C’est un fait : au lieu d’opérer cette distinction coupante comme la clarté, nous préférons continuer à nous laisser envoûter, aspirer par le vortex d’illusions que pourtant nous créons. Et ne voyons pas à quel point cela nous plonge dans le pire des chaos… Notre malaise constant n’en est-il pas le signe ? S’ensuivent trois autres chapitres, tout aussi prenants. « Le jour de la nuit », qui donne son titre à l’ensemble du livre, est déroutant, vertigineux. Il évoque dans une prose poétique la dissolution de l’illusion ultime du chercheur spirituel qui se croyait pourtant bel et bien arrivé au but en se percevant comme « fondu dans le paysage » : « La grande révélation est donc très simple : il ne s’est rien produit. Son expérience extraordinaire n’en était pas une. Il n’y a strictement rien à chercher. Il n’y a strictement rien à changer. »« La nuit espiègle » revêt une autre forme : celle d’aphorismes qui, tels des koans japonais, court-circuitent nos habitudes de penser et creusent encore davantage le lit de la poésie pure. En voici quelques-uns, à savourer : « Par la raison brûler toutes les maisons. » « Le réel est inhumain. » « Tu es autrui, pour le meilleur et pour le pire. » « Il fallut faillir. » « La mélancolie est l’ombre portée de ce qui est. » « Trempe les lèvres. »…Enfin, « L’homme croit que ce qui n’existe pas existe » referme la boucle avec le premier chapitre. Non pas vraiment enfin : il s’agit d’une boucle infinie, comme le ruban de Moëbius. Les paragraphes ne s’enchaînent pas, ils cherchent plutôt à déchaîner notre manière de percevoir. Sans concession, sans pitié, les phrases martèlent ce qu’obstinément nous refusons de voir : « A peine une illusion tombe-t-elle dans les flammes qu’elle se relève démultipliée en cent nouvelles illusions. Hydre monstrueuse écrasant toute vaine tentative de rébellion. » Nous redoutons de toutes nos forces de remettre en cause le socle qui fonde notre individualité. Ce faisant, nous critiquons le chaos, sans cesse, autour de nous, sans nous rendre compte un seul instant que nous le créons et l’alimentons sans trêve. La conclusion n’est qu’un commencement : « Personne ne t’appelle et personne ne t’attend. Seul, tu dois te réveiller. Tu dois te lever et sortir dans la nuit noire. » Ce ne sont pas les toutes dernières phrases de ce livre mais elles pourraient l’être : elles en délivrent la quintessence.Un livre impressionnant, décapant, renversant !Sabine DewulfLe Jour de la nuit, d’Alain Galatis, éditions Originel-Accarias, 2021, 122 pages, 14 €.
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