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Bonnie à Moscou

Publié le 28 mai 2021 par Alexcessif

Résumé

"… Sinon, ce serait franchir un précipice sans élan."

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Mais c’est … bien sûr, Isabelle a raison !

Cette croyance en le sus nommée ci-devant "Tout-puissant", créateur du monde en sept jours ", désigné par la fameuse punch-line "…Que la lumière soit ! Et la lumière fut !" s’occupait personnellement de chacun de nous et surtout de Ma Majesté Moi.

J’avais enfin l’explication des miracles qui m’avaient tiré de tous les pas de coté commis sur le chemin de la prudence dans une baïne de l’océan atlantique, un ravin des Pyrénées, le sac Vuitton, la chatte Romeschka … etc.

La sensation d’invulnérabilité que je croyais devoir au hasard, c’est à Dieu him self  que je la devais.

Pourtant, my god  était un cran en dessous de la force que me donna Justine à Paris le 9 Aout 2019. C’est sans doute cette sensation qu’il me fallait ne pas oublier en l’oubliant, elle.

C’était le temps où je n’avais plus de douleurs au réveil. Chaque journée m’enthousiasmait. 

Qu’avais-je fait de cette  "étroite et toute petite bande de pourquoi pas au milieu de l’abîme des pas sans pourquoi.

Je n’ai que ça à t’offrir, ce tout petit pourquoi pas, fragile et précieux. Mais je te l'offre de tout mon cœur." ?

Je déçois souvent!

Surtout ceux qui me prennent pour un autre. Je n'ai aucun pouvoir sur la projection rétinienne que peut produire le contraste entre ma silhouette et ma maturité d'enfant de douze ans avec ma tête de sexagénaire.

Et, surtout, je n’aime pas les usurpateurs, par crainte de la concurrence sans doute.

Le cerveau est un écran de cinéma. Chacun y projette un fantasme dont il est le seul spectateur. Parfois, je fonctionne dans le casting, si le scénar me convient. Je me donne le moyen de quitter la scène quand je veux et c'est souvent dans l'impro que je suis bon.

Je n’étais plus un enfant insouciant. Un jour  les choses ne fonctionnent plus. La magie est partie et il est difficile de l’accepter. Mais je devais le faire. Je ne pouvais plus être l’autre, je me devais de changer, je ne pouvais plus faire les choses comme je  le faisais auparavant.

Si vous changez, vous pouvez toujours gagner.

A trop y croire, on passe les bornes et le principe de réalité reprend le dessus.

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                          Iekaterinbourg

J’avais assez vite perdu la main sur les évènements dans ce studio mouroir à Chartres et c’est le hasard qui m’avait filé un sacré coup de… main, justement !

Je ne pouvais cependant pas accepter de verser dans l’irrationnel, j’avais la bougeotte  et je décidais de suivre la piste slave des Romanov. Etais-ce une bonne façon de la reprendre ? Etais-je décideur de ma trajectoire ou étais-je encore en fuite ?

  

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Si je pouvais obtenir des explications tarabiscotés grâces à quelques déductions tirées par les cheveux, il restait un mystère incontournable : comment, au sortir d’un évanouissement, avais-je pu me retrouver avec le bénéfice des examens médicaux et des "travaux" que je redoutais ? Je vérifiais parfois la présence des implants dans ma bouche, ma prostate me foutait la paix et mon algus valgus s’était fait la malle.

Cette intersection sur un chemin avec Justine, ce qu’elle comportait de lumineux que j’attribuais au hasard puis la seconde avec Isabelle, que j’avais provoqué, tout aussi lumineuse éclairait ma conscience à la façon d’un clignotant. Cette quête identitaire ne pouvait être menée à son terme que si je mettais l’interrupteur sur "On". Se trouver, trouver sa place dans ce dispositif en ayant le sentiment d’être soi même un élément dans un autre dispositif. Tout être humain est animé des mêmes désirs. Bien loin d’apporter des réponses, la science (reproduire des conditions identiques) le hasard (rencontres aléatoires) la religion (tout fait parti des desseins d’un être suprême qui voit tout  et contrôle tout) alimentaient

de nouvelles questions.

 "pas fiable, pas confiance, pas pareil, pas d’avenir, pas facile, pas trop vite, pas besoin, pas d’mon’monde, pas pratique"

Dans ces mots je percevais un personnage, qui pouvait être moi, mais il serait peut être temps de sortir de cette histoire sans fin et de devenir une vraie personne.

Selon Isabelle, je faisais partie moi aussi d’un dispositif de cette belle humanité aux désirs tous identiques. Certains les obtiennent avec plus ou moins de difficulté. D’autres n’obtiennent rien du tout, ou si peu,  avec beaucoup de difficultés.

Et puis il y a ces gens de pouvoir qui donnent ou reprennent, s’abstiennent et observent avec indifférence bien au chaud dans leur carapace.

Ils savent que l’égalité n’existe pas. Ils se divertissent en croisant des clowns auto-persuadés de leur pouvoir comique. Ils sont les commensaux du grand festin. A leurs  tables identiques de l’entre-soi seul le François Pinon, l’employé de leur Moi, l’invité du jour, le compagnon de passage, change de visage.

Qui était Justine ?  Qui était Isabelle ?

Qui sont les femmes ?

Phares de naufrageur ou d’Alexandrie avec la bibliothèque au rez-de-chaussée ?

Justine détachée,  lucide, regardait  l’humanité la trouvant belle malgré ses imperfections dans l’acceptation de ce qu’elle ne pouvait y changer. Elle se contentait de rendre heureux son entourage et les hommes de sa vie, dument sélectionnés, avec beaucoup de discrétion et de compétence. Isabelle aussi, sans doute, avec la mission de la charité chrétienne un peu plus ostentatoire et, comme souvent chez les croyants - j’ai failli dire les simples d’esprit -, débitrice devant l’éternel de la culpabilité d’être vivante. 

Justine vit en permanence avec une montre connectée confiant la comptabilité de toutes ses dépenses énergétiques à la Silicon Valley et trouve de l’exhibitionnisme seulement chez les autres. Isabelle, humble, et modeste reste persuadée que Dieu en personne l’a chargé de  "croître et de multiplier" sur cette partie du globe. Chacune pense être la norme. Nous parlons un identique langage pourtant il faudrait une pierre de Rosette pour communiquer de Mars à Vénus. Elles ont connu ou connaîtrons, la déception, la trahison et la colère des hommes.

Enrichie de ses deux fantômes, ma quête devenait une enquête. A Paris m’attendait une lettre !

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Je retrouvais dans "ma" boîte un courrier d’Isabelle, sans que je me souvienne de lui avoir donné mon adresse. Il contenait les résultats des investigations que j’avais entreprises sur ma généalogie en 1999 puis abandonnées. Des documents de la mairie de Limoges attestaient de ma filiation avec un certain Alex Romanet. Avant 1933, aucun document officiel n’existait et ma précédente quête avait été vaine. Un mystère de plus dans cette histoire qui n’en manquait pas.

Sérieusement secoué par ces péripéties, ne trouvant de repères que dans ma politique de la terre brulée, entre autres idées saugrenues, je résiliais le bail de mon studio à Chartres, rangeais mon patrimoine qui tenait dans le coffre de la bagnole. Le procès qui me retenait en ville m’avait rétabli dans mes droits et rien n’y justifiais plus ma présence.  La voiture dans la sécurité du parking en sous sol, Bonnie pour le voyage et l’appartement vide au 13ème  de la rue d’Alésia, dont je me doutais un peu que je n’étais pas le seul à disposer de la clé, étaient les composants de ma précarité de fildefériste avec son harnais de sécurité.

Serait-il toujours libre à mon retour ?

Une nouvelle mise en danger ne me déplaisait pas puisque "Deus Ex machina" était mon obligé.

Même si j’acceptais la chance après la déveine telle une valeur régulatrice, j’avais des notions puériles qui me portaient à la méfiance de la chose obtenue avec facilité. Sans effort il me semblait que le résultat – oui "résultat" : oublié le concept Récompense/Punition – que le résultat était dévalué.

Il ne me restait comme marge de manœuvre, dans cette nouvelle vie où tout me tombait tout cuit dans le bec, la difficulté du chemin, augmentée par le plus mauvais moyen de transport qui fut. 

Paris-Bruxelles-Berlin-Vilnius-Moscou etc la pire façon de voyager est à moto. L’inconfort, la faible autonomie oblige à des arrêts fréquents bien utiles pour retrouver ses lombaires, ses épaules et des miches renforcées en faisant le plein. Lutter vent contraire permet de gainer les abdos fessier. Je me vois déjà garant Bonnie à l’emplacement de la maison Ipatiev.

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Un rappel historique me semble nécessaire.

"Le Tsar Nicolas  II est renversé en février 1917. La famille impériale est bientôt exilée en Sibérie, puis à l'Est de l'Oural dans la ville d'Iekaterinbourg.
Alexis y subit les vexations et les grossièretés des soldats chargés de surveiller les Romanov.
Les communistes qui ont pris le pouvoir craignent qu'une armée contre révolutionnaire ne tente de délivrer le Tsar.

Dans la nuit du 17 juillet 1918, le Tsarévitch, ses parents et ses sœurs sont massacrés dans le sous-sol de la maison Ipatiev.
Alexis Romanov est dans sa quatorzième année.

En 1990, les corps de la famille impériale ont été retrouvés et exhumés. "*

La dépouille du petit Alexis n’y était pas !

........................................................        A compléter

De retour à Paris, tout était en ordre. Je décidais d’en mettre dans cet appartement. Pour les étagères de la bibliothèque, cela ressemblait à l’étayage d’une mine menaçant de s’effondrer. Dans le salon,  le parquet, d’un bois de belle qualité que je cirais à quatre pattes, se remettait de la verdure qui avait investi les lieux masquant la baie vitrée. La pièce y gagna en clarté et j’installai des rideaux. La vue sur Paris, jusqu’à la colline de Saint Cloud était vertigineuse. Il m’arrivait de déjeuner  sur le balcon ombragé par le store en toile au milieu des plantes vertes que j’avais conservées sur une étagère en métal galvanisé. En bas, le jardin de la résidence arboré de sapins, de tilleuls et de hêtres renvoyait l’écho des parties de tennis qui se jouaient sur le court mitoyen.

Je devenais doucement un quatorzard. Brassens avait habité chez Jeanne, squatteur impécunieux, impasse Florimont puis devenu riche et célèbre était resté dans le quartier vers la villa Santos Dumont pas très loin de la rue des Morillons où finissent les sacs trouvés. Jean Paul Kaufmann, otage avait résidé rue Didot. Pour qui ramassait les coïncidences comme des cailloux de Petit Poucet, je me régalais de savoir que Jacques Demy de "Une chambre en ville" était mon voisin rue Daguerre et me peinais d’apprendre que Patrick Dewaere s’était tiré une balle impasse du Moulin vert.

Puisque le masque obligatoire convenait à ma paranoïa et à mon besoin d’anonymat, je m’accordais des promenades vers la rue Gazan et le Parc Montsouris. C’était cool ce masque ! On pouvait trouver drôle  d’entrer  dans une banque masqué mais surtout positiver à ne plus avoir de gens vous postillonner à trois centimètres du visage et voir des crados contraints de se désinfecter les mains avant de tripoter les fruits & légumes et  décoller ceux qui vous collent dans une file d’attente. Je commençais à trouver la vie amicale. Méfiance !

Il restait à "l’Intranquille" à visiter le descendant présumé du rescapé d’Ipatiev maintenant que le mystère de mes origines n’en était plus un. Cette fois, le voyage n’était pas le but, c’était bien le but qui en était l’objet.

                         ----

Un matin d’automne, avant un hiver qui pouvait être le dernier, j'ai pris  la moto pour le temps et l'envie qu'il me restait d’aller voir le géniteur dans un coin du Lot détenteur des secrets de famille et des morsures, à la poursuite d'une caduque quête identitaire de mon nombril, histoire de comparer nos fardeaux.

D'un seul de ses regards, j'ai su mon désir de ne pas troubler sa quiétude de dépositaire amnésique.
Je n'ai pas voulu faire revivre, sous prétexte de mon seul bien-être, à ce vieil homme un passé qu'il veut sans doute oublier.
J'ai laissé les questions au vestiaire des rancœurs pour que ce tout à l'égo ne devienne pas un tout à l'égoût et me suis régalé de cette soupe de bien, venue de dessus le poêle à bois "Godin", de ces patates qui ont pris le temps de cuire lentement et de cette barbaque d'origine inconnue tant elle est méconnaissable "de braise et de caramel" qu'il dit : moi j'appelle ça de la cramure d'oignons.

Alors, au lieu de regarder derrière, j'ai observé mon futur de dans vingt ans à travers ce visage édenté toujours vivace malgré ses 70 années de labeur d'ouvrier entamées dès huit ans comme garçon de ferme, dormant quelques heures par nuit dans le lit cage d'un grenier sans chauffage.

Dans les misères antérieures du siècle d'avant, il y avait des tragédies banales et rurales où le fruit des amours ancillaires d’une lignée déchue devenait à son tour domestique à bon compte. Un descendant de russe blanc devenu ouvrier agricole dans une campagne communiste pendant la période du front populaire est une vraie vacherie en termes de karma.  Le mouflet issu de cette mauvaise pioche grandissait sans pain blanc mais avec un quignon et un oignon pour salaire.

A bout de démarches, comme un saumon remonte le courant, j'ai suivi le fil de mairies en hôtels de villes de ces eaux saumâtres pour conclure que je suis issu de cette hérédité là.

Sa vie se terminant aujourd'hui, encore vert, en aventures de cavaliers et, sans doute l'ai-je déjà rejoint dans la cavalcade peut-être, chevauchant une moto et, plus sûrement, dans la calvitie.
Contrairement à la maison de poupée de "chez ma sœur", il y a ici des licols et des selles enchevêtrés, des couteaux à la lame longue comme l'avant bras, des outils sur la table et, au sol, la bouffe des canassons dans des sacs de céréales ou de flocons de maïs, des cuirs lustrés dans l'odeur du suif sur des tréteaux, des vareuses suspendues à des clous en guise de patères.
Beaucoup de place pour les chevaux et un peu pour des images d'enfants, des dessins d'arbres sans racines, des maisons sans fenêtres et des créatures dentues punaisées sommairement aux murs qui disent sa souffrance et son remord.
L'été, il me souvient d'un canasson à la porte d'entrée et qui parfois pénètre dans la pièce vers le sac de pain dur, des poules et du coq, de l'œuf que l'on va chercher au cul de la poule, des tomates qui saignent sur la planche à découper.
J'oublie encore et aussi ses colères rustiques du temps des jours de paye après les grandes grèves.
Je crois que j'ai repris de la soupe.
Nous avons fait rouler des bottes de foin dans le hangar à côté des chevaux.
Deux sont morts cette année, reste une haridelle, avec un pedigree de pur sang quand même, et deux anglo-arabes bon pied bon œil.
Nous sommes rentrés boire un ersatz de café, une sorte de champoreau, un jus de chaussettes chauffé/réchauffé qui nous attendait sur la fonte du poêle puisqu'il n'y avait plus de vodka.
Et j'ai repris de la soupe.

Et mes griefs.

Quelle famille !


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