Je me demandais si Emmanuel Macron ne tentait pas de faire du changement à la Michel Crozier. Du coup, j'ai lu L'entreprise à l'écoute, écrit au début des années 90. Il se trouve que j'ai rencontré Michel Crozier à ce moment là et qu'il y a et avait une telle proximité entre nos idées, que je les trouvais "évidentes". Mais n'avais-je pas tort, une fois de plus ? Voici ce que je retiens de ma lecture.
Tout est dans le titre : "écoute". Notre société, nos dirigeants en particulier, n'écoutent pas, ils imposent ce qui leur passe par la tête. Et, puisqu'ils ne connaissent rien à la réalité, il en résulte des désastres. Michel Crozier en arrive à dire qu'il faudrait apprendre à notre élite à écouter. (Mais peut-on se prétendre "élite", si l'on ne sait pas écouter ?) A la fin des années 80, il pensait que la société avait saisi son message. Au début des années 90, il comprend qu'il a perdu la partie.
Bien sûr, le livre est fait de multiples études de terrain, qui montrent, à l'américaine, que, quand on écoute, on gagne, on fait même des miracles. Mais, je soupçonne que le coeur n'y est plu. D'autant que la réussite de l'entreprise à l'écoute produit des phénomènes consternants. Ainsi dans deux cas sur trois, il est question de succès exceptionnels provoquant des mouvements sociaux violents ! Conclusion : en France on a le droit de faire le bien de l'entreprise et de ses employés, mais à condition de ne pas le dire !
Michel Crozier, comme tout le monde alors, n'a pas compris ce que signifiait la fin de l'URSS. Il constate que le production de masse, c'est fini. On entre dans l'ère "post industrielle". L'entreprise va devoir faire preuve d'une capacité d'adaptation exceptionnelle. Ce qui signifie qu'elle doit se "simplifier" se défaire de sa bureaucratie, qui assèche son intelligence, et laisser, donc, le maximum d'autonomie à ses personnels, l'initiative étant la règle du jeu. Il faut "organiser" cette autonomie. (On retrouve la définition qu'Henri Bouquin donnait au contrôle de gestion : "organiser l'autonomie".) Et ce de façon à ce que l'entreprise devienne "apprenante". Sacré défi !
En cela, il rejoint une pensée qui m'apparaît maintenant comme dominante à l'époque dans les cercles internationaux du management. Les best sellers s'appellent "Lean Manufacturing", "Organisation apprenante", etc.
Michel Crozier n'avait pas anticipé que la chute de l'URSS réveillerait l'Asie. Contrairement à l'Afrique, la culture de ce continent se prêtait au modèle taylorien propre à la bureaucratie. Avec l'avantage de personnels à coût quasi nul. Le modèle de domination bureaucratique a pu échapper à la complexité, et connaître 30 ans de gloire. Et, même mieux, du fait de ces bas coûts, se libérer de la contrainte du gain de productivité, jusque-là principe fondamental de l'économie. Or, il exige la connaissance du métier et la pensée complexe, "géniale", de l'entrepreneur traditionnel : voilà pourquoi le financier fut "le maître du monde", pour reprendre le titre d'un film.
En conclusion ? D'abord, il faut lire Michel Crozier. Cette fois, le monde est clos. La simplicité doit remplacer la bureaucratie simpliste. L'humanité doit devenir intelligente, collectivement, car nous sommes face à un problème extrêmement complexe ! L'exemple même étant que la France a, à la fois une pénurie de personnels, et 3 millions de chômeurs !
Ensuite, il se pourrait qu'il y ait bien plus derrière la bureaucratie que ce que l'on croit. Que Lénine ait fait de l'URSS une bureaucratie ou que la multinationale ou l'Etat français soient des bureaucraties libérales, n'est pas innocent. La bureaucratie est, très probablement, l'expression naturelle d'une volonté de domination. Une volonté qui ne peut pas écouter.