Ayya Khema en Allgäu bavarois (1993) — Photo nyana_ponika.
J'ai eu le bonheur de suivre les enseignements de la vénérable Ayya Khema alors que je séjournais à Munich en Bavière en 1993-1994. Peu après mon installation dans la capitale bavaroise, je m'étais enquis des centres de méditation bouddhiste de manière à pouvoir continuer une pratique commencée en Belgique. Après avoir participé aux séances d'un centre tibétain de tradition nyigmapa, j'eus l'occasion d'entendre un enseignement de la vénérable Ayya Khema à la Buddha-Haus (Maison du Bouddha) de la rue Elvira à Munich. La clarté lumineuse et la précision de son enseignement me donnèrent le sentiment d'être arrivé à bon port. Cette première soirée fut bientôt suivie d'autres, puis étendue à de plus longs temps de méditation, des journées, des week-ends et bientôt des retraites silencieuses de 10 jours en présence de la nonne allemande qui dirigeait la retraite et y dispensait son enseignement. Nous étions, si la mémoire ne me fait défaut, d'une retraite à l'autre de 60 à 120 participants, accueillis dans des monastères bénédictins ou dominicains, des ordres catholiques ouverts à la pratique de la méditation. Ayya Khema ou ses assistants accordaient des entretiens particuliers aux participants, dont l'objet était la pratique de la méditation et les questions qu'elle pouvait soulever. Il se fit que ce fut toujours la vénérable qui me reçut et une relation de confiance et de connivence s'établit au fil des séminaires et des retraites. En hommage et en signe de reconnaissance, je proposai à Ayya Khema de traduire un des ses ouvrages en français. Elle m'y encouragea et m'y autorisa, me donnant aussi la permission de le publier si j'avais l'heur de trouver un éditeur. Ce fut A little dust into your eyes, une retranscription des enseignements donnés lors d'une retraite qu'avait dirigée la Vénérable en 1988 sur l'île Parappuduwa Nuns Island, au Sri Lanka, que je traduisis sous le titre Un peu de poussière dans l'oeil. Un éditeur belge, spécialisé dans les livres de spiritualité, accepta la traduction mais se rétracta peu de temps après. Seul le sixième chapitre fut publié dans la revue des Voies de l'Orient, publiée par ce centre à Bruxelles. Le texte cherche encore un éditeur. Ayya Khema est bien connue en Allemagne, où ses livres et des vidéos sont édités et diffusés par l'éditeur de la Buddha-Haus, Jhana Verlag. Certains de ses enseignements sont aussi publiés en anglais.
AYYA KHEMA — Parcours de vie (résumé)
La plus grande partie de la biographie qui suit a été publiée en allemand à l'occasion du soixante-dixième anniversaire de la Révérende dans un ouvrageintitulé Erkennen, nicht tadeln, ändern (Reconnaître, ne pas blâmer, changer, Jhana Verlag, pp. 15 à 25). Les derniers paragraphes, qui concerne les quatre dernières années de la Vénérable, ont été ajoutés. On trouvera une biographie plus détaillée dans le livre Ich schenke euch mein Leben. Die außergewöhnliche Lebensgeschichte einer deutschen buddhistischen Nonne (Je vous fais don de ma vie. L'extraodinaire parcours de vie d'une nonne bouddhiste allemande). chez le même éditeur.
Ayya Khema est née en 1923 à Berlin de parents juifs, dont elle est l'unique enfant. Son père, Theodor Kussel, était officier suppléant pendant la première guerre mondiale, au cours de laquelle il fut blessé et reçut la croix de fer de première classe, ce qui ne l'empêcha cependant pas plus tard de perdre la nationalité allemande sous le régime d'Hitler. Sa formation de banquier lui permit de devenir courtier libre à la bourse de Berlin après la première guerre, puis d'être admis en qualité d'agent de change assermenté, une charge étatique dans l'exercice de laquelle il rencontra un très grand succès. La famille vivait dans l'aisance dans un appartement de douze pièces situé près du zoo de Berlin et avait quatre serviteurs. La mère d'Ayya Khema s'appelait Lizzie, née Rosenthal ; son père, Jakob Rosenthal, avait un négoce de vêtements d'enfants à l'angle des rues Ranke et Tauentzien, près de l'Eglise du Souvenir Kaiser Wilhelm. Ses parents étaient eux aussi nés à Berlin, le père avait vu le jour dans la plus vieille maison de la ville: Krögel, numéro 1. L'oncle d'Ayya Khema, Leo Kestenberg, le mari de la soeur de son père, était conseiller ministériel pour l'éducation musicale à l'Académie de musique de Berlin. Il fut un des professeurs de Yehudi Menuhim. Ce fut un des premiers artistes juifs à être mis au pilori comme dégénéré (entartet) par le Stürmer (L'assaillant), le journal du parti nazi. La famille s'enfuit en Tchécoslovaquie et se sauva à temps en Israël, où Leo Klesterberg rappela à la vie l'Orchestre philharmonique d'Israël, qui existe encore de nos jours. Le père d'Ayya Khema perdit sa charge par suite de l'application des lois anti-juives édictées par Hitler et dut payer d'importants impôts au ministère des finances, en sorte que la famille en 1938, à la fin de son temps en Allemagne, dut prendre refuge auprès d'une soeur du père dans un petit appartement d'arrière-cour à Berlin-Moabit. Après la Nuit de Cristal de novembre 1938, au cours de laquelle le feu fut mis aux synagogues, il devint évident pour le père d'Ayya Khema qu'il n'y avait aucun avenir en Allemagne pour les Juifs allemands et, avec son dernier argent, il acheta des billets pour embarquer sur un paquebot à destination de Shangaï de la Lloyd Triestino. Ce voyage devait durer six semaines. Comme ses parents trouvaient peu opportun et risqué d'emmener une jeune fille en Chine avec eux, Ayya Khema fut envoyée en Angleterre en compagnie de deux cents autres enfants sans parents lors d'un transport d'enfants. Un bateau qui faisait la liaison entre Hambourg et l'Amérique emporta les enfants de Hambourg à Douvres. Le voyage se poursuivit en train jusqu'à Londres. Cette action de sauvetage put avoir lieu grâce à la médiation de la communauté juive d'Allemagne, qui organisa le transfert de 10.000 enfants juifs vers l'Angleterre et l'Ecosse. Par la suite, 900.000 enfants juifs périrent en Allemagne. Ayya Khema aboutit dans une famille de sept enfants à Glasgow en Ecosse, qui avait besoin d'une aide ménagère. A cet effet ils reçurent la personne la plus inadaptée, car, aux dires d'Ayya Khema, à cette époque elle ne savait même pas comment il fallait s'y prendre pour faire bouillir de l'eau. Elle apprit la langue anglaise en jouant, car personne dans cette famille ne pratiquait l'allemand. La jeune fille de quinze ans n'était cependant pas heureuse dans cet environnement complètement étranger. Aussi pria-t-elle son père de la laisser elle aussi venir à Shangaï. Comme entre-temps la guerre avait éclaté en Europe, son père voulait de toutes façons en retirer son enfant unique. Ainsi Ayya Khema, âgée de seize ans, s'embarqua-t-elle sur la cargo japonais "Haruna Maru" à Liverpool et arriva six semaines plus tard chez ses parents en Chine, après une traversée aventureuse. Entre-temps son père, associé à deux autres émigrants, avait mis sur pied une affaire de prêt-à-porter féminin qui marchait bien : c'était une première en Chine, pour la première fois du prêt-à-porter féminin y était confectionné et proposé à la vente, ce qui rencontra un succès particulier auprès des femmes japonaises. Les parents d'Ayya Khema s'étaient procuré un bel appartement, dans lequel la jeune fille retrouva même quelques meubles et peintures de l'appartement berlinois. Ainsi, sa famille avait-elle, pour la deuxième fois, jeté les bases d'une vie bourgeoise confortable. Ayya Khema suivit les cours de l'école de commerce et, dès la fin de ses études, trouva aussitôt une très bonne place de secrétaire bilingue auprès d'une firme russe d'exportation. 1943 mit un terme à cette vie, car les Japonais occupèrent Shangaï et, en tant qu'alliés de l'Allemagne, publièrent une proclamation anti-Juive, qui conduisit à l'internement de 18.000 Juifs originaires de nombreux pays européens dans les granges, les remises et d'autres espaces d'un camp de prisonniers civils. C'est ainsi que la famille perdit pour la deuxième fois tous ses biens, son logement et ses moyens d'existence. Le camp fut bombardé par méprise par les Américains, parce qu'un émetteur de radio japonais se trouvait juste à côté. Beaucoup de gens périrent lors de ce bombardement. Pour la première fois, la jeune femme fut confrontée de manière proche avec la mort. Cinq jours avant la fin de la guerre, le père d'Ayya Khema fut la victime des conditions d'hygiène insuffisantes du camp. Sa mort la toucha profondément, car elle en était très proche. Elle travailla alors comme secrétaire auprès des troupes américaines d'occupation, qui soutenaient Tchang Kaï Tchek, mais qui ne purent arrêter la progression de Mao Tse Tung. Les organisations d'assistance américaines se mirent alors en devoir d'emmener en Amérique les Juifs européens internés dans le camp et envoyèrent à cet effet des transporteurs de troupe à Shangaï. Ayya Khema avait épousé en 1946 un Juif allemand. En 1947, sa fille Irene était encore née dans le camp. Il fallut attendre 1949 pour qu'Ayya Khema puisse voyager avec sa famille vers l'Amérique. Peu de temps après, Mao Tse Tung s'empara de Shangaï et tous les Européens et les Américains qui étaient restés dans la ville furent emprisonnés. Il n'était pas facile de s'établir en Amérique, mais un travail assidu assura à la jeune famille des bases d'existence. En 1956, un fils, Jeffrey, naquit à San Diego, en Californie. En 1954, Ayya Khema était devenue Américaine, un événement joyeux car jusque là elle était apatride, puisque Hitler avait dépossédé les Juifs de la nationalité allemande. Après treize années de mariage, il était devenu évident pour les deux époux que leurs intérêts avaient pris des directions totalement différentes, et ils se séparèrent. Ayya Khema s'établit dans une ferme de santé à la frontière du Mexique et de la Californie, où elle apprit l'alimentation naturelle, devint végétarienne et fit ses premiers pas dans la vie spirituelle. On y organisait des séminaires sur la vie des Esséniens, et elle se procura les enseignements de Swami Yogananda que diffusait l'organsisation qu'il avait fondée, la Self-Realization Fellowship. C'est à ce moment qu'elle se maria pour la seconde fois, avec un ancien camarade de classe, qui s'était trouvé dans la même école qu'elle tant à Berlin qu'à Glasgow. Pendant un an et demi ils collaborèrent au travail de la ferme de santé, un travail en contrepartie duquel ils recevaient gratuitement le logement, la nourriture et l'enseignement. Pendant les cinq années qui suivirent, ils entreprirent des voyages autour du monde, pour apprendre à connaître les pays, les gens, les coutumes et les régimes d'alimentation naturelle. D'abord, ils descendirent par la grand route panaméricaine du Texas jusqu'au Panama, une routre qui à cette époque n'avait pas encore de ponts, si bien que la Jeep, qui servait aussi de logement et de cuisine, dut traverser de nombreux lits de rivières. Du Panama, ils voyagèrent en bus, en avion et en auto-stop à travers l'Amérique du Sud, ils traversèrent les Andes depuis le Pérou et descendirent vers la vallée de l'Amazone. Comme la rivière était asséchée, ils durent rester un mois dans un petit village au bord de la rivière Ucayali, jusqu'à ce qu'il devint possible de parcourir le reste du chemin jusqu'à Iquito au bord d'une pirogue faite d'un tronc d'arbre évidé. Par la suite, ils vécurent un an et demi au Pakistan, où ils habitèrent sur une île dans l'Indus et collaborèrent à la construction d'une centrale électrique; l'état avait mis douze employés à leur disposition, qui occasionnaient plus de travail qu'ils n'apportaient une aide réelle. Ensuite ils achetèrent en Angleterre une Jeep Dormobile, et un voyage de deux ans commença à travers l'Europe et l'Asie, qui se termina à Singapour et conduisit fin la famille en Australie. Pendant ce voyage à travers l'Asie dans les années 63/64, Ayya Khema fit pour la première fois connaissance avec la méditation, elle fut instruite par la "Mère" dans l'ashram de Sri Aurobindo. Une visite à l'ashram de Ramana Maharshi ouvrit la porte à la question "Qui suis-je?". Le voyage les conduisit à travers tout le sous-continent indien dans l'Himalaya, au Hunza, au Népal, au Cachemire, puis en Thaïlande et au Sri Lanka. Il y eut des points de contact avec le Bouddhisme, mais bien entendu seulement dans la perspective du voyage. Arrivés en Australie, ils achetèrent une ferme de 70 hectares dans le Queensland, dans laquelle la famille vécut dans une autarcie complète, entreprit des cultures biologiques et, pour se procurer des revenus, fit l'élevage de poneys Shetland, qui devinrent les compagnons chéris de nombreux enfants. La méditation commencée en 1963 continua d'être pratiquée plus avant. Une ancienne petite laiterie fut convertie en "temple", qui servait seulement de lieu pour la contemplation. En 1973, Ayya Khema entendit pour la première fois l'enseignement du Bouddha. Un moine anglais, Phra Khantipalo, était venu en Australie pour y faire un cours de méditation. Jusque là, elle avait déjà considéré de nombreux sentiers spirituels différents, mais n'avait cependant pu en accepter aucun totalement, car souvent l'intelligence et la logique n'y étaient pas abordés. Après qu'elle eut entendu l'enseignement du Bouddha, elle sut que tel serait son chemin. Elle se mit alors à inviter des professeurs à sa ferme, qui y dispensèrent leurs cours. L'intérêt d'Ayya Khema pour l'enseignement s'approfondit tellement qu'elle fit le voyage de l'Amérique pour y participer à d'autres cours. Elle passa entre autres quelque temps à Tassajara, un couvent Zen californien admirablement situé. Ensuite, elle se rendit en Birmanie au centre de méditation de U Ba Khin, dont elle voulait entièrement apprendre la méthode. Puis elle passa une saison des pluies dans le couvent de Tan Achan Singtong et Tan Achan Maha Boowa en Thaïlande. En 1978, elle était prête à fonder un couvent de forêt en Australie, que le moine anglais, son premier professeur, était appelé à diriger. C'est dans ce couvent, le Wat Buddha Dhamma, que de nombreuses personnes reçurent depuis lors les enseignements et pratiquèrent la méditation. Tous les deux ans, Ayya Khema s'y rendait pour y donner elle-même un cours. Comme son premier professeur, Phra Khantipalo, l'avait déjà priée en 1975 de l'aider dans son enseignement, elle avait accumulé de l'expérience en ce domaine et se sentit prête, en 1979, à devenir nonne. A cette époque, elle était déjà grand-mère : son petit-fils était né en 1973 en Amérique. Son fils avait terminé l'université et était établi. Ayya Khema désira être ordonnée nonne au Sri Lanka, parce que le statut de nonne y est meilleur qu'en Thaïlande et aussi parce qu'on y pratique davantage l'anglais. Elle apporta une lettre de recommandation au Révérend Nyanaponika, au Sri Lanka, qui lui conseilla cependant de se faire ordonner à Colombo au temple Vajirarama par le Révérend Narada Mahathera. Le Révérend Narada s'y prêta volontiers et, sans en avertir Ayya Khema, invita tous les amis et tous les aides du temple à l'ordination, en sorte qu'environ 600 personnes étaient présentes. Bien qu'Ayya Khema eût étudié toutes les récitations en pali par coeur, une telle multitude lui causa cependant quelque distraction. Par la suite elle aimait à rappeler que le Révérend Narada dut lui souffler des mots à de nombreuses reprises. Après l'ordination, environ vingt petites écolières, toutes vêtues de blanc, vinrent chacune lui remettre un présent, une attention du Révérend Narada. Sur ces entrefaites, Ayya Khema se retira d'abord quelques temps au centre de méditation Kanduboda au Sri Lanka, où sa méditation connut aussitôt un grand tournant. En tant que nonne elle conçut le sentiment qu'elle ne devait plus s'occuper de rien d'autre, et l'abbé du couvent de cette époque, le Révérend Sumatipala Thera, la soutint à tous égards. C'est là que se manifestèrent les souvenirs de vies précédentes et qu'elle reconnut qu'elle avait déjà passé plusieurs vies comme nonne. Elle se souvint aussi d'événements de son enfance, pendant laquelle elle avait chaque soir pratiqué la première et la seconde absorption méditative. Cela lui devint évident par le fait qu'elle s'exerçait à présent aux absorptions méditatives (jhanas) et s'y perfectionnait, pratique pour laquelle elle ne pouvait recevoir d'instructions d'aucune sorte, car elles n'étaient pas enseignées au Sri Lanka. Il va sans dire qu'elle aurait aimé recevoir la confirmation et le soutien d'un professeur, ce qui se produisit cependant en 1983 lorsqu'elle fit la connaissance du Révérend Nanarama Mahathera, qui resta son professeur jusqu'à sa mort en 1992. Le Révérend Nanarama Mahathera était abbé d'un grand couvent de forêt, Mitirigala, au milieu de la jungle du Sri Lanka, un endroit où les singes et d'autres animaux se sentaient aussi bien chez eux que les moines. Ayya Khema rendit visite à son professeur aussi souvent qu'il lui fut possible et raconte qu'elle fut toujours reçue dans la joie et l'affection. Elle correspondit également avec son professeur qui avait par bonheur un élève qui parlait un anglais parfait, car avait été professeur d'anglais avant d'entrer dans la vie monacale. Grâce à son intermédiaire, l'enseignement put être transmis sans erreur. Entre-temps, Ayya Khema fit construire une salle de méditation, une bibliothèque, des chambres et des salles de bain pour des nonnes cingalaises à Madiwela, Kotte, où elle-même enseigna aussi. La population anglophone du Sri Lanka la pria, peu après son arrivée, d'y enseigner la méditation, car cela était encore toujours très inhabituel à cette époque. La pratique de la méditation a depuis lors atteint des cercles plus répandus, mais elle est surtout pratiquée dans les couvents de forêt, et encore aujourd'hui les directives manquent pour les gens qui mènent une vie ordinaire. C'est pourquoi Ayya Khema en vint à donner un cours de méditation à Polgasduwa, Island Hermitage, pour les personnes qui apportaient leur soutien à ce couvent, qui avait été fondé par le moine érudit allemand, le Révérend Nyanatiloka, et qui accueille encore aujourd'hui des moines occidentaux. Un des participants, qui habitait lui-même une belle maison sur le lac au sein duquel se trouve l'île du couvent, demanda à Ayya Khema si elle était prête à ouvrir et à diriger un couvent de nonnes sur une petite île voisine, s'il lui apportait son aide. Ayya Khema raconte que depuis des années elle se laissait conduire par les événements, qu'elle ne les rejetait ni ne les attirait à elle, aussi donna-t-elle son consentement. L'île était une contrée sauvage d'environ un hectare. Grâce à des donations en provenance du monde entier il fut possible d'Y construire des huttes pour les nonnes, une salle de méditation, une bibliothèque, une cuisine et une salle à manger et une maison d'habitation pour les visiteurs. Des palmiers furent plantés et des chemins furent tracés. En 1984, l'île aux Nonnes Parappuduwa était déjà prête à recevoir ses premiers hôtes. Comme Ayya Khema donnait des cours de méditation dans de nombreux pays du monde, beaucoup de femmes la suivirent sur l'île aux Nonnes, pour y passer des mois ou des années. Trois d'entre elles furent ordonnées comme nonnes. Les premières femmes arrivèrent d'Allemagne et aidèrent beaucoup à la construction de l'île aux Nonnes. Une marcotte de l'arbre Bodhi, que le Révérend Sanghamitta avait apportée d'Inde au Sri Lanka vers 250 A.V.J.C. et qui continue encore aujourd'hui à croître à Anurhadapura, fut plantée sur l'île aux Nonnes et s'y développa bientôt en un arbre magnifique. Cet arbre est un objet de dévotion, particulièrement au Sri Lanka, car il établit un lien vivant au Bouddha, qui accéda à l'illumination sous sa protection. C'est à cette époque qu'Ayya Khema commença à enseigner les absorptions méditatives, après que son professeur eut confirmé la correction de sa propre méditation. En outre, le Révérend Nanarama la pria de diffuser cet enseignement dans le monde, car, selon ses propres propos, "il s'agit d'un art qui s'est perdu et qui doit être rappelé à la vie de manière urgente.". A cette époque il n'y avait personne au Sri Lanka et pratiquement personne dans le monde dans le monde, qui enseignât les absorptions méditatives dans tous leurs détails et avec des instructions précises. Aujourd'hui encore, cet art n'est pas très répandu, en sorte que les explications d'Ayya Khema représentent pour l'avenir un enrichissement extraordinaire de la vie spirituelle. Pendant cette période sur l'île aux Nonnes Parappuduwa, Ayya Khema allait parfois se retirer pour de longues périodes dans la forêt et elle passa des mois solitaires dans une plantation de bananiers qui appartenait à des amis, profondément cachée dans la jungle. Les connaissances et les résultats acquis pendant ces mois de méditation lui furent ensuite confirmés par écrit par le Révérend Nanarama. En 1988, elle reçut l'ordination de Bhikkuni (ordination complète de nonne) au temple Hsi-Lai de Los Angeles, selon les pratiques traditionnelles d'initiation, qui sont conduites par des moines et aussi par des nonnes. Hélas, l'île de Sri Lanka, dont les paysages sont tellement magnifiques, connut des troubles horribles au cours desquels de nombreuses personnes trouvèrent la mort. Les élèves et les mécènes de l'île aux Nonnes n'osaient plus sortir de leurs maisons. Les attentats à la bombe faisaient partie du quotidien. Comme cela semblait aussi dangereux pour des femmes occidentales de faire le voyage de l'île aux Nonnes, Ayya Khema décida en 1989 de remettre l'île à un comité de ses élèves, qui en assura ensuite la direction. Elle-même fut priée par ses élèves allemands de diriger un centre de méditation en Allemagne. C'est ainsi que prit forme le projet de la Buddha-Haus dans l'Allgaü bavarois, dans laquelle elle passa par la suite la majeure partie de son temps. Le premier livre d'Ayya Khema, Be an Island unto yourself, eut pour origine les conférences qu'elle donnait chaque soir sur l'île aux Nonnes. Depuis lors, de nombreux livres ont paru en allemand et en anglais. Son premier passage à la télévision eut lieu au Sri Lanka, mais par la suite on put la voir aussi sur des chaînes anglaises, australiennes, allemandes et autrichiennes. Elle arriva en 1989 en Allemagne, où elle se fit un devoir de mener le dialogue avec d'autres religions, spécialement le christianisme. C'est par exemple ainsi qu'elle donna une conférence au Katolisches Bildungswerk de Salzburg. Elle fut aussi été invitée dans un couvent bénédictin de Würzburg. Elle continua d'enseigner aux U.S.A., en Australie, en Angleterre et en Allemagne, et bientôt ses étudiants et étudiantes furent à même de prendre la relève. En février 1993, Ayya Khema dut se soumettre à une grave opération de chirurgie cancéreuse, dont elle put se remettre. Malgré tout, il lui fallut répartir avec soin ses forces et son énergie, en sorte qu'elle vécut de manière plus retirée, pour se consacrer à la rédaction de ses livres. D'autres opérations suivirent. Une petite communauté d'hommes et de femmes s'était rapidement formée dans la Buddha-Haus pour soutenir Ayya Khema dans la diffusion du Buddhadhamma par la parole et l'écriture. En raison du vif intérêt pour la méditation bouddhiste, la communauté Buddha-Haus a ouvert un centre de méditation à Munich fin 1993 et un autre à Stuttgart début 1999. En 1995, à l'initiative d'Ayya Khema, après l'échec du premier projet dans la forêt bavaroise, un ancien hôtel alpin fut acheté dans l'Allgäu et transformé en un monastère forestier et un centre de retraite, qui ouvrit ses portes à l'été 1997 sous le nom de Metta Vihara ("Demeure de l'amour bienveillant"). Il est également devenu le siège de l'Ordre de la tradition monastique de la forêt occidentale, fondé par Ayya Khema en octobre 1997. Au milieu de l'année 1997, Ayya Khema a dû subir un nouveau traitement contre le cancer. Le matin du 2 novembre 1997 (jour de la Toussaint), elle décéda à la Buddha-Haus. Ses cendres ont été cérémonieusement inhumées dans le stupa du jardin de la Buddha-Haus en mai 1998. Elle avait nommé son disciple de longue date Nyanabodhi comme son successeur dans la direction spirituelle des centres. Sur le stupa du jardin de la Maison du Bouddha, où l'urne contenant les cendres d'Ayya Khema a été enterrée, se trouve une plaque commémorative portant l'inscription suivante, bien sûr rédigée en allemand, et qui est extraite des versets du Bouddha recueillis dans le Dhammapada :
Nicht in den Lüften, nicht in Meeresmitte,nicht in den Bergesklüften sich versteckend,nicht findet sich ein Ort auf dieser Erde,wo weilend einen nicht der Tod bezwänge.
Ni dans le ciel ni au milieu de l’océan,Pas plus qu’au cœur de la montagne,Nulle part au monde on ne peut demeurerSans succomber à la mort.
Dhammapada, verset 128.
(À suivre)
Lien utile : on trouvera des livres d'Ayya Khema en allemand et en anglais via la Buddha Haus.