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Gemme poétique : 'Roses tragiques', un poème de Robert de Montesquiou consacré à l'impératrice Elisabeth d'Autriche

Publié le 08 avril 2021 par Luc-Henri Roger @munichandco

Gemme poétique :  'Roses tragiques', un poème de Robert de Montesquiou consacré à l'impératrice Elisabeth d'Autriche

Couverture illustrée d'un dessin de René Lalique

Robert de Montesquiou, le célèbre aristocrate poète, présente l'impératrice dans l'avant-propos d'une édition de son recueil de poésies intitulé Les Paons (Charpentier et Fasquelle, 1901):

" Elisabeth d'Autriche, poignante figure de lumière et d'ombre, de splendeur et de tristesse, de séduction et d'hypocondrie. Un peu comme une sœur de ce Louis Deux de Bavière, qui était son parent, et auquel un privilège d'amitié et des similitudes de destinées l'unirent davantage encore. Victime Eschylienne, marquée d'un sceau de grâce et de malheur, entre les infortunes personnelles, les conflagrations de crimes et les fatalités héréditaires. Les apothéoses du début la disposent mal à ce qui doit suivre. De désillusions en désenchantements, elle s'achemine vers la sereine philosophie qui lui fait formuler ce mot sublime : « Il suffit d'avoir une belle mort en dedans de soi-même. » C'est ainsi qu'elle promène, à travers le monde et la solitude, sa résignation couronnée, jusqu'à ce qu'elle rencontre, au jour fatidique, le fer de l'assassin, qui sait retrouver, sous le manteau de cette Princesse Autrichienne et Hongroise, et faire jaillir de son cœur, les Lys martyrisés de Marie-Antoinette d'Autriche et les charitables roses d'Elisabeth de Hongrie. "Le poème élégiaque Roses tragiques, le treizième de la section intitulée Intailles, est tout entier consacré à l'impératrice :

au Vicomte E. M. de Voguë.

XIII

ROSES TRAGIQUES

Il suffit d'avoir une belle mort au dedans de soi-même.

ELISABETH D'AUTRICHE.

Cette autre Elisabeth, qui fut Reine, en Hongrie,
Comme la Sainte, sa patronne, la voici, 
Sous son linceul royal, près duquel se récrie Notre indignation de la voir morte ainsi.
Elle était belle, elle était simple, elle était bonne, 
Le front seulement ceint de ses sombres cheveux; Elle ne voulait plus porter d'autre couronne, Et, de nombreux joyaux, laissait dormir les feux.
Plutôt les échangeant contre la joie unique 
De voir le seul bijou qui lui pût sembler beau : Les perles de l'écume, au bord de la tunique De l'onde, toujours prête à devenir tombeau.
Ainsi, l'une après l'autre, elle rendit ses perles 
Aux océans qui l'en paraient avec orgueil. Ô Mer, sur sa dépouille aujourd'hui tu déferles... Elle retrouvera ses perles sur ton seuil.
Un Prince qui la vit en jeune chasseresse, 
Lui tendit un Empire, avec ses vœux tremblants. Le passé la revoit, en ce jour de tendresse, Mêlée, en robe blanche, à des lévriers blancs.
La déclaration fut digne d'un poète;
Car, désignant la carte où s'étendait son bien
L'amoureux, à l'amie, avait, courbant la tête :
Dit : « Mon peuple est à vous, si votre amour est mien. »
François-Joseph conduit la pompe funéraire; 
Des reines, qui sont là, lui rappellent leur sœur, Et plus d'un souverain vient l'assister en frère; Mais son souvenir seul lui parle avec douceur.
Ce fut l'apothéose en sa ferveur entière, 
La course sur les eaux du Danube d'azur, Dont la rive, acclamant la Rose de Bavière, Inondait de ses fleurs ce titre exquis et pur.
Mais le couronnement, en une capitale, 
S'ouvre encor plus superbe; on y voit s'effeuiller Des pléiades de fleurs dont la splendeur s'étale Pour le nuptial lit et l'auguste oreiller.
Les vierges, des balcons, laissaient pleuvoir des roses ; 
Un pont fut pavoisé des vivantes couleurs D'orangers, de rosiers et de camélias roses, Plus de seize milliers d'arbustes tout en fleurs.
Des milliers de serpents sont cachés sous leurs branches ! 
Ils sifflent... le bonheur s'évanouit, les yeux Se voilent, le sang coule... et l'Ange aux robes blanches S'enveloppe de deuil pour courir sous les cieux.
Elisabeth d'Autriche, Antoinette d'Autriche, 
Soeurs, se donnent la main dans l'histoire des maux; Toutes deux, de douleurs, ont leur gerbe aussi riche; L'une fuit ses palais, l'autre aime les hameaux.
C'est un déroulement de tragédie antique, 
Cette aventure étrange aux silences obscurs, Que traverse un éclair sillonnant un portique Et qui trace des mots flamboyants sur les murs.
On entend dans la nuit grincer d'âpres furies; 
Euripide, Sophocle, Eschyle ouvrent leurs choeurs; Des malheurs merveilleux exercent leurs séries, Deuil, démence, défaite et désastres vainqueurs.
Alors on te voit fuir, étrange voyageuse,
En Méditerranée, aux Alpes, dans Corfou,
Sur la crête des flots, sur la cime neigeuse,
Les regards d'un fantôme ou les plaintes d'un fou.
Des lampes, chaque nuit, dissipent, dans ta chambre, 
Les spectres dont l'effroi peuple l'obscurité. Le printemps luit dehors - en ton cœur c'est décembre ; Pour l'ombre de ton âme, il n'est plus de clarté.
En vain tu fais revivre, en une villa grecque, 
Les roses qui jadis te sacraient d'un rayon; La paix n'est plus pour toi, dans la bibliothèque Ni parmi les jardins de ton Achilléion.
Lors, te sentant vouée aux rumeurs éternelles 
De ce qui, dans ce Monde, expire sans mourir. Tu dis ton désir d'être ensevelie en elles, Ces vagues que tes yeux regardent accourir.
Elles te parlent de tes sœurs : les détrônées;
De tes parents : les fusillés et les déments;
Des Louis Deux, dont les extases couronnées
Ont de cruels réveils de Beaux-aux-Bois-Dormants.
Alors tu ne veux plus qu'être la Reine Errante 
Que tant de bords ont vue, et qui fuit tant de deuils Ranimés dans les voix de la mer murmurante, Toi pour qui nul pays n'a plus de clairs accueils.
Le Monde est comme un livre à tes regards avides; 
Mais tu ne rouvres pas les feuillets déjà lus. Tu traces, du doigt blanc de tes mains toujours vides, Ton beau nom sur le sable... et tu ne reviens plus.
On te voit près des lacs, en lente promenade, 
Emmener ton ennui que berce un éventail; Les bergers écossais te croient une Ménade, Tu chasses l'oiseau bleu, tu pêches le corail.
C'est ce même éventail peint d'un lis de ténèbre 
Qu'insigne féminin, on voit entre-croisé D'une paire de gants, sur le coussin funèbre, Tel qu'un sceptre soyeux, ployant et reposé.
Tu n'as, contre pas un, de rancoeur ou de haine: 
Il n'est d'Eldorado, pour toi, ni d'Alcazar... Tu glisses en chantant des vers de Henri Heine, Des ombrages de Linz aux tours de Miramar.
Les plus désespérés te sentent leur égale,
Sous tes voiles de crêpe où les pleurs sont pareils :
Plus que la tienne, nulle table n'est frugale :
Tu ne vis que de lait, de fruits et de soleils.
Et sainte Elisabeth, Hongroise, la patronne, 
Pour te récompenser de nobles charités, D'un martyre où revit son miracle, couronne Ton geste qui fut doux à maints déshérités.
Car ces fleurs qui d'aurore arrosèrent tes noces, 
Elle les fait fleurir au fer de l'assassin : Ton sang, tel qu'une rose aux épines atroces, De ta vie oppressée a délivré ton sein !

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