Il y a deux ans, en mai 2019, j'écrivais un billet que j'avais intitulé " Arrêtez de vous occuper des touristes, pensez aux socio-pros! " . J'y invoquais la mutation nécessaire des organismes locaux de tourisme vers l'animation de leur réseau de socio-professionnels.
J'ai vraiment l'impression que les initiatives visant à être plus en lien avec les acteurs du tourisme local se multiplient un peu partout en France, avec une explosion d'initiatives prises durant la crise que nous vivons actuellement. Donc, de ce coté-là, ça va mieux.
Par contre, je m'interroge beaucoup sur les les relations financières qu'entretiennent les Organismes de Gestion de Destination (et notamment les offices de tourisme) avec les prestataires touristiques. Il me semble que le fonctionnement actuel est daté, et que l'on devrait rapidement le faire évoluer. C'est l'objet de ce billet
La cotisation, un héritage difficile à dépasser
Traditionnellement, dans l'office de tourisme associatif, le prestataire payait une cotisation à son office de tourisme. De l'adhésion simple, qui est la base du fonctionnement des associations loi 1901, on est vite arrivé à de nombreux services liés, qui ont engendré une cotisation plus importante et plus complexe. Loin donc, de l'adhésion simple à une association.
Lorsque le statut des offices de tourisme s'est largement orienté vers celui d' EPIC ou de régie, il n'était plus possible de parler de cotisation. Elle s'est donc transformée en prestation de services, souvent intitulée " partenariat ". S'il ne s'agît plus d'une adhésion stricto sensu, le résultat est le même : pour qu'un acteur du tourisme soit partenaire de l'office de tourisme, il faut qu'il paye. Et donc qu'il bénéficie de services en retour.
Dans le domaine des services proposés, si on fait un tour des nombreux " guide du partenariat " disponibles sur la toile, la promesse de visibilité est toujours en haut du palmarès : de la parution sur les supports de l'office de tourisme à la distribution de documents, c'est l'argument numéro 1. Or, on le sait : pour une grande majorité d'acteurs et notamment les hébergeurs, le trafic apporté par l'office de tourisme est quasiment nul. Mais cela ne fait rien, l'argument reste le même pour tous, qu'il soit hébergeur, restaurateur ou lieu de visite. Alors que l'apport de l'office de tourisme n'est pas le même pour chacune de ces catégories.
Heureusement, les propositions de service aux prestataires évoluent largement, dans leur variété comme dans la présentation qui en est faite. Il y a une vraie réflexion, avec l'envie d'impliquer les prestataires dans un réseau, de les accompagner ou de les informer.
DES TROUS DANS LA RAQUETTE
Ce fonctionnement basé sur une relation forcément financière entre le prestataire et l'office de tourisme présente de sérieuses limites.
La première, c'est le danger de ne pas avoir à disposition la totalité de l'offre. Nombre acteurs du tourisme, connus ou pas connus ne souhaitent plus adhérer ou financer l'office de tourisme. Et si la politique de l'office est de ne mettre en avant que les prestataires " qui ont payé ", le visiteur lui ne s'y retrouve pas! surtout lorsqu'il manque dans l'offre des locomotives, des établissements emblématiques.
La seule solution dans ces cas-là est, pour l'office de tourisme, d'avoir une politique commerciale très engagée pour aller chercher les prestataires qui ne veulent plus cotiser. Mais c'est chronophage, et on a parfois l'impression " d'arracher " le bulletin d'adhésion... Pas vraiment top comme partenariat...
Le phénomène se corse avec l'apparition de nouveaux acteurs du tourisme qui n'ont jamais eu besoin de l'office de tourisme pour démarrer leur activité. Il s'agît notamment des hébergeurs AirBnB qui n'ont aucune raison de dépenser de l'argent juste pour être prommu par l'OT local, alors qu'ils en ont confié le soin, avec succès, à la plateforme. Ainsi, on se retrouve, de façon totalement paradoxale, avec une offre d'hébergement beaucoup plus fournie sur une plateforme privée que sur le site de l'organisme officiel du tourisme local.
Je vous mets ci-dessous deux cartes, qui sont tracées autour de ma résidence, en Gironde. Sur la première, vous avez l'implantation des locations de vacances répertoriées par l'office de tourisme (office dont j'ai été directeur, j'en partage donc l'histoire). La deuxième est le même périmètre, mais sur AirBnB. Le contraste est saisissant. Et l'offre est bien sur plus fournie sur la plateforme : AirBnB propose trois fois plus de choix. Je suis sur que si vous faites le même exercice chez vous, vous arriverez au même résultat...
Répartition de l'offre de location sur la carte de l'office de tourisme. Propositions AiBnB sur le même périmètreLe fait de n'avoir pas toute l'offre en magasin impacte également sur le service d'accueil, lorsque les conseillers en séjour ne peuvent présenter que les partenaires payants de l'office de tourisme. J'ai même vu comme argument sur un guide du partenariat la chose suivante " Votre activité mise en valeur et conseillée par les Conseillers en séjour au sein des bureaux d'accueil de l'Office de Tourisme. " Si l'office présente uniquement l'offre des partenaires ça pose quand même question sur la mission de service public de la structure, et surtout sur l'approche client...
S'intéresser au cercle de la prescription
J'insiste sur l'importance de ces hébergeurs qui sont loin de l'office de tourisme, et qui n'en ont pas besoin pour remplir leur hébergement. Il s'agît des propriétaires de location, mais aussi des hôteliers ou de campings, qui ont leur propre modes de commercialisation. S'ils n'ont pas besoin de l'office de tourisme, l'office de tourisme a lui besoin des hébergeurs ! Pourquoi ? parce que si seulement une partie des touristes en séjour passent la porte de votre bureau d'information touristique, la totalité sont en contact avec leur hébergeur!
L'hôtelier, le camping, ou la location AirBnB constituent donc un outil de prescription essentiel pour les autres acteurs du tourisme de votre territoire. Les lieux de visite, activités de loisirs, restaurateurs, producteurs locaux, dépendent d'eux pour qu'ils recommandent leur activité. Or, dans sa mission de mise en réseau des partenaires locaux du tourisme, l'office de tourisme doit favoriser cette connaissance mutuelle, ce mécanisme de prescription.
L'office de tourisme aura donc besoin de tous les hébergeurs pour favoriser la prescription alors que les hébergeurs auront peu besoin de lui pour se commercialiser. Dans ces conditions, est-il bien logique de demander 150 euros à un hébergeur avant de commencer à discuter ?
Les partenariats, ça pèse combien ?
Lorsque j'évoque auprès de techniciens et d'élus d'offices de tourisme l'idée saugrenue d'arrêter de faire payer les prestataires pour une adhésion ou un service de base, la première et principale objection est l'importance de l'autofinancement généré par les partenariats.
Or, pour un certain nombre de structures, le produit des partenariats ne dépasse pas 5% du budget global de l'office de tourisme. Si on prend en compte le temps de travail généré pour aller récupérer les contributions, faire les relances, gérer l'administratif, le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Bien sur, pour d'autres offices de tourisme, le montant des partenariats est conséquent et participe à l'équilibre financier de l'organisme. Mais lorsque l'on y regarde de près, on se rend compte que ces partenariats correspondent à des services intéressants pour le prestataire touristique, qui vont bien au-delà du simple principe d'adhésion. C'est pourquoi il faut d'après moi séparer le partenariat de base qui pourra être gratuit des services à valeur ajoutée qui seront bien sur payants.
L'année 2021 a vu sur pas mal de territoires un gel des contributions à l'office de tourisme, pour aider les professionnels. Ce moratoire est souvent l'occasion de poser la question des partenariats et de leur fonctionnement
Pour une refonte de la relation financière avec les prestataires
J'en arrive à ma proposition : pourquoi ne pas avancer vers un partenariat gratuit et engagé accompagné de services payants ?
Un partenariat gratuit.
La notion de partenaire/partenariat doit être revue à son sens de base. Pour Le Robert, un partenariat est une " Association d'entreprises, d'institutions en vue de mener une action commune " . Il faut donc, pour une vraie relation de partenariat, que les deux parties soient engagées. Trop souvent, la relation est à sens unique, avec une vente de services de la part de l'office de tourisme.
Et si le guide du partenariat comporte une partie " les engagements du prestataire ", elle est souvent limitée à l'adhésion à la politique qualité de l'office de tourisme ou à la transmission de données pour le SIT.
Pourquoi ne pas plus engager le prestataire pour le développement touristique du territoire? Pourquoi ne pas lui demander de se mobiliser pour contribuer aux circuits courts, et faire consommer local?
L'idée est donc de rendre gratuite la relation partenariale de base : " vous faites partie du réseau de l'office de tourisme, et vous vous engagez pour le tourisme local ". C'est clair, simple et gratuit.
Ainsi, en signant une charte du partenariat, tout acteur du tourisme devient partenaire de l'office de tourisme. C'est gratuit, mais c'est engageant. Cela permet de disposer de toute l'offre du territoire, et de rencontrer de nouveaux acteurs qui jusqu'à présent, étaient totalement inconnus de l'OT.
L'office de tourisme dispose donc de nombreux partenaires, mais qui auront besoin de services.
Avec cette base élargie de prospects, il sera plus facile de commercialiser des services payants, qui seront adaptés selon la situation du partenaire. L'activité de loisir ou le lieu de visite souhaitera de la visibilité, de la billetterie en ligne, alors que l'hébergeur sera plus intéressé par la mise en réseau ou l'apport d'information. L'office de tourisme pourra donc adapter son marketing en fonction de ces cibles de clientèle. Je suis prêt à prendre le pari qu'avec une bonne réflexion sur les services à commercialiser, le niveau de revenu de l'office de tourisme se maintient, voire augmente rapidement!
Reste, dans mon dispositif, la question des associations : elles devront effectivement maintenir une cotisation, mais dont le montant pourra être symbolique, et engageant pour le prestataire qui souhaite se mobiliser pour le développement de son territoire.
Alors, arrêter de faire payer ses prestataires, une utopie, ou une bonne piste de réflexion ?