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Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 382

Publié le 09 mai 2021 par Antropologia

« Je vous filme Messieurs »

Début de matinée, je suis toujours en télétravail devant mon ordinateur quand soudain j’entends des cris qui viennent de la rue. J’ouvre immédiatement la fenêtre pour voir ce qu’il s’y passe.

Rien à gauche, rien à droite, je me penche depuis le 2ème étage et vois à l’aplomb de ma fenêtre presque devant ma porte d’entrée un homme noir allongé sur le sol, à plat ventre, face vers le trottoir, trois hommes sur lui, un près de sa tête, deux autres de chaque côté.  Les bruits de lutte, de frottements montent. Je suis à la fois ébahie, pétrifiée, désemparée… Appeler la police vite, lancer un seau d’eau… La panique me rend stupide, je ne sais pas quoi faire. Puis je vois un brassard orange fluo sur un bras, un autre brassard gît sur le trottoir, mon sang ne fait qu’un tour : la police, une interpellation musclée, ils vont le massacrer… Je prends mon téléphone portable, j’y cherche l’appareil photo option vidéo et je m’entends hurler par la fenêtre d’une voix tonitruante comme un rempart à la violence « Je vous filme Messieurs » !

Les mains tremblantes, le téléphone à la main, je regarde la scène tout en ajustant le téléphone gêné par la jardinière. L’homme noir crie dans une langue que je ne comprends pas. J’entends hurler « Interpellation », j’ai l’impression que c’est l’homme noir qui le crie en se débattant alors qu’il ne parle pas français. Le pantalon de l’interpellé se baisse un peu dans la lutte, je vois la naissance de ses fesses, il perd une chaussure qui va rouler sur la route. Je vois qu’il est inscrit « douane » sur les brassards. Puis je vois les menottes sur le trottoir, tout en maintenant le type au sol qui résiste, les trois « douaniers » parviennent à  lui attraper les deux mains et lui passer les menottes dans le dos. Sur le trottoir d’en face, une jeune femme regarde la scène et surveille, elle aussi sans doute à l’affût d’une bavure policière. Elle pourra également témoigner le cas échéant. Je lui fais un signe de la tête, elle me rend mon salut, j’imagine son soulagement, elle sait que je filme la scène sans que l’on me voit.

L’homme menotté, un des « douaniers » attrape alors la chaussure qui s’est retrouvée sur la route et rechausse l’homme, un deuxième lui remonte le pantalon, puis dans ce que j’estime des gestes assez doux et respectueux comparés à la scène violente précédente, ils aident l’homme à se relever, un troisième « douanier » réajuste le masque de protection de l’interpellé (à moins que ce ne soit celui qui a rechaussé l’individu) -tiens, il portait un masque de protection alors qu’on est en zone port du masque non obligatoire – … L’écran de mon téléphone se fige, je relance la vidéo.

Les « douaniers » discutent, je m’aperçois alors qu’il y a un 2ème homme qui a été appréhendé peut-être plus calmement. Il est entouré par deux autres  » douaniers » que je n’avais pas vus jusqu’à présent : ils sont donc 5 en tout. Un papier dans les mains, l’un d’entre eux lit puis ils discutent brièvement avant de s’emparer d’un gros sac en plastique vert réutilisable qui appartient aux deux pauvres malheureux. Ils repartent tous calmement, en direction de la place Nansouty. 5 au moins doivent être soulagés de rejoindre leur véhicule, deux auraient préféré poursuivre leur chemin.

Les mains encore tremblantes d’émotion dues aux scènes que je viens d’observer, je veux vérifier ce que j’ai filmé. Gros plan et mise au point sur mon vieux géranium à moitié desséché, puis sur le départ des 7 individus. Je n’ai pas enclenché la vidéo au moment de la lutte. Je repense à mon hurlement « Je vous filme Messieurs » : dire n’est pas faire… Assurément !

Louise Tristan


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