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Lituanie / Israël : la vérité selon Béria

Publié le 05 avril 2008 par Melusine

Il y a un an, la justice lituanienne ouvrait une enquête contre Itzhak Rudnicki, un juif né en Lituanie soupçonné de crimes de guerre et génocide dans les années 1940. Connu aujourd'hui sous le nom de Yitzhak Arad, Rudnicki n'est pas n'importe qui puisqu'il a dirigé et développé pendant plus de vingt ans (1972-1993) l'Institut de Yad Vashem en Israël et a publié de nombreux livres sur le sujet de l'Holocauste juif. La procédure intentée contre lui se fonde pourtant sur une de ses propres publications ou plus précisément sur le commentaire extensif qu'il a fait des mémoires d'un journaliste polonais de la Seconde Guerre mondiale pour l'édition anglaise (Kazimierz Sakowicz, Ponary Diary, 1941-1943 : A Bystander's Account of a Mass Murder, Yale University Press, 2005). Arad y relate complaisamment les exécutions de résistants, de prisonniers de guerre et de simples civils lituaniens qu'il a perpétrées alors pour le compte du NKVD, dont il fut membre à partir de février 1943. Ses déclarations sont d'ailleurs corroborées par les archives rassemblées par le Centre de recherches sur la résistance et le génocide de la population de Lituanie à Vilnius, comme a tenu à le préciser le procureur général lituanien Valentukevicius : "Nous avons de nombreux documents qui nous permettent de soupçonner Arad d'actes criminels".

Le Bureau du procureur n'a pour l'instant formulé qu'une simple requête auprès du ministère israélien de la Justice pour pouvoir interroger Yitzhak Arad sur ses responsabilités dans le meurtre de civils lituaniens en 1943 et 1944. Cependant, Israël vient d'y opposer une fin de non recevoir, l'actuel directeur de l'Institut Yad Vashem, Avner Shalev, allant jusqu'à exiger que la Lituanie présente officiellement des excuses au Dr Arad ! Bien entendu, celui-ci évoque ses anciennes activités sous un tout autre jour puisqu'il n'aurait fait qu'exécuter des "collaborateurs" de l'occupant nazi. Et de même, Avner Shalev, qui nomme résistants les membres des escadrons de la mort du NKVD, ne voit aucun reproche à leur faire : "Toute tentative d'assimiler ces actes de résistances [les exécutions de prisonniers] à des actions illégales, et ses acteurs [en l'occurence Itzhak Rudnicki-Arad] à des criminels, est une dangereuse perversion des évènements qui se sont déroulés en Lituanie durant la guerre ( sic)".

Avoir été membre du NKVD sous le sinistre Béria n'a pourtant rien d'anodin. Le NKVD ou Commissariat du peuple aux affaires intérieures, la police politique de Staline, était spécialement chargé d'éliminer les "traîtres à la patrie" et autres "ennemis du peuple", titres généreusement accordés dans l'URSS de l'époque et les territoires sous sa domination à tout ce qui pouvait ressembler à un religieux, un intellectuel, un bourgeois, un paysan... (la liste est loin d'être exhaustive). Dans les Etats baltes annexés à l'URSS en 1940 (Estonie, Lettonie et Lituanie), c'est aussi au NKVD qu'incomba la responsabilité de la lutte contre les résistances nationales et la déportation massive de populations. La méthode fut expéditive. Ainsi rien qu'en une nuit (11-12 juillet 1940), plus de 2.000 Lituaniens, pour la plupart hommes politiques, hommes de lettres, éditeurs ou journalistes, furent massacrés à Panevezys, ce qui revenait à décapiter le pays.

De même, l'arrêté secret n° 1299-526 du comité central du Parti communiste de l'URSS sur "la déportation des éléments socialement étrangers des Républiques baltes, de l'Ukraine occidentale, de la Biélorussie occidentale et de la Moldavie", pris le 14 mai 1941 sous l'impulsion de Béria, ordonnait de déporter dans des camps de Sibérie des centaines de milliers de personnes de tous âges et de toutes classes sociales :
1) les membres des organisations contre-révolutionnaires et leurs familles,
2) les anciens gendarmes, les gradés de la police et des gardiens de prisons, ainsi que les simples policiers ou gardiens de prison en cas de documents compromettants [c'est-à-dire révélant des actions anti-soviétiques],
3) les anciens grands propriétaires et commerçants, les anciens industriels et les principaux fonctionnaires des gouvernements bourgeois,
4) les anciens officiers dont les dossiers sont compromettants (y compris ceux qui avaient servi dans les troupes territoriales de l'armée rouge),
5) les membres de famille des condamnés à mort ou des membres d'organisations contre-révolutionnaires qui ont pris le maquis,
6) les personnes qui ont été rapatriées depuis ou vers l'Allemagne et dont les dossiers sont compromettants,
7) les réfugiés polonais s'ils ont refusé d'adopter la citoyenneté soviétique,
8) les éléments criminels qui poursuivent leurs activités,
9) les prostituées enregistrées auprès de la police si elles continuent leurs activités.

Un régime de terreur fut alors imposé aux Baltes (80.000 exécutions en Lituanie entre juin 1940 et juin 1941). Dans ses conditions dramatiques, on peut comprendre qu'ils ne firent pas trop mauvais accueil à l'armée allemande en juin 1941. Mais si les Israéliens insistent beaucoup aujourd'hui sur l'antisémitisme violent dont firent alors preuve les Lituaniens avant même l'arrivée des troupes du Reich, ils omettent un détail gênant : les Juifs constituaient plus de 16% des dirigeants du NKVD opérant dans le pays, ce qui montre une surreprésentation notable par rapport à la composition de la population, et ils représentaient entre le tiers et la moitié des membres du parti communiste clandestin de Lituanie, partisan et complice de l'invasion soviétique qui recommença à partir de 1944-1945. Béria lui-même en était. Les Lituaniens firent surtout montre d'une résistance farouche, puisqu'on estime que de 1944 à 1952 près de 10% de la population avait rejoint les Frères de la forêt.

Si l'on se souvient que la plupart des exécutions de civils lituaniens par le NKVD le furent sous les prétextes les plus futiles ("ennemi de la révolution", "possède de la littérature non autorisée", "possède un drapeau lituanien", ou encore Boy Scout), que la qualification de "collaboration" était généralisée et s'appliquait tout aussi bien à des enfants de 8 ans, et qu'enfin le mode d'exécution ordinaire fut la torture à mort, le passé de Yitzhak Arad prend un relief singulier. On peut le rapprocher d'un de ses collègues de la police politique, Petras Raslanas, condamné par contumace le 5 avril 2001 à la prison à vie pour génocide pour le massacre de la forêt de Rainiai. Dans la nuit du 24 au 25 juin 1941, plus de 70 Lituaniens, parmi lesquels de jeunes étudiants, furent atrocement torturés. Lorsqu'on découvrit les corps trois jours plus tard, seuls 27 purent être identifiés tant ils avaient été mutilés... Bien entendu Raslanas affirma dans son rapport au Secrétaire du Comité central du parti communiste de Lituanie que pas une seule des victimes n'était innocente... Mais doit-on tenir pour paroles d'évangile les accusations de Béria et de sa police justifiant l'exécution de simples civils sans procès et les tortures sans nom qui leur furent infligées ? Selon Israël, il semblerait que ce soit oui !


Toujours est-il que Yitzhak Arad, en tant que militant et homme de main du NKVD, a assurément pris une part active dans l'exécution de ces crimes de masse qui furent l'essentiel de l'action de cette police politique. Il gagna ensuite clandestinement la Palestine en 1945 et semble alors s'être distingué dans le terrorisme contre les Anglais avant d'être fait général de Tsahal... Etrange carrière pour un pourfendeur de nazis et une "autorité morale". Quand un historien du génocide juif se révèle lui-même auteur de génocide en Lituanie, est-ce de la morale ou un ricanement du diable ?


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