Ce tout jeune homme avait mis fin à toutes croyances, il était passé à travers tout ce processus, et tout cela s’était détaché de lui pour toujours. Il avait clairement vu l’illusion des religions, des sectes, du nationalisme ; toutes choses qui séparent les hommes et engendrent les conflits et les guerres. Il n’était donc plus français ou européen, il n’était plus également chrétien, bouddhiste, hindouiste ou autre. L’identification à un quelconque groupe fut très bien perçue comme une pure illusion, une vue de l’esprit.
Il y eut une perception aiguë du conditionnement dû à l’histoire, mais aussi dû aux mécanismes des pensées ; il y eut une perception directe, vivante, de la nature du temps psychologique. Tout cela se fit sans aucun effort, emporté par la passion et la surprise de découvrir toutes ces choses. Toutes les perceptions intérieures se réalisaient de manière très naturelle, comme de l’eau qui coule. Il y eut plusieurs "expériences" subies, mais à chaque fois la lucidité montra l’illusion et l’irréalité de ces événements, alors les "expériences de l’esprit" cessèrent d’elles-mêmes. Puis à un moment donné, sans prévenir, quelque chose d’autre cessa, quelque chose de très ancien ; une chose vieille comme le monde. Il n’en prit pas conscience tout de suite, mais il sentit une immense décontraction, comme un fardeau millénaire qui venait d’être posé au sol.
Les millénaires mémoriels venaient de tomber ; la peur, qui se perd dans la nuit des temps, la peur n’était plus. C’était la fin de l’illusion du temps psychologique, la fin du "moi" ; l’attachement à la continuité du temps n’était plus. Plutôt que le début de quelque chose, c’était la fin de "ce qui était", du monde des idéaux, des croyances, des œuvres de la pensée. Alors cette fin non prévue, non voulue, laissa l’esprit très décontracté, souple, et surtout immobile et très silencieux. Là dans ce silence immense, il y eut un mouvement totalement différent, quelque chose commença à vivre, quelque chose de jamais vue, de jamais connue.
Ce fut comme un autre univers qui s’ouvrait, le monde était entièrement neuf, plus intense, plus vivant et d’une telle beauté ! Le regard intérieur vit naître une intelligence autre, très sensible, une vision pénétrante qui voyait instantanément les soucis psychologiques. Cette vision, ce regard clair dès qu’il se posait sur quelque chose, résolvait immédiatement le problème. Toute situation existe par manque de clarté et de compréhension, dès que la lumière de l’intelligence l’éclaire, la souffrance ou ma prison mentale n'existent plus. Les conditionnements tombent pour toujours, ils n’existent plus. Il faut finir "ce qui est", profondément, véritablement. Le tout premier mouvement c’est la fin de ce qui est, on est alors hors du monde des hommes. Quand cette fin a lieu, alors existe un monde sans croyances, sans idéaux, quelque chose que l’homme n’a jamais exploré. Là dans ce nouvel espace, l’esprit se met en marche, le mouvement dans l’inconnu commence à exister. Ce mouvement sans pensée, au-delà de l’expérience et du "moi", ce mouvement est la véritable méditation, c’est l’exploration silencieuse d’un immense continent, vierge de toute présence humaine.
Cette fin de soi, et la découverte de cet autre monde se firent très rapidement, en moins de deux années tout cela eut lieu. Le jeune homme était persuadé que de nombreuses autres personnes avaient connu de tels événements dans leur vie, il ne se sentait pas du tout extraordinaire ou hors-norme (ce sentiment est toujours vrai, aujourd'hui). Tout cela était tellement naturel, tellement fluide. Pourtant quand il essaya d’en parler avec des amis, avec sa famille, il fut très surpris des réactions ou des commentaires. Certains ne voulaient pas en entendre parler, et d’autres disaient : "c’est vrai, il faut être libre", et ils suivaient une religion, ou pratiquaient de manière très superficielle différentes méditations. La plupart fuyaient leurs peurs dans des systèmes établis, et tous disaient chercher la liberté. Le jeune homme constata la grande difficulté qu’il y avait à parler de tout cela, mais surtout il constata le manque flagrant de vision profonde et de compréhension vivante, chez presque tous ses interlocuteurs.
Alors il décida d’approfondir sa découverte, au lieu de parler, il se plongea profondément dans ce voyage, dans cet inconnu. Le silence fut gardé pendant près de vingt cinq années ; il y eut de nombreux écrits pendant cette longue période. Cette naissance de nouveaux mots, cette explosion de perceptions en mouvement, c'est véritablement la découverte d'une immensité sans nom, d'un pays où siège une immobilité immuable.
Paul Pujol, Senteur d'éternité
Éditions Relations et Connaissance de soi
Témoignage, page 15 à 17
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