Storytelling made in China

Le storytelling est aussi un art qui s'exerce au niveau des Etats.

Made in China ne signifie pas que ce storytelling est produit en Chine et importé chez nous. C'est l'Etat chinois qui communique, fait sa promotion, avec le storytelling. Il fait son storytelling, donc.

Cette idée d'article ne m'est pas venue comme ça, sur un coup de tête. J'ai lu un article de Kerry Brown, du King's College de Londres sur le sujet, paru dans The Hague Journal of Diplomacy en 2020. Jamais entendu parler de cette revue, mais peu importe. L'article était très intéressant.

Le grand switch narratif de la Chine

Il y a eu le storytelling de la Chine maoïste, jusqu'en 1976. Puis le post-maoïsme, avec une ouverture économique (économique, hein, juste ça) qui a débuté à l'entame des années 1980. Mais c'était toujours, quelque part, une histoire du marxisme-léninisme à la chinoise.

Et aujourd'hui, quel storytelling ?

Le storytelling chinois des temps présents

Aujourd'hui, la Chine raconte une autre histoire, mais qui n'est pas dénuée de liens avec l'autre. Il est question de pouvoir, de statut, de grandeur de la nation. Bref, une histoire qui ressemble beaucoup à celle que racontent plein d'autres Etats. Avec une différence tout de même. En Chine, c'est un parti politique, le Parti communiste chinois qui raconte cette histoire, avec le support actif de tout un réseau "d'ambassadeurs" à travers le monde. Dans certains cas, ces "ambassadeurs" (qui sont parfois réellement des diplomates) se transforment en ce qu'on appelle des loups guerriers. L'expression se passe d'explications, elle est en tout cas très narrative. Voici des personnages qui, à défaut d'être souhaitables quand on en est la cible, sont de vrais éléments d'un storytelling élaboré.

La Covid-19 n'a pas fondamentalement changé les choses. Tout au plus la Chine a-t-elle marqué une pause, le temps de l'urgence, avant de repartir de l'avant.

Les détails du récit chinois

Deux histoires à distinguer en fait :

- l'histoire interne (à la Chine et au Parti communiste chinois)

- l'histoire externe : racontée au reste du monde

Ce n'est en effet pas la même. Et ce n'est pas pour simplifier les choses.

C'est une histoire de libération : libération à la fin de la deuxième guerre mondiale, mais pas que. Libération d'une société traditionnelle avant l'ère moderne, qui avait été marquée par le féodalisme pendant des siècles, des inégalités de classes très fortes et une exploitation des (nombreuses) petites gens. Ce storytelling a quelque chose de mystique : c'est un idéal, le rêve chinois au coeur d'un nationalisme fort. Il existait déjà avant l'arrivée de Mao au pouvoir. Il a été poursuivi sous Mao et après, avec une connexion libération - renaissance de la Chine, au service de l'intérêt national et de la justice pour tous.

Pas de place pour la désunion dans cette histoire. La Chine est une et unifiée. Et le Parti est là pour la remettre sur des rails et remettre à jour cette grande idée après toutes les vicissitudes et indignités dont la Chine a été victime à l'ère moderne. La grandeur de la Chine est incontournable dans cette histoire, inévitable.

Cette histoire est un ciment bien plus puissant et concret pour le peuple chinois que les principes abstraits et dogmatiques du marxisme-léninisme.

Cette histoire est plus complexe qu'une histoire de renouveau de la Chine, d'essor, de pouvoir retrouvé. L'histoire offensive de la Chine est assortie d''histoires de relation win-win. Même quand on parle avec un ou une chinoise individuellement, c'est souvent ce qui ressort quand on aborde la question des relations entre les gens. Les mots de destinée commune du village planétaire sont aussi répétés (depuis 2013, d'ailleurs, c'est récurrent).

C'est une manière, pour la Chine, d'essayer de rassurer, montrer qu'il n'y a pas à craindre son expansion et qu'elle sera bénéfique pour tous. Le tout étant quand même de pouvoir occuper l'espace géopolitique qu'elle souhaite.

Le rêve chinois l'est pour tous. Raconter cela fait partie des missions des diplomates chinois à l'étranger. C'est aussi pour cela que des médias chinois en langue étrangère - comme cette chaîne TV en français- ont vu le jour.

C'est plutôt incontournable quand on se trouve être un régime politique très différent des autres grandes puissances avec lesquelles la Chine dialogue. L'histoire ne pouvait être que purement matérialiste. Le storytelling aurait été différent si au moins quelques uns de ces autres pays avait été du même bord politique que la Chine. Mais là... Il faut parler au sens de l'intérêt personnel des autres Etats.

L'enjeu pour la Chine vs. les autres pays :

Pour la Chine, l'enjeu n'est pas de faire du prosélytisme pour son système politique. L'enjeu de son storytelling est d'obtenir une tolérance de la part du reste du monde parce qu'il y trouve son intérêt. Est-ce cynique ? Sans doute, de part et d'autre.

Certains se demandent tout de même s'il n'y a que cela ? Ou bien s'il y a une sous-intrigue ? Derrière cette ambition du bonheur pour tous, est-ce qu'une volonté d'endormir le monde se cache, dans le but d'asseoir en douceur une hégémonie chinoise ?

Et maintenant, après le Covid-19 ?

La Chine peut-elle encore tenir son storytelling ? Le monde a compris qu'il payait son cheminement commun avec la chine au prix d'une dépendance grandissante pour la fourniture de certains produits de grande nécessité pendant la pandémie du Covid-19.

On entend beaucoup dire que les pays occidentaux devraient ressentir de l'amertume parce que la Chine est la première puissance à se relever de la tragédie du Covid. C'est oublier qu' un nouvel épisode de l'histoire va s'ouvrir. La réflexion autour des avantages et des inconvénients de la dépendance à la Chine va nourrir ce nouveau storytelling et orienter le cours du récit. Et ce n'est n'est pas uniquement la Chine qui sera la narratrice de cette histoire. Les autres autres protagonistes auront aussi leur mot à dire. Et un rôle de personnage actif à jouer. A suivre.

Pour envisager ce storytelling du futur, on peut déjà visiter les bases du storytelling avec Storytelling France.