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L’école Beraca, l’alliance entre enseignement traditionnel et pédagogie de la nature

Publié le 03 mars 2021 par Podcastjournal @Podcast_Journal
Et pour cause. D’après le docteur canadien Melissa Lem, "passer du temps dans la nature est essentiel au bon développement de l’enfant, sur le plan psychologique autant que sur le plan physique". C’est également la conclusion à laquelle aboutit Bird Life International dans son rapport de 2007. "Le bien-être grâce à la nature dans l’Union européenne" : "L’accès aux espaces verts naturels améliore notre santé physique et morale".

Forte d’un tel constat, l’école en nature favorise la scolarité hors des murs ; certaines réalisent l’ensemble des activités scolaires à l’extérieur. Les enfants, qui respirent un air pur, sont non seulement sensibilisés au respect de l’environnement, mais acquièrent également de multiples connaissances et compétences en évoluant au sein des bois. Grimper dans les arbres, jouer dans les flaques, fabriquer des objets et faire un feu, autant d’activités ludiques et formatrices que les élèves sont encouragés à effectuer. Les élèves peuvent observer par eux-mêmes le cycle de vie des plantes et des animaux et se montrent plus enclins à manger des fruits et légumes qu’ils ont pu voir pousser ou qu'ils ont eux-mêmes plantés.

Pour comprendre cette pédagogie, il est nécessaire de remonter jusque dans années 1950, date de création de la première école de la forêt au Danemark par Ella Flatau à la suite d'une saturation des écoles.
Quelques années plus tard, le concept a fait des émules, puisque plus de 700 écoles maternelles danoises sont basées sur cette pédagogie, et de nombreuses écoles appliquant ces méthodes ont vu le jour en Allemagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande, mais aussi en Chine, au Japon, aux États-Unis, au Canada et dans d'autres pays du monde encore. En France, si le mouvement reste encore peu connu, avec une trentaine d’écoles de ce type sur l’ensemble du territoire, cette pédagogie a également le vent en poupe.

Dans les outre-mer, et plus précisément en Martinique, l’école de la nature a notamment séduit monsieur et madame Pierre, un couple d’enseignants, également parents. Soucieux du bien-être des enfants, ils décident il y a 7 ans, de fonder Beraca, une petite école maternelle et primaire privée nichée dans le sud de l’île, sur la commune de Rivière-Salée au quartier Décaille.
À ses débuts, cette école centrée sur le sport et la nature n’accueillait que 6 enfants. Attentive aux besoins et aux profils des différents élèves, elle n’a cessé d’évoluer… pour devenir aujourd’hui la seule école en Martinique à proposer un enseignement en nature. Alliant le modèle traditionnel et l’école en nature, sa pédagogie fait la part belle à de nombreuses activités sportives pratiquées en extérieur (natation, équitation, randonnées…), mais également à des activités proches de la terre, notamment le jardinage. Une très grande partie de la journée d’école est consacrée au travail en pleine nature. Les langues y sont enseignées sous un arbre, l’éveil au bord de la rivière, les mathématiques au moyen de cailloux...

Ce projet pédagogique innovant n’a pas manqué de convaincre de nombreux parents, puisque plus de 100 enfants sont aujourd’hui scolarisés au sein de l’école Beraca. Du fait de la pandémie de Covid-19, les activités en plein air – qui diminueraient la propagation du virus – ont d’ailleurs été accentuées en 2020. Pour en savoir davantage, nous avons interrogé madame Martha Pierre, directrice de l’école Beraca, qui n’a pas hésité à nous éclairer et à nous expliquer son approche éducative.

Podcast journal : La école de la forêt a un grand succès en Allemagne et au Danemark, où elle a vu le jour dans les années 50, mais elle prend ses marques timidement en France. Vous êtes la première et l’unique école de ce type en Martinique. Est-ce que les Waldkindergarten allemandes vous ont inspirée ?

"Dans certains pays, l’école de la forêt a été mise en place d’office, mais notre école est davantage une école basée sur les apprentissages en nature ; notre programme inclut énormément de projets autour du jardinage. Ceux-ci occupent une place importante dans la partie éveil du socle commun. Nous mettons en place des éléments qui permettent aux enfants de suivre les mathématiques et le français avec une pédagogie centrée sur l’humain. La question qui nous anime est la suivante : qu’est-ce qu’un enfant peut faire avec ce qu’il a autour de lui ?"


Podcast Journal : Quelle est exactement votre pédagogie d’apprentissage ? Et sa plus-value par rapport à l’enseignement traditionnel ?

"Notre école utilise le matériel de la pédagogie Montessori tout en s’inspirant de la pédagogie humaniste. L’enfant est au centre de l’apprentissage. En tant qu’école adventiste, notre parcours personnel nous inspire au quotidien, et notre grand pédagogue dans l’institution adventiste, " Hélène G. White ", travaille autour de la pédagogie ( les huit lois de la santé ). L’enseignement traditionnel n’a rien à envier à notre type d’apprentissage, car nous sommes partis de ce dernier en nous posant la question suivante : comment répondre aux besoins des enfants de plus en plus atypiques et qui n’ont pas les mêmes difficultés ? Nous sommes tout simplement des enseignants de la vie proposant un apprentissage axé sur l’amour des enfants et le respect de l’autre.
Depuis sa création, notre école est fondée sur la nature. Nos parcours, personnel et professionnel, se sont imbriqués implicitement. Nous sortons pour des parcours santé, des sorties plage, des randonnées dans la mangrove... et à ces occasions, nous croisons des crabes, des tortues... Tous les enfants connaissent les palétuviers, les tiges, les racines principales et secondaires, le nom des arbres, et parviennent à distinguer ceux qui sont nocifs ou non... À notre retour à l’école, tout ce qui a été vu lors de la sortie est noté sur les cahiers des enfants pour respecter le socle commun qui reste notre base d’apprentissage. Avec la Covid, nous avons encore renforcé ce concept.
Le projet éducatif est appliqué par toute l’équipe de l’école Beraca. Nous pouvons compter sur la participation d’une psychométricienne, Chloé Remoult, qui intervient à raison d’une fois par semaine ainsi que d’un psychologue clinicien,Christian Calaber. Ces professionnels, à nos côtés depuis l’ouverture de l’école, permettent de faciliter l’accompagnement de tous les enfants, avec l’aval des parents bien entendu. L’enseignement traditionnel reste toutefois la base de notre approche.
Ayant la chance d’être situés au sein d’un écosystème magnifique (forêt, rivière, plage et mangrove), nous faisons en sorte d’en faire profiter les enfants autant que possible. La Martinique est l’endroit où l’on devrait multiplier les écoles en forêt. En effet, nous n’avons besoin que d’un bâtiment pour nous abriter quand il pleut ou pour manger… ainsi que pour enseigner les mathématiques et le français ! Car chaque jour, les matinées sont consacrées à ces deux matières et à de multiples exercices d’application. Il est ensuite temps d’enfiler nos bottes et de partir à l’aventure."



Podcast Journal : Quelle a été l’appréhension des parents face à ce nouveau concept ?


"Nous rencontrons deux types de parents. Certains parents sont enchantés par ce nouveau concept. Ils sont impressionnés par l’espace dont nous disposons. En effet, nous bénéficions actuellement d’un espace privé appartenant à une institution, et dont nous profitons pleinement. D’autres parents sont davantage habitués aux espaces clos et ont préféré quitter l’école en raison de l’espace qu’ils qualifient de "très grand".
La décision revient donc aux parents. Mais même si certains parents décident de partir de l’école, nous en recevons d’autres dont l'enfant quitte un enseignement traditionnel pour venir chez nous. Et là, c’est la métamorphose ! L’enfant, qui était au départ turbulent et agité, s’épanouit et s’apaise. Il est heureux et avait juste besoin de pouvoir évoluer en extérieur.
Pour nous, vivre avec la nature et ce qui l’entoure est ce qui forge le caractère d’un homme. Même si nous passons la matinée à l’intérieur afin de travailler les mathématiques et le français, nous remarquons que les enfants s’adaptent facilement à leur environnement et sont ravis de retrouver leur grand espace.
Les nouveaux arrivés sont là pour nous enrichir et enrichir notre concept de l’extérieur."



Podcast Journal : Comment décririez-vous les enfants scolarisés à l’école en nature de Beraca ? L’apprentissage en plein air éveillerait-il plus les enfants ?


"Même si 2020 est notre première année en immersion totale dans la nature (les activités extérieures ont été renforcées depuis la crise sanitaire), nous pouvons déjà constater que ce concept est très valorisant pour l’enfant. Les élèves me disent souvent : "Fais-moi confiance et tu verras ce que je sais faire". La devise de Maria Montessori, "Aide-moi à faire seul", est au cœur de notre quotidien.
Un exemple ? Actuellement, nous travaillons sur le continent de l’Afrique en éveil (zoologie, botanique histoire-géo...). Nous étudions le cacao et appliquons donc le concept de nature dans l’apprentissage de ce projet. Nous cueillons des cabosses, les cassons, les mettons à sécher, puis nous les passons au four. Les enfants écrasent eux-mêmes les graines. Pour un autre projet, nous avons découpé du bambou, et les élèves utilisent une scie à métaux pour confectionner des pots à crayon ; les enfants de Beraca manipulent des outils de "grand" malgré leur jeune âge.

Cette approche invite les enfants à prendre des initiatives et à être autonomes. Nous restons évidemment vigilants, car les enfants sont en extérieur, mais ils demeurent libres, et cela leur permet de développer leur imagination ainsi que leurs capacités intellectuelles. À Beraca, les élèves confectionnent leurs jouets et apprennent à protéger l’environnement, car l’écologie est au centre de l’apprentissage. Ainsi, chaque matin, de petits groupes sont formés pour ramasser les déchets.
La totalité des cours d’anglais, d’espagnol et de musique a lieu en extérieur ; les maîtresses se déplacent avec un tableau sous le bras pour faire la leçon, les cailloux de la rivière sont ramassés pour faire les divisions et les soustractions. Tout ce dont nous avons besoin pour travailler est donné gracieusement par la nature."



Podcast Journal : Quels résultats sont attendus de ce pas de côté ?

"Le calme, l’autonomie, le respect de la nature et l’écoute de celle-ci. L’arbre, par exemple, est notre survie, le poumon de notre planète. Sans lui, nous ne pouvons survivre. L’environnement est primordial dans la transmission du savoir. Nous, les adultes, avons la responsabilité de transmettre aux enfants ce sens de la responsabilité pour faire d’eux de futurs protecteurs de la nature.
Les enfants apprennent donc à respecter les arbres et à protéger l’environnement dès leur plus jeune âge. Ils collectent les déchets, trient et récoltent des bouchons à l’école. Nous faisons du bricolage autour du recyclage, et l’enfant apprend à ne rien jeter. Le principal résultat attendu est la tranquillité d’esprit pour favoriser l’apprentissage.
La nature est la plus grande bibliothèque au monde, et toutes les matières peuvent y être enseignées."


Podcast Journal : La nature est au centre de votre approche éducative, irez-vous aussi loin que les Forest Schools allemandes par exemple, où la totalité des apprentissages se fait en extérieur ?

"Pour le moment, je ne pense pas que nous sommes arrivés au point de ce qui se passe dans les forêts allemandes. Les parents ne sont pas prêts à accepter que l’ensemble de l’apprentissage ait lieu en extérieur.
En tant que didacticiens et pédagogues, nous devons être capables de nous adapter à tous les profils d’enfants que nous recevons à l’école. À mes débuts, l’enseignement était totalement différent, mais la population change au fil du temps, les mentalités aussi. Peut-être qu’un jour, tout le monde franchira le pas !"


Podcast Journal : Quel mot d’encouragement aux parents qui hésitent et appréhendent cette approche ?

"Je m’adresserai ici davantage aux parents qui sont ancrés dans l’enseignement traditionnel. Notre démarche est, certes, différente de l’approche traditionnelle, de la pédagogie Montessori et Freinet, mais chacune de ces trois pédagogies nous inspire dans notre pratique quotidienne.
La nature est en effet un magnifique pédagogue qui n’a besoin ni de livres ni de manuels. Elle nous dit : "Je suis là, apprenez de moi. Je suis là, venez vers moi". La nature nous tend les bras et nous enrichit. Les livres changent, se détériorent... mais la nature reste authentique et inchangée. Par notre comportement, nous pouvons la préserver.
La nature humaine a besoin d’apprendre de la nature universelle.
Donc n’hésitez plus !"
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