Chroniques d’un anthropologue au Japon (39)

La fin du cinéma (2)

J., une étudiante japonaise, préfère les séries Netflix aux films, parce qu’elle peut les regarder pendant le repas. Ni trop court, ni trop long. Elle vient de finir « Dix pour cent », et me demande conseil pour sa prochaine série. Je lui explique que je ne peux l’aider car je n’en regarde pas. Elle me demande pourquoi. La réponse me semble évidente, la qualité d’abord, qui ne peut égaler celle d’un long métrage. Les techniques d’addiction ensuite, trop visibles, qui ne me plaisent guère. Mais je me rends compte que tout n’est pas si simple. De grands noms participent à la création de séries, et les techniques d’addiction se retrouvent dans les films « à suite » qui sont monnaie courante aujourd’hui.

Le seul moyen d’espérer faire une distinction entre cinéma et série, est d’observer plus en détail le discours de J., et plus particulièrement la place qu’occupe la série dans son emploi du temps. Mon étudiante souhaite deux choses. D’abord, ne pas perdre de temps à choisir ce qu’elle va faire pendant le repas. Le but premier est de manger, ensuite de se divertir. L’épisode 2 suivant naturellement l’épisode 1, aucune place pour l’hésitation. J. me demande d’ailleurs conseil pour sa prochaine série. Si cela peut lui éviter la peine de chercher, je suppose. Il faut ensuite que l’épisode soit assez long pour durer le temps du repas, sans pour autant se prolonger au-delà. Les quarante-cinq minutes à une heure de vidéo proposées par les séries répondent à ce critère.

Hier, nous avons regardé Les temps modernes en famille. Ma femme m’a avoué qu’elle avait trouvé le temps long. Cela faisait des semaines que nous n’avions rien vu, et son confinement post-accouchement l’avait habituée à ne plus se concentrer que quelques minutes sur des taches trop nombreuses pour être patiemment réalisées. L’esprit ne peut plus se focaliser sur rien au-delà de trente minutes sans ressentir de gêne.

Rémi Brun