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Bob et Martha (3)

Publié le 26 juillet 2008 par Didier54 @Partages

L'épisode 1 est là. L'épisode 2 est ici.

Fin de l'épisode précédent :

Martha avait déboulé là tout simplement parce que l'appartement n'était pas cher. Elle comprit vire pourquoi. Mais à l'époque, elle qui débarquait avec ses 19 ans en poches, elle n'avait pas imaginé qu'il y puisse y avoir une raison à ce que cet appartement soit aussi spacieux, aussi bien situé et aussi libre. Elle se prit quelques temps pour la veinarde de la cité, une star qui avait vraiment le coup de bol. Au début, ça m'amusait. Il était rigolo, quand même. Après, moins. La police ne faisait rien. Elle avait peur. L'hôpital qui suivait ce gars s'en foutait. Un soir, le mec est rentré chez moi et m'a tapé dessus. Une autre fois, il a essayé de me violer. Ca faisait plusieurs fois de toutes façons qu'il avait des gestes tordus. Mais je serrais les dents, je ne voulais pas que ça me pourrisse la vie, je voulais être plus forte. Mais au bout de cinq ans, je ne pouvais plus. Je prenais des médicaments, je tressaillais, je partais tôt je rentrais le plus tard possible. Un soir, je suis descendue chez lui, et il est sorti de ma vie.

ego4.jpgIl lui avait bien fallu deux semaines pour me raconter tout ça. Et encore : je rassemble ses mots. Le comble : c'est que pour le coup, j'en fais un texte de mémoire, alors que je suis de ceux qui prennent des notes sur tout tellement j'essaie de ne rien oublier. Oui, je note tout sur un calepin qui ne me quitte jamais. Mais face à elle je n'ai jamais osé le sortir et lorsque nous quittions, face à lui cette fois, aucun mot ne venait se coucher sur le papier. Aucun. Non qu'ils aient disparu, au contraire, ils sont là bien sagement alignés dans ma tête, mais pas un ne souhaite sortir. Ne le peut. Sinon, je note les horaires, les distances, ce que je fais, ce que je mange, le temps qu'il fait, le lapin qui court dans la lande, la mûre qui se gorge de soleil, et même ce que je ne fais pas. Le professeur Cantaloup m'a dit de faire comme ça, que ça m'aiderait beaucoup, et qu'en plus, ça me faisait travailler ma concentration.

Mais ce ces semaines, ce ces de longs après-midis où je voyais Pierrot m'envoyer des rasades de clins d'oeils avec la finesse d'un éléphant qui viendrait se perdre dans le couloir d'un immeuble de HLM, rien, pas une note. Et pas franchement de souvenirs. Des moments. Voilà tout.

Martha souriait aussi, lors de ces après-midi. Elle est du genre, je crois, à n'être dupe de rien. Je me dis des fois que c'est le privilège de ceux qui ont longtemps vécu à l'ombre. Elle souriait à lui, à moi, mais sans doute et plus encore à elle. Moi, c'était différent. Je vivais dans l'ombre. En son coeur. La preuve : elle avait repris des couleurs, pris des couleurs. Sa voix avait changé. Elle était plus tranquille. Pas apaisée. Plus tranquille. Ses yeux devenaient des noisettes. Elle parlait et en semblait parfois surprise. Ceci dit, je ne sais pas si c'était un sourire. Peut-être pas.

Un matin, le Pierrot a profité que nous étions tous les deux pour m'entreprendre en mots crus sur l'affaire. Qu'est-ce que tu fous ? Il m'a demandé. Comment ça ? Je lui ai répondu. Tu couches ? Il insite. Comment ça ? je lui demande. C'est pas vrai, tu le fais exprès, il a dit. Tu as baisé avec elle ou pas ? Baisé, je dis. Ben non, pourquoi ? Pierrot a failli voir son coude tomber du bar tellement il n'a pas vu venir la phrase. Et dans son cas, c'aurait pu être plutôt dangereux vu que de coude, il ne lui en restait plus qu'un. Heureusement, il s'est retenu comme il a pu, ce fut une drôle de chorégraphie cependant, et puis, l'équilibre retrouvé, tant bien que mal, il a levé les yeux au ciel et poussé un soupir. Un long soupir. Puis il a raclé sa gorge. S'est gratté la nuque. S'est servi un demi. Tout cela je l'ai noté, plus tard. Ca m'avait marqué cette succession de gestes.

 Putain, mais tu débarques d'où, toi, il a fini par dire. Ce n'était pas une question. J'ai même eu droit dans la foulée à un café sans que j'ai rien demandé. C'est pas possible, ça. Je vais quand même pas te faire un dessin ! il a gromelé. J'avais l'impression que ça vie en dépendait. Ce n'était pourtant un secret pour personne que de ce côté-là, Pierrot savait s'entretenir. Il m'a ensuite adressé un clin d'oeil, un autre que d'habitude, un que je n'ai jamais vu au point je me suis d'ailleurs demandé si en mer, les marins n'apprenaient pas les mille et une façons de faire des clins d'oeil. Il m'a dit, d'un air docte, comme un juré qui finit par rendre son verdict : Moi, je pense que tu peux y aller, mon gars. Sans problème. Elle attend que ça, la petite, j'en mettrai mon bras à couper ! J'ai bu mon café. Lui avait fini sa bière depuis belle lurette. On en est resté là.


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