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Un soutien-gorge dans le persil

Publié le 17 mars 2021 par Desfraises

Un soutien-gorge dans le persil

Autoportrait saisi le 17 mars à 10 heures par 20° si si ! (balcon protégé du vent et ensoleillé 300 matinées dans l'année)


Je passe par le parc. J'ai en mains un bout de papier sur lequel j'ai noté la succession des tâches à accomplir en un temps imparti — rentrer du boulot, embrasser mon mec puis la chienne (ça, ça n'était pas sur la liste), achever d'emballer deux paquets, distinguer ceux qui vont au point 1, 2 ou 3 dans la boucle que je m'apprête à faire dans le quartier avant l'heure fatidique du couvre-feu. Dans le week-end, mon mec et moi avons trié les vêtements destinés à la vente sur une appli d'affaires de seconde main. Plier, photographier, mettre en scène un peu, répertorier, cliquer, répondre aux messages d'acheteurs potentiels, refuser de marchander quand l'autre est discourtois, accepter parfois, vendre, chercher les emballages de tailles diverses et variées, imprimer, scotcher, repousser le chienne qui ne comprend pas qu'on joue (à la marchande) sans elle. 

Mylène dans les oreilles, je marche et renifle l'effigie de mon t-shirt, une panthère rose au parfum de chewing-gum. La bandoulière du grand sac bleu pétrole me cisaille l'épaule. Dans mon escarcelle, cinq paquets à déposer auprès des trois enseignes que mon périple m'oblige à visiter. Plus l'on diversifie, plus on augmente ses chances de vente, plus la difficulté augmente. U PS, Chronopost, Mondial Relay, Relais Colis etc ou le labyrinthe des expéditions plus ou moins heureuses.

Je passe par le parc. Un papa, me semble-t-il, assis sur un tourniquet, pousse le sol de ses pieds pour faire tourner le manège et contenter son petit, hilare, agrippé à ses genoux. Devant le théâtre de la Girafe, sans girafe (majestueuse statue en fibre de verre) depuis que celle-ci a été décapitée par des vandales s'amusant de leur destruction par une nuit stupide, cinq adultes sous un platane centenaire, les mains sur les épaules, font des moulinets avec leurs coudes et papotent. Une jeune femme au chandail élimé, les yeux clos, adopte la position du lotus. Le mistral qui secoue la ville depuis hier ne paraît pas perturber sa méditation.

Point 1. J'ai fait chou blanc hier. La préposée a refusé mes colis, avec force excuses et contorsions, vous comprenez le lundi, mes sacs sont pleins dès le matin, venez demain, promis je prendrai vos paquets. Obligée, peuchère, d'agiter ses dix bras et ses quatre jambes entre la caisse du magasin, le comptoir estampillé La Poste (service public qui s'est barrée en sucette) et le local où s'amoncellent les colis. Elle scanne plus vite que son ombre, m'adresse un sourire sincère. Ça me rappelle Amélia. 

À l'angle du Boulevard du Jardin zoologique, deux fleurs de pissenlits mêlés aux brins du persil enraciné au pied du perron d'un immeuble décati côtoient furtivement un soutif blanc passant par là, échappé d'on ne sait quel tancarville. 

Point 2. La petite boutique qui vante des parfums à vapoter, glace à la menthe et pépite chocolat, tarte citron meringué, sorbet framboise. 3€ l'unité de 10ml. Je tends au vendeur un colis destiné à la Corse et le débarrasse de celui contenant mon t-shirt Mickey (illustration) venant de San Mauro Torinese, Italie. Je m'inquiète de son bras en écharpe. Bah, rien de grave, me dit-il, un souci de décalcification à l'épaule.

Au détour d'un rond-point, je fais le décompte de mes paquets et prends en photo mentalement les inscriptions taguées sur le contrefort qui soutient une parcelle du Parc Longchamp : un cœur vert surplombe les mots "bras cassés". Un message subliminal envoyé à ceux qui nous gouvernent ? 

Point 3. La superette a changé de propriétaires mais a conservé une partie du fonds de commerce. Je remets un paquet à la vendeuse guillerette et lui dis : un donné pour un rendu ! Elle trottine jusqu'à l'arrière-boutique pour saisir l'ultime colis de mon périple et me le tend, non sans une boutade : vous me faites un autographe ? On sait jamais, je peux le revendre, plus tard. Sur l'étal au-dessus d'elle, imperturbables, les aubergines attendent le chaland.  

Je dépasse un toutou attaché à la sortie de la boulangerie voisine. Ebouriffé par les rafales de vent, il peine à tenir debout, il attend sa maîtresse et le quignon de baguette pour lui faire pardonner l'abandon momentané. Les automobilistes en file indienne s'impatientent eux aussi, ils actionnent leur klaxon, ils veulent, j'imagine naïvement, rentrer chez eux avant le couvre-feu. Renversée par le Mistral, une grosse poubelle offre à la passagère qui a déroulé sa vitre sa gueule béante et placide.

Point 4. Je m'enquiers de comprimés pour le rhume de ma moitié. La pharmacienne me délivre ses conseils, me souhaite une bonne soirée de sa voix flûtée. 

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