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OSS 117 : Alerte Rouge en Afrique Noire / Bons baisers d’Afrique – Hubert ne répond plus

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Drôle de période pour OSS. Troisième opus attendu depuis plus de dix ans maintenant, Alerte rouge en Afrique Noire (ou Bons baisers d’Afrique au Québec), ardemment désiré dans la foulée d’un Rio ne répond plus ayant globalement fait l’unanimité, est devenu ces dernières années celui par lequel le salut des pourfendeurs du politiquement correct allait arriver. Le départ de Michel Hazanavicius (réalisateur et co-scénariste des deux premiers films) du projet, remplacé par le très clivant Nicolas Bedos, n’était, à ce titre, guère pour rassurer. Exit cette jouissive critique des travers de la France contemporaine, des passéistes et autres rétrogrades premiers défenseurs de ce cher Hubert Bonisseur de La Bath, pourtant miroir caricatural explicite de leur propre inconséquence. Place au discours unidimensionnel, au moins de façade, pourfendant lourdement cette « bien-pensance » lui donnant de l’urticaire, sans autre vue ni véritable objectif annoncés. Une donne d’autant plus dommageable que le personnage d’OSS 117 a vu sa cote tristement diminuer ces dernières années. À l’instar de la désertion du terrain du second degré, de l’incorrect, de la provocation, et de la contradiction de la part des progressistes revendiqués, au profit de l’extrême-droite marquée CNews qui s’en frotte désormais les mains en hurlant à tort et surtout à travers « on ne peut plus rien dire », OSS 117 a vu, au fil du temps, son propos et sa verve passablement amoindris par la réappropriation qu’en ont faite ceux qu’il tournait précisément en dérision. Sans compter un contexte social beaucoup plus sensible qu’il y a dix ans sur les questions de genre, d’identité, de sexualité, et même de religion. Contexte qui, sans interdire ou justement censurer la sorties d’œuvres n’hésitant pas à aborder de front ces sujets (Poissonsexe d’Olivier Babinet, Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi et John Wax, Adieu les cons d’Albert Dupontel, par exemple), appelle à repenser la façon de les tourner en dérision pour mieux en creuser le fond, et pour en décupler l’universalité tout comme leur capacité d’inclusion. Des films complètement en phase avec leur époque, non seulement de par leur propos des plus judicieux et leur propension à jeter un regard sans complaisance sur les maux d’une société éprouvant les pires difficultés à intégrer l’Autre, mais également dans la galerie de personnages qu’ils déploient, aucun ne relevant d’une norme ou d’un archétype évident. 

Là où les deux premiers OSS 117 faisaient preuve d’une même modernité, c’est bien dans cette capacité à faire vivre leur sujet par l’entremise de personnages tous vecteurs de sens, porteurs d’un propos valorisé dans leur cas par la contradiction permanente qu’ils apportent à Hubert Bonisseur de La Bath, caricature beauf et misogyne ambulante, mais dont la gaucherie et les actions complètement aberrantes ont moins vocation à le faire briller de manière complaisante, qu’à d’autant plus mettre de l’avant celles et ceux qui essaient de le contenir et de le recadrer lorsque nécessaire. Si OSS 117, comme tout bon James Bond même incompétent, finit toujours par triompher, ses acolytes d’infortune n’en ressortent pas perdants pour autant.

Tout le contraire, donc, de ce troisième opus qui, aveuglé par sa volonté d’en découdre avec on-ne-sait trop qui ni quoi, a non seulement oublié en route les racines et la raison d’être de sa figure de proue, mais a aussi troqué l’audace de ses prédécesseurs pour un discours de vieux con, moins provocateur que désespérément daté. Il suffit notamment de voir le sort réservé à OSS 1001 (Pierre Niney) pour mesurer le gouffre séparant Nicolas Bedos et Michel Hazanavicius, autant d’un point de vue purement artistique que moral. Dans Alerte rouge en Afrique Noire, si ce sont toujours deux visions de la France qui s’opposent (la base de la recette), celle conservatrice, autrefois raillée, est bien celle qui, ici, l’emporte sans équivoque (la recette vient de vriller). Jean Dujardin a beau toujours exceller dans un rôle décidément taillé pour lui, le scénario du film inverse tellement le paradigme des deux premiers que le personnage d’OSS 117, si savoureux et délicieusement dépassé dans Le Caire, nid d’espions et Rio ne répond plus, devient dans ce troisième opus insupportable à suivre et difficile à cautionner, car finalement jamais vraiment confronté ni remis à sa place. On allait voir ce qu’on allait voir selon Nicolas Bedos, et on a vu : face à des comédies contemporaines de la trempe, une nouvelle fois, de Tout simplement noir ou Adieu les cons, volontiers hilarantes et/ou enragées, OSS 117 troisième du nom accuse un sérieux coup de vieux qui fait peine à voir. Tout y passe : les dialogues convenus et peu inspirés (le trait d’humour sur #MeToo, d’une subtilité…), les séquences sans surprises lorsqu’elles ne sont tout simplement pas repompées sur celles des deux premiers (la rencontre entre OSS 117 et le président africain, en sus largement éventée dans la bande-annonce), la rythmique mal dosée des blagues et du comique de situation, et la paradoxale frilosité avec laquelle Bedos et Jean-François Halin (co-scénariste de la série) s’attaquent au supposé conformisme qu’ils abhorrent. De ce point de vue, le duo réussit à frapper à côté, en se montrant à la fois détestable dans son ironie de cour de récré, et complètement inoffensif dans la façon de la mettre en scène et de l’incarner. En somme, OSS 117 : Alerte rouge en Afrique Noire est un film petit bras, de grands parleurs, mais de petits faiseurs.

Une donne que l’on retrouve également dans la réalisation même du film, étonnamment sage et sans relief, là où les précédents essais cinématographiques de Nicolas Bedos trahissaient pour le coup une vraie sensibilité de l’image et de la mise en scène. Oubliés le souffle de l’aventure, et la science du pastiche visuel de Michel Hazanavicius : place ici à une copie d’élève appliqué, déférent mais sans génie, tirant trop peu partie du cadre, pourtant riche en promesses et visuellement fort, de son récit. Alerte rouge en Afrique Noire manque cruellement d’ampleur et de panache, quand bien même il tente, tant bien que mal, de reprendre les codes visuels de ses prédécesseurs.

Au sortir d’Alerte Rouge en Afrique Noire, le constat est donc triste, mais sans appel : mieux vaut laisser les vieilles gloires et ses vieilles marottes en paix. Ce qu’a compris Hazanavicius en passant volontiers son tour, à la lecture d’un scénario qu’il jugeait passablement mauvais. Nicolas Bedos, lui, trop heureux de pouvoir surfer sur la popularité d’un personnage qu’il pensait être à sa mesure, n’a pas fait preuve du même discernement. Grossière erreur, car si OSS 117 3 est intéressant, c’est moins pour ses qualités intrinsèques que pour le fait de confirmer malgré lui que ses prédécesseurs étaient les fruits, eux, d’un véritable talent. Alerte Rouge en Afrique Noire est finalement à OSS 117 ce qu’Amis pour la vie est aux Bronzés : un ajout médiocre, imbu de lui-même, brillant surtout par son opportunisme.


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