Ce mercredi 24 février, la matinale de France Inter recevait Philippe Aghion, économiste régulièrement présenté comme notre grand manitou national de l'innovation. Entre autres banalités, platitudes et poncifs, sa conviction que la stigmatisation de l'échec est un des principaux handicaps de l'hexagone me fait particulièrement réagir.
« En France, contrairement à d'autres pays, c'est grave d'échouer ». Une phrase entendue tellement souvent qu'elle est désormais admise comme une vérité absolue que personne n'ose contester, établissant la source de tous nos maux, notamment de notre retard en matière d'innovation, et encore plus au cours de la crise sanitaire actuelle, comme l'illustre(rait) l'incapacité de notre industrie à produire un vaccin. Il me semble pourtant pertinent de la remettre en cause, dans sa réalité et dans ses conséquences.
Je conteste ainsi d'emblée l'idée que la mauvaise acceptation des revers, pour autant qu'elle existe vraiment, soit un facteur essentiel de réticence à innover et ait un impact significatif dans l'équation globale. En effet, comme toute perspective lointaine soumise au cerveau humain, l'hypothèse de la chute future est minimisée et ne constitue donc pas un critère déterminant dans la décision de tenter l'aventure ou non. Seuls ceux qui l'ont vécue risquent d'en subir les contrecoups, mais ils sont souvent déjà immunisés.
Quant à savoir si ceux qui ont connu un raté dans leurs parcours sont structurellement mieux considérés dans telle ou telle région du monde, il paraît extrêmement difficile d'en obtenir une validation objective. La seule différence susceptible d'être confirmée formellement – ce qui mériterait une étude ad hoc – réside plutôt dans l'état d'esprit des personnes qui ont enduré cette expérience, entre celles qui rebondissent en ayant appris de leurs erreurs (un aspect essentiel du sujet) et celles qui abandonnent leurs rêves.
En revanche, une spécificité française, profondément ancrée dans notre culture, affecte bel et bien notre capacité d'innovation en tant que nation (heureusement, il reste des exceptions individuelles !). Il s'agit de notre attachement indéracinable à la sécurité, nourri par des décennies de protection santé, de système de retraite, de garanties pour l'emploi… « automatiques ». Ce trait de caractère entre en conflit direct avec le saut dans le vide – petit ou grand – que représente le lancement d'un projet à l'issue improbable.
Il explique, par exemple, pourquoi tant de jeunes gens, souvent issus de milieux plutôt aisés, qui fondent des startups peu de temps après la fin de leurs études supérieures, n'y mettent pas autant d'efforts que nécessaire et visent une sortie rapide (en 4 ou 5 ans) : leur audace se limite à une courte période durant laquelle ils s'autorisent un peu de liberté, mais ils ne perdent jamais de vue le filet de secours qui les attend ensuite, au moment où ils estiment entrer réellement dans la vie active (et familiale).
Incidemment, le même phénomène affecte les initiatives – publiques ou privées – d'incitation à la création d'entreprises dérivées dans les organismes de recherche : les clauses de retour agissent comme une sorte d'aimant qui retient les ambitions. Car, a contrario, l'entrepreneur qui se jette à l'eau en ayant pour seul plan d'avenir de réussir son projet est beaucoup plus motivé… ce qui suffit à la fois à fortement augmenter ses chances de succès et à donner une impulsion supplémentaire à l'innovation produite.
Alors, au lieu de remâcher sans fin les théories schumpétériennes, monsieur Aghion et ses acolytes seraient bien inspirés de se pencher en priorité sur les moyens de les adapter au contexte de la France : comment parviendra-t-on à concilier le besoin de développer la prise de risque (sincère et sans limites) avec le désir de sécurité de nos concitoyens, sans, bien sûr, abattre notre modèle social ? Voilà le seul défi qui vaut d'être relevé aujourd'hui… et sur lequel nos pseudo-élites sont bien silencieuses…