Le petit livre que je publie aujourd'hui n'a qu'une seule ambition, c'est de servir la cause de la lecture.
Ce petit livre devait s'intituler, s'inspirant du commencement de La Recherche, Longtemps encore je me souviendrai de ce bonheur. Mais un heureux concours de circonstance a fait changer d'avis Michel Moret:
J'ai reçu un courriel d'un employé que j'avais dû congédier, me disant que je suis un vieil homme qui ne veut rien lâcher. Le terme vieil homme m'a séduit et, immédiatement, j'ai pensé au roman d'Hemingway, Le vieil homme et la mer, que je relis chaque année en espérant le savoir un jour par coeur.
Le lecteur n'aura pas manqué de faire le rapprochement entre les deux titres. Mais il aura considéré que le vieil homme ne l'est pas tant que ça, même si, depuis peu, en admettant que le Journal de Tintin n'ait pas disparu, il ne fait plus partie des jeunes qui sont censés constituer son lectorat.
Michel Moret sait de quoi il parle en matière de livre puisque toute sa vie tourne autour de lui: libraire, éditeur et écrivain sont en effet ses trois facettes. C'est pourquoi il ne laisse pas de constater avec bonheur que le livre a résisté au cinéma, au téléphone, à la télévision, et maintenant à internet:
On n'enterre pas si facilement les oeuvres des géants que sont Shakespeare, Cervantes, Hugo, Tolstoï, Dante, Pessoa.
Le livre donc perdure. Ce qui permet toutefois de séparer le bon grain de l'ivraie, c'est-à-dire de distinguer les écrivains sans intérêt des guides éclairés, c'est de lire tout simplement (j'ajouterais cependant de laisser faire le temps). Pourquoi le livre perdure-t-il? Parce qu'il est irremplaçable:
Le livre nous éclaire sur la complexité de l'âme humaine et développe chez le lecteur le goût du paradoxe et le relativisme de certaines valeurs.
Michel Moret a, comme tout éditeur, la lourde responsabilité de donner une chance à un livre, ce qu'il fait non pas pour passer le temps ou pour se faire plaisir, mais parce qu'il a de l'enthousiasme et de la curiosité et qu'il pense à tous ces autres qui pourraient faire leur miel de ce qu'ils lisent.
Après plus de quarante ans de métier, Michel Moret ramasse les souvenirs littéraires à la pelle pour notre bon plaisir. Car, pendant ce temps-là, il a fait de nombreuses rencontres avec des écrivains et avec leurs livres. Lesquelles confirment la curieuse transsubstantiation opérée par la création:
Plus l'écriture sera travaillée, plus elle sera belle et mieux elle vieillira. D'ailleurs, souvent on a l'impression que l'auteur exprime ce qui le dépasse. Ecriture universelle et message universel, voilà le paradoxe de la création.
L'autre paradoxe n'est-il pas que, si leur forme et leur style changent, le fond des livres demeure, alimente la vie intérieure et le goût du beau? Ce paradoxe est celui de l'évolution et de la permanence, qui nous caractérisent, si bien que Michel Moret constate sans qu'il soit possible de le contredire:
Les poèmes de Sapho et d'Ovide sont tout aussi modernes que ceux de notre jeune siècle: on invente si peu de choses mon amie la Rose.
Francis Richard
Le vieil homme et le livre, Michel Moret, 124 pages, Editions de l'Aire