Une sorte de «leçon» politique appliquée au sport le plus populaire du monde.
Quarante-huit heures et ci-gît la Super Ligue de football. Du moins, pour l’instant. Par un retournement de situation aussi spectaculaire que l’avait été son irruption dans le paysage, cette compétition privée, imaginée par quelques clubs les plus puissants afin de supplanter la Ligue des champions, l’historique trophée européen depuis 1955, se retrouve vidée de sa substance. Voilà la mise en échec de l’avidité cynique des grands patrons, à la suite d’une révolte surgie d’Angleterre qui a vu les supporters, les entraîneurs, les joueurs et les pouvoirs publics se dresser solidairement contre la trahison des propriétaires de leurs équipes chéries. Les six en question, d’abord Manchester City, puis Arsenal, Liverpool, Tottenham et Manchester United, et pour finir Chelsea, ont donc renoncé, certains dirigeants avouant même leur péché capital : «Nous avons fait une erreur et nous nous excusons pour cela», déclarent les responsables d’Arsenal…
Une banderole, brandie par les fans près du stade de Manchester United, Old Trafford, résumait le dépit général ressenti bien au-delà de la Grande-Bretagne : «Créé par les pauvres, volé par les riches.» En vérité, les promoteurs de ce barnum du foot business poussé à l’extrême avaient mal mesuré l’ampleur de la tempête qu’ils venaient de déclencher. Même au stade suprême du capitalisme, le football reste une puissance à part entière. La sécession d’une douzaine de clubs n’était, à première vue, qu’une affaire de droit privé. Elle a pourtant provoqué, en un rien de temps, et au plus haut niveau, une avalanche de communiqués. Downing Street, l’Élysée, Bruxelles… les chancelleries n’auraient pas réagi plus promptement s’il s’était agi d’une tentative de coup d’État.
S’il n’y a sans doute pas de «morale» à cette histoire, puisque les compétitions actuelles réservent les places de choix aux plus riches, au moins trouverons-nous la trace d’une sorte de «leçon» politique appliquée au sport le plus populaire du monde. À l’état de résistance collective, quand s’entrechoquent l’humain et le pognon, ce qui est ainsi possible pour le football ne le serait pas pour d’autres domaines, que beaucoup jugeront bien plus fondamentaux ? Les combats universels ne manquent pas : levée des brevets sur les vaccins ; progrès social ; diplomatie ; évasion fiscale ; droits des migrants… Parions que le football européen va saisir l’occasion pour tenter de se refaire une virginité face à une dérive à laquelle il a activement contribué. Il n’a évidemment pas montré la voie en tant qu’exemple. Parmi ce cénacle, certains ont juste marqué un but. Sous la forme d’une belle passe aux autres.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 22 avril 2021.]