Ce Roi-Soleil déconnecté des réalités…
Fracture. Ne regardons pas ailleurs, ne détournons pas les yeux: deux tiers des citoyens ont donc refusé de se rendre aux urnes dimanche dernier. Il s’agit d’ailleurs moins d’une «farce démocratique» que d’une alerte civique de très grande ampleur, façon vol de nuit. L’affaire était déjà bien engagée, et ne venez pas nous seriner, otage des lieux communs, que nul n’est prophète en son pays! Car tout de même: les stades d’évolution en putréfaction antirépublicaine se succèdent en séquences, comme ces drames cosmiques qui montent en boucle. La pseudo-politique du pouvoir tourne à vide. Spectacle affligeant, conclu comme il se devait par la déroute électorale du parti présidentiel. L’abstention massive traduit la mise en doute de la capacité des élus à changer la vie. La déculottée subie par Mac Macron, elle, nous raconte que les promesses de «renouvellement» – tout changer pour ne rien changer – ont en vérité entretenu le désenchantement, faute d’avoir été suivies d’effet, bien au contraire. Chaque jour un peu plus, la fracture sociale continue de se creuser. Et comment réagit notre prince-président? En espèce de Roi-Soleil d’un monde déconnecté des réalités. Au lendemain du premier tour des régionales et des départementales, avec les résultats que nous connaissons, le lundi 21 juin restera en effet dans les annales de notre histoire contemporaine. Résumons d’une phrase. Champagne et honneurs pour les puissants… matraque et lacrymos pour les jeunes. Le bloc-noteur se pince encore d’avoir assisté – de loin, dieu merci – à l’invraisemblable mise en scène par Mac Macron de deux mondes parfaitement hermétiques l’un l’autre.
Symboles. Deux univers diamétralement opposés cohabitent ainsi par une seule conjonction: la violence sociale et policière. Enfermé dans sa gestion «d’en haut», égotique et au nom d’une caste supérieure, comprenons bien qu’il n’était pas évident pour Mac Macron de commenter les décombres de ce suffrage universel, qui, finalement, ne fixe pas tant que cela le paysage politique, contrairement à ce que certains entrevoyaient. Ce lundi, comme si de rien n’était, il eut l’audace, sinon la morgue, de citer à nouveau la formule du programme du Conseil national de la Résistance: «C’est le retour des jours heureux.» Scènes hallucinantes, de le voir parader aux côtés de Bernard Arnault pour l’inauguration de la Samaritaine, dont nous nous souvenons qu’elle fut l’un des symboles du Second Empire déclinant, puis, tout guilleret, d’organiser au Palais une réception pour la Fête de la musique avec en invités de «prestige» Jean-Michel Jarre et Marc Cerrone (69 ans). Sans sombrer dans le commentaire dit «populiste», qu’avons-nous vu, vraiment? Rien d’autre que l’apologie du luxe, de la richesse, des strass et de la peopolisation à l’ancienne en tant que préfiguration du futur. En somme, le voilà ce monde «d’après», si semblable au conservatisme ambiant. L’argent, la gloire, la notoriété. Toujours les «premiers de cordée». En entendant Mac Macron louer la Samaritaine comme un «formidable trésor patrimonial français», nous pensions aux sept cents employés et vendeurs présents, tous en livrée pour honorer leurs maîtres, dans ce lieu devenu cette bulle de magasins luxuriants – à des prix inabordables pour le bon peuple – rehaussée d’un palace de soixante-douze chambres et de bureaux au standing inimaginable. Avions-nous tort de ressentir une sorte de nausée?
Chaîne. Sachez-le, Pierre Bourdieu et Jacques Derrida nous manquent. Eux auraient disséqué à merveille l’état de notre France, en tant qu’exemple d’une crise majeure en devenir – ou comment conjurer les catastrophes en cours et surmonter tristesse, passions tristes, fatalisme et désespoir qui nous hantent trop… Quand les puissants et les malins dominent, il n’est pas interdit de se révolter. Mieux: il devient nécessaire de ne pas rompre la chaîne dont nous ne sommes qu’un maillon. Espérer n’est pas toujours délirer.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 25 juin 2021.]