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La glorieuse imposture, de Christophe Gaillard

Publié le 14 juin 2021 par Francisrichard @francisrichard
La glorieuse imposture, de Christophe Gaillard

Ses vers avaient l'heur de plaire aux esprits éclairés, aux lettrés, aux maîtresses des salons; ils étaient charmants, délicatement désuets, harmonieux et souvent très beaux. Et alors? Pour colorés et musicaux qu'ils fussent, c'étaient des vers anciens, futiles et déjà démodés en ces temps de bouleversement universel.

De quel poète s'agit-il? D'André Chénier. De quels temps est-il question? De la Révolution française et plus précisément de la Terreur, période qui commence le 2 septembre 1792 et s'achève le 27 juillet 1794 avec la chute de Maximilien de Robespierre.

La glorieuse imposture raconte l'incarcération du poète à Saint-Lazare, du 7 mars 1794 jusqu'au 25 juillet 1794, jour où il sera guillotiné après avoir le jour même été condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire, sans qu'il ait d'avocat pour plaider sa défense.

Le livre de Christophe Gaillard se lit comme un roman qui se passe en un temps où règnait la religion de la peur, dont Robespierre était le grand prêtre et où plus personne n'osait penser, parler, et encore moins écrire, sinon de manière anonyme et confidentielle.

La Terreur n'est pas apparue tout soudain. La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, s'était déjà déroulée dans la violence: son gouverneur et ses officiers avaient été décapités. Elle était symbolique puisque n'y étaient détenus que quatre crapules, deux aliénés, un libertin.

L'auteur retrace les événements qui précèdent les derniers mois du poète et expliquent par leur enchaînement comment, arrêté par hasard, il finit sur l'échafaud, ayant le tort, aux yeux du policier qui l'arrête, d'être d'un autre monde, celui des riches, de faire des phrases:

Il aimait la poésie, et les vers parfaitement forgés lui semblaient sinon une preuve de l'existence de Dieu, du moins une preuve de l'immortalité de l'âme.

Parmi les détenus de Saint-Lazare, il y a des peintres, des poètes, ce pornographe de marquis de Sade dont il ignore la présence. Il ne cède pas comme lui à la vague licencieuse du romanesque le plus vulgaire. Il ne transige pas avec le style, garde la ligne du goût antique:

Les poèmes d'André Chénier disaient le plaisir de l'amour, et ce plaisir se voulait pur, sain, jeune, loin de tout péché ou de tout vice, jamais cruel, ni débridé.

On ne peut reprocher à Chénier d'avoir été un écrivain stipendié, un flatteur, un courtisan: jamais sa Muse n'avait chanté pour lui octroyer quelque honteux avantage. Pour lui, la poésie n'avait pas à être partisane: elle se dévoyait dès qu'elle se mêlait aux opinions...

L'auteur émet l'hypothèse que, s'il le pouvait, il renierait son Hymne aux Suisses de Chateauvieux (poème satirique qui avait touché l'Incorruptible en plein coeur, car il s'en prenait aux Quarante meurtriers, chéris de Robespierre qui Vont s'élever sur nos autels):

Non pas pour se faire libérer et éviter la guillotine, mais pour rester fidèle à sa propre identité et respecter la haute mission de sa vocation de poète.

Où se trouve-t-elle donc la glorieuse imposture?

Dans le fait que tout le monde continue à répéter qu'il n'a pas existé d'autre littérature sous la Révolution que les fameux discours des tribuns guillotinés, Danton, Desmoulin, Marat, Saint-Just, Robespierre?

Ou dans le fait que, aux yeux de toute une tradition, la guillotine lui a conféré[à Chénier] le statut de jeune martyr du lyrisme et de la liberté, et que sans elle sa gloire serait moindre?

Aujourd'hui Chénier est peu lu, peu étudié. À son époque déjà la littérature n'avait de sens que si elle servait la Justice, éclairait les masses et célébrait le 14 juillet comme l'aurore souriante d'une humanité nouvelle. Maintenant il serait peut-être temps de le lire ou relire.

150 ans après sa mort, un autre poète est exécuté, tout aussi oublié et dévalorisé que lui. Il s'appelle Brasillach et il est aujourd'hui maudit. L'auteur ose terminer son livre en reproduisant son Chant pour André Chénier, qui figure en tête de ses Poèmes de Fresnes:

Les dates les faisaient expirer fraternellement dans un chant expiatoire. Leurs poèmes se répondaient en écho et donnaient à entendre une musique à deux voix.

Dans Contre Sainte-Beuve, Marcel Proust rappelle qu'un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices Parfois il vaudrait mieux cacher momentanément le nom de l'auteur pour ne pas préjuger...

Francis Richard

La glorieuse imposture, Christophe Gaillard, 360 pages, Éditions de l'Aire

Livres précédents:

Une aurore sans sourire (2015)

Chienne de vie magnifique (2018)


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