

On remarquera l'absence du corps de Marie Vetsera sur cette illustration.
Supplément illustré du Petit Parisien (10 février 1889)
Courrier de la SemaineLe grand événement de ces jours derniers, événement dont on parle encore, c'est la mort imprévue du Prince Impérial d'Autriche. Est-ce qu'on saura jamais quelle en a été la vraie cause ? Que n'a-t-on pas dit à ce sujet ! et que ne dira-t-on pas ! Ce qui a été établi, c'est que le prince Rodolphe avait été frappé d'une balle. Cette balle, quelle main l'a dirigée ? Le prince s'est-il suicidé dans un accès d'aliénation mentale, comme le prétendent les médecins de la cour d'Autriche ? A-t-il été tué, comme on l'a dit, par un garde-chasse dont, au cours de ses aventures galantes, il avait pris la fiancée ? Ou bien faut-il ajouter foi au récit d'après lequel il aurait séduit la fille d'un haut personnage de l'Empire autrichien ? Ce personnage, a-t-on raconté, l'aurait vu sortir de chez lui, de grand matin, et n'aurait pas tardé à apprendre qu'il avait apporté le déshonneur dans sa maison : pour venger l'honneur de sa fille, il n'aurait pas hésité à faire assassiner son séducteur. D'après une autre version, il aurait été le rejoindre à un rendez-vous de chasse, au château de Mayerling, et l'aurait tué en duel. Quoi qu'il en soit, c'est un ennemi de moins que compte M. de Bismarck. Décidément, M. de Bismarck a de la chance ! Remarquez-vous que les hommes destinés à le gêner dans sa politique disparaissent tout-à-coup, plus ou moins mystérieusement frappés par la Mort ? Le Russe Skobeloff inquiétait l'Allemagne : il a succombé en pleine force, au moment où ses idées triomphaient en Russie, tué d'une attaque d'apoplexie, ont dit les dépêches officielles; empoisonné, ont affirmé ceux qui n'ignoraient pas l'intérêt qu'on avait — on devine où — à voir s'en aller ce héros qui rêvait l'alliance franco-russe. Le roi de Bavière aussi gênait M. de Bismarck. Il n'avait jamais accepté la suprématie de la Prusse. On se rappelle sa fin tragique : des médecins le déclarèrent fou et, un beau jour, on le trouva noyé dans un lac. M. de Bismarck aurait été gêné par Frédéric III, s'il avait régné longtemps. Le Génie du mal, qui protège le Chancelier allemand, a encore triomphé cette fois. Après moins de trois mois de règne, Frédéric III descendait dans la tombe. Et maintenant, c'est le tour du prince Rodolphe. Celui-là était un adversaire ardent de l'Allemagne, et il ne pardonnait pas à son père, l'Empereur d'Autriche, d'avoir fait de son pays le vassal de M. de Bismarck. La Mort est venue l'abattre en pleine jeunesse. Le prince Rodolphe avait été l'ami de Guillaume II, avant qu'il fût Empereur d'Allemagne; mais ils ne pouvaient s'entendre longtemps : l'un était l'ami de la France, l'autre son adversaire implacable. On cite un incident qui amena la rupture complète entre les deux princes. C'était au moment de la mort de Guillaume II, à l'époque où son fils, le prince Frédéric, agonisait à San Remo : Guillaume II ne cachait pas son désir de voir ce dernier mourir aussi, afin de pouvoir vite succéder à son grand-père. Un soir, à Berlin, le prince Rodolphe, qui était venu assister aux obsèques du vieil Empereur, parlait de littérature et de science. — Je ne comprends pas, s'écria le prince Guillaume, soldat ignorant et brutal, je ne comprends pas qu'un prince héritier trouve digne de lui de s'occuper de telles futilités ! Le prince Rodolphe répondit : « Il y a une chose qui est surtout indigne d'un prince héritier ; c'est d'aspirer au trône du vivant de son père! »
Tous ces points de vue, — et particulièrement la thèse bismarckienne longuement argumentée par Arthur Savaète, — sont détaillés dans les Textes de Mayerling recueillis dans ma publication Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020)


