent aucune réponse formelle.

Le président du Congrès, Merino, donne une conférence de presse le 12 septembre 2020 (Congreso, El Comercio)

Le gouvernement, par l'intermédiaire du ministère de la Justice, sollicita alors un arbitrage du Tribunal Constitutionnel [TC], le motif invoqué (des contrats irréguliers) ne pouvant conduire à une exclusion présidentielle. L'esprit de la Constitution considère en effet que l'incapacité morale concerne un cas de maladie grave, qui rend impossible l'activité présidentielle normale. Or, contrairement aux attentes des Péruviens, le TC refusa son arbitrage, rendant possible la tenue du vote des congressistes confabulateurs. Plus tard, le 21 novembre, le TC décida, par une majorité de quatre voix contre trois, que la demande du président Vizcarra « n'était pas fondée ». La possibilité de renvoyer un président pour « incapacité morale permanente » restait donc ouverte. Une seconde procédure de destitution du président Vizcarra fut lancée en novembre 2020. Cette fois-ci Alarcón et d'autres congressistes s'appuyèrent sur des « témoignages » de candidats à la « collaboration efficace » selon la terminologie péruvienne, selon lesquels Martín Vizcarra aurait reçu des pots-de-vin lorsqu'il était gouverneur de Moquegua (janvier 2011 à décembre 2014), en échange de contrats pour des travaux publics.

Le 9 novembre 2020, le président Vizcarra se présenta devant le Congrès avec son avocat, réfuta les accusations, mais les congressistes n'écoutèrent pas sa défense. Ils votèrent massivement pour sa vacance (105 voix sur un total de 130), avec l'exception notable des partis de centre-droit Partido Morado, et de certains congressistes de Somos Peru et de Frente amplio.
br> Le président Vizcarra refusa de contester ce vote sans fondement juridique « pour ne pas envenimer davantage la crise politique », selon ses dires. Les congressistes choisirent alors un « nouveau gouvernement » fantoche pour parachever leur coup d'État. Le pitoyable président du Congrès, Manuel Merino, assuma la présidence du pays le 10 novembre et nomma ses ministres opportunistes et certains poursuivis en justice. Le pays entama alors une descente aux enfers jamais enregistrée dans l'histoire politique récente. L'administration étatique, en particulier le ministère de la Santé qui gère la crise sanitaire, cessa de fonctionner. On n'avait pas d'État, les nouveaux ministres ne savaient pas comment gérer leurs ministères qu'ils méconnaissaient totalement. Le chaos s'empara de toutes les instances publiques et privées.

Un grand mouvement populaire s'opposa aux « golpistes » et exigea un nouveau gouvernement

Les 10 et 14 novembre, les Péruviens, surtout des jeunes, descendirent dans les rues de Lima et des grandes villes, restant plusieurs jours mobilisés pour s'opposer au coup d'État. La mobilisation massive constituait une première depuis les années 1998-2000. La répression policière ordonnée par Merino provoqua la mort de deux jeunes le 14 novembre. Quelques heures après, les ministres démissionnèrent, suivis du premier ministre Antero Flores-Aráoz. Le 15 novembre, Merino démissionna à son tour (Villasante novembre 2020, Revista Ideele).

Manifestation à la Plaza San Martín. Lima, 17 novembre 2020 (El buho.pe)

Le 16 novembre les congressistes, y compris ceux qui avaient voté la vacance présidentielle déclenchant de manière irresponsable le chaos dans le pays, parvinrent à se mettre d'accord pour élire une nouvelle présidente du Congrès, Mirtha Vasquez du parti de gauche Frente amplio, et un nouveau président intérimaire chargé de préparer les élections présidentielles et législatives du 11 avril 2021. Il s'agit de Francisco Sagasti, congressiste du Partido Morado qui avait voté en bloc contre la vacance. Sagasti a nommé un nouveau gouvernement présidé, pour la première fois de notre histoire, par une femme, Violeta Bermúdez. Certains ministres de Vizcarra sont restés en poste, dont la ministre de la Santé Pilar Mazzetti. Le nouveau gouvernement obtint le vote de confiance le 8 décembre 2020.

Francisco Sagasti reçoit l'écharpe présidentielle des mains de la présidente du Congrès Mirtha Vasquez (Congreso, El Comercio)

Mouvements sociaux pour la défense des conditions de travail agricole décentes

À partir de la fin novembre 2020 et jusqu'à la fin décembre, un grand mouvement social de revendication pour de meilleures conditions de travail mobilisa des milliers d'ouvriers agricoles qui travaillent dans les plantations de produits d'exportation [coton, raisin, mandarines, fraise, mangue, banane, asperges, avocats, poivrons] dans la région de la côte (Ica, Lambayeque, La Libertad, Piura) ainsi que dans d'autres régions du pays (Apurímac, Junín, Pasco).

Les ouvriers ont demandé l'abrogation de la Loi de promotion agraire et ont dénoncé l'inexistence de contrats de travail légaux, l'exploitation dont ils sont victimes au cours de journées extrêmement longues, le manque de denrées alimentaires, d'eau potable et d'habitations décentes. Les employeurs imposent en effet des conditions de travail tout à fait semblables à celles qui prévalaient dans les haciendas (latifundium) démontées et abolies par la réforme agraire de 1969. Des conditions qui en Europe seraient classées comme féodales (travailleurs venant d'autres régions avec des contrats de quelques mois pour éviter la prise en charge sociale, maintien de l'antique régime agraire de travail - à la journée ou à la tâche - distinct de celui des travailleurs ordinaires, licenciements arbitraires, paiements infimes, harcèlement des femmes, absence de protection sociale).

Dans le grand désordre étatique de cette période, le mouvement a été brutalement réprimé et il a provoqué au moins douze morts. Les manifestants, hommes et femmes, ont été accusés d'être « influencés » par les « terroristes » ; une rengaine constante chez les forces de l'ordre et les partis populistes de droite. Néanmoins, une nouvelle loi agraire a été promulguée le 29 décembre et des améliorations de conditions de travail dans les plantations ont été négociées avec les employeurs malgré leurs menaces « d'aller investir ailleurs, en Colombie, en Équateur ou au Chili, où l'on peut imposer ce qu'on veut ». Les investisseurs péruviens, et les élites en général, conservent en effet une vision du monde ultra-conservatrice et arriérée, fondée sur l'exploitation des pauvres, ils refusent la modernité économique et n'ont aucune empathie vis-à-vis les classes travailleuses. Le « retard économique » provient largement de cette position des élites en Amérique latine.

Manifestants affrontant la police dans la route Panamericana Sur, décembre 2020 (Hugo Curotto/GEC)

Campagne électorale et scandale du « vacunagate » en février de 2021

A la fin de l'année 2020, on espérait que la campagne électorale allait s'organiser plus ou moins correctement compte-tenu des restrictions sanitaires et de l'impossibilité d'organiser des réunions publiques. Tous les partis qui ont de représentants au Congrès ont proposé leurs candidats à la présidence et au nouveau Congrès. Le rejet dont ils ont fait l'objet de la part d'une grande partie de citoyens, conscients de leurs droits, ne les a dérangés en aucune manière.

La surprise est venue de l'ex-président Martín Vizcarra qui, tout en étant soumis à une mise en examen pour déterminer sa responsabilité dans l'affaire de contrats irréguliers du chanteur « Swing », et une accusation de corruption durant son mandat comme gouverneur de Moquegua, avec interdiction de sortie du pays, a annoncé sa candidature à la présidence du Congrès avec le parti Somos Perú. Le candidat à la présidence du pays de ce parti de centre-droit est Daniel Salaverry, ancien président du Congrès pour le parti Fuerza Popular ; mais en janvier 2019 il démissionna du parti et reste indépendant.

Le 11 février 2021, une chaîne de télévision privée et populiste (Willax, contrôlé par l'homme d'affaires Wong, ex-propriétaire d'une grande chaîne de supermarchés), a dénoncé une vaste affaire de corruption associée au vaccin chinois Sinopharm, qui était en cours d'inoculation au bénéfice du personnel soignant et devait être étendu à la population en mars.

En septembre 2020, le laboratoire national Sinopharm avait en effet offert 12 000 doses de son vaccin expérimental pour réaliser des essais cliniques au Pérou (ainsi qu'à d'autres pays du Sud : Émirats arabes, Égypte, Argentine). Cependant, Sinopharm avait également envoyé 3 200 doses supplémentaires : 2 000 pour le personnel associé à l'essai clinique (Universités Cayetano Heredia et San Marcos), et 1 200 doses pour l'Ambassade de Chine au Pérou. On découvrit que 487 personnes avaient été vaccinées avec deux doses, comme l'exige le protocole de ce vaccin chinois et que parmi ces personnes, se trouvaient l'ex-président Vizcarra, plusieurs ministres de son gouvernement et d'autres du gouvernement de Sagasti, dont la ministre de la Santé Mazzetti ; mais aussi le Nonce apostolique, ainsi que des hommes et femmes d'affaires, des médecins (dont certains n'avaient aucun lien avec l'essai), leurs clients et leurs familles. Ce grand scandale « vacunagate » suscite un grand embarras au sein du gouvernement, et la colère de la population qui confirme, une fois de plus, que l'habitude de la corruption reste de toute actualité. La justice s'est saisie de l'affaire et des sanctions sont attendues rapidement (Villasante février 2021, sous presse, Revista Ideele n° 296). Un autre pays sud-américain, l'Argentine connaît actuellement un scandale semblable, dit « vacunavip », le 19 février on a découvert que le président Alberto Fernandez, le ministre de la Santé Ginés Gonzáles, et près de 70 personnalités du gouvernement et leur entourage amical et familial, ont reçu le vaccin russe Sputnik de manière irrégulière (El Tiempo, 21 février, Le Monde 22 février 2021, Deutsche Welle 23 février 2021).

Cela étant posé, peu d'analystes évoquent l'existence des corrupteurs, c'est à dire l'État chinois et le laboratoire national Sinopharm qu'il contrôle. Nous savons en effet que la Chine développe sa politique de « aide à la lutte contre le Covid-19 » en distribuant gratuitement ou à bas prix des masques et surtout son vaccin aux pays du Tiers Monde, tant en Afrique qu'en Amérique latine. Mais de manière parallèle, la Chine perpétue des crimes contre l'humanité (camps d'internement, stérilisations, génocide), contre les Ouigours, minorité musulmane du Xinjiang, ce que peu de Péruviens savent (Villasante 2021, sous presse).

Deux remarques sur le vaccin chinois ; d'abord, il faut rappeler qu'en juillet 2020, la Chine a annoncé avoir produit un vaccin inactivé expérimental. Dès ce moment, les autorités ont commencé à l'offrir à des pays où on pourrait faire des essais cliniques compte tenu du fait que la Chine n'avait pas suffisamment de malades. Mais la distribution n'est pas désintéressée, il s'agit pour la Chine d'étendre son influence économique et politique dans des pays qui peuvent en retour lui offrir des produits agicoles et d'élevage et des ressources naturelles.

Les 3,200 doses du vaccin expérimental Sinopharm envoyées au Pérou, alors que le vaccin n'était pas homologué, que son autorisation de mise sur le marché en Chine date de la fin décembre 2020, et qu'il n'avait pas été autorisé par l'OMS, ni par l'UE, montrent les contours de cette tentative de corruption destinée à pousser les autorités péruviennes à leur acheter leur vaccin. De toute évidence, ces vaccins sont utilisés par la Chine comme une arme diplomatique (Le Monde du 18 décembre 2020, Gorriti 19 février 2021, Villasante 2021, sous presse).

L'ex-président Vizcarra a accepté le « cadeau » de corruption, ainsi que tous les autres fonctionnaires et personnes privilégiés par leurs postes. Les sanctions pénales sont en cours, plusieurs ont été renvoyés de leurs postes. Néanmoins, au Pérou on n'a pas encore reconnu le préjudice de la Chine et du laboratoire Sinopharm dans leurs actions de corruption, une pratique très répandue dans leur pays pour conclure des marchés internationaux. Par ailleurs, l'Ambassade de Chine avec ses 1 200 doses a pu en faire bénéficier à ses clients et amis péruviens, en opposition à toutes les pratiques diplomatiques. Le journaliste d'investigation Gustavo Gorriti suggère que le Procureur de la nation lance une enquête à l'encontre de Sinopharm et de l'État chinois sur la base de l'expérience du cas Lava Jato (IDL-Reporteros 20 février 2021). Une proposition qui restera certainement lettre morte.

RÉFLEXIONS FINALES

• L'année 2020 a été particulièrement pénible au Pérou, autant par la grave crise de gouvernabilité, la pire depuis 2016, que par les effets désastreux de la pandémie : on estime à 11% la chute du PIB au cours de l'année 2020. À Lima, un million d'emplois ont été perdus ; et on ne sait pas du tout comment va s'organiser la reprise économique au cours de cette année. L'ensemble de l'Amérique latine est durement frappé par la pandémie ; la CEPAL estime que la pauvreté va augmenter de 30% et qu'une dizaine d'années seront nécessaires pour remonter la pente régionale.

• La campagne électorale pour élire un nouveau gouvernement en avril 2021 est assez désordonnée et aucun candidat fort pour le poste de président ne se dégage jusqu'à présent. Le dernier scandale du « vacunagate » a plombé encore plus, si cela était possible, les attentes d'une amélioration significative de l'ordre politique péruvien. La colère, la déception et la perte de repères politiques sont très fortes actuellement.

• Cela étant, il reste un fait positif qui mérite d'être souligné. La société civile péruvienne a montré sa capacité à se mobiliser pour défendre la légalité institutionnelle et la justice sociale. Le mouvement a commencé en 2019, avec les manifestations pour soutenir les juges et les procureurs de l'affaire Lava Jato, exiger la dissolution du Congrès et défendre la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette prise de conscience réaffirmée en novembre 2020, exprime des avancées prometteuses à moyen et à long terme.

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Sources citées :

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Deutsche Welle 23 février 2020, Argentina difunde lista de 70 beneficiarios con « vacunas VIP », https://www.dw.com/es/argentina-difunde-lista-de-70-beneficiados-con-vacunas-vip/a-56657868
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Gestion, 23 décembre 2020, Resumen 2020, https://www.facebook.com/Gestionpe/videos/resumen-2020-estos-fueron-los-hechos-más-importantes-que-marcaron-el-año-pol%C3%ADtic/745605186310272/
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Gorriti Gustavo, 2020, El año de la peste, IDL-Reporteros, 27 décembre 2020, https://www.idl-reporteros.pe/columna-de-reporteros-379/
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Gorriti Gustavo, 2021, IDL-Reporteros, 19 février 2021, El sector de vacunaciones estructuradas, https://www.idl-reporteros.pe/el-sector-de-vacunaciones-estructuradas/

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El Comercio, El 2020 visto a través de los editoriales de El Comercio, 31 décembre 2020, https://elcomercio.pe/opinion/el-2020-visto-a-traves-de-los-editoriales-de-el-comercio-opinion-francisco-sagasti-martin-vizcarra-congreso-covid-19-noticia/ ?ref=ecr
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El Tiempo, 21 février 2021, Perú y Argentina sacudidos por sendos escandalos de ‘vacunagates', https://www.eltiempo.com/mundo/latinoamerica/vacunacion-y-corrupcion-peligrosos-coctel-en-peru-y-argentina-568355
-
Le Monde, 18 décembre 2020, Les vaccins contre le Covid-19, nouvelle arme diplomatique de la Chine, https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/18/les-vaccins-nouvelle-arme-diplomatique-de-la-chine_6063873_3210.html
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Le Monde 22 février 2021, Covid-19 : les scandales liés à la vaccination se multiplient en Amérique du Sud, https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/22/covid-19-les-scandales-lies-a-la-vaccination-se-multiplient-en-amerique-du-sud_6070788_3244.html

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Léon Ricardo, El Comercio, Radiografía de un país golpeado, 31 décembre 2020, https://elcomercio.pe/peru/resumen-2020-radiografia-de-un-pais-golpeado-por-ricardo-leon-coronavirus-en-peru-noticia/

-
Villasante Mariella, novembre 2020, Crisis política, Congreso ilegítimo y « primavera peruana » : el rol nefasto del Tribunal Constitucional, Revista Ideele n° 294, https://www.revistaideele.com/2020/11/20/crisis-politica-congreso-ilegitimo-y-primavera-peruana-el-rol-nefasto-del-tribunal-constitucional/

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Villasante Mariella, 2021, sous presse, China : crímenes contra la humanidad contra los Uigures y opacidad sobre el Covid-19, Revista Ideele n° 296.

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Brève chronique politique du Pérou 2020. de Mariella Villasante est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.


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