Magazine Coaching

RH2.0 Par Alexandre ADJIMAN

Par Jean-Louis Renault

"Quand je serai grand(e) je ferai…"

Je reviens des Philippines où j'ai vécu une expérience intéressante sur le plan des relations humaines de ce côté de la Mer de Chine.

Dans ce pays où, comme dans toute l'Asie, la carte de visite est un élément particulièrement important de votre image, et fait l'objet d'un cérémonial précis, mon image sur ce plan était particulièrement "light" (l'anglais est ici la langue officielle).

En effet, n'ayant encore aucune société établie dans le pays, et mon objectif n'étant pas de créer une filiale d'une société Française qui aurait pu figurer sur la carte, mais bien de créer une société sur place pour proposer des services, ma carte de visite portait simplement mon nom, et une adresse e-mail ! Pas de numéro de téléphone, pas de fax, pas de mobile, pas d'adresses "internationales". Face aux cartes de visite de "Présidente" ou de "Directrice Générale" (aux Philippines 75% des entreprises sont dirigées par des femmes), comportant 8 à 10 lignes, je proposais donc mes 2 petites lignes !

Je savais que cela pouvait être un problème, mais je voulais jouer… "Cartes sur table", si on peut dire ! Bluffer sur une carte ronflante avec domiciliation sur les Champs (Elysées) eut été facile. "Personne ne va vérifier", comme on dit. Bien sûr, mais quel intérêt ? Et comment poursuivre ultérieurement des relations sérieuses dans un contexte aussi mal enraciné au départ ?

Puisque visiblement, selon ma carte, je ne représentais que moi-même, j'ai donc imaginé d'inverser la situation. J'ai voulu tenter l'expérience d'amener mes interlocuteurs à se "débarrasser" en quelque sorte de l'image véhiculée par leur carte de visite, pour discuter de mon projet "avec leur personne" plus qu'avec leur "fonction". Objectif : mettre nos deux images (nos deux cartes de visite) au même niveau : le mien !

Cela a parfaitement fonctionné, et si cette technique est certainement déjà utilisée de temps à autre, je me demande s'il ne faudrait pas en faire une utilisation plus courante.

Comment fait-on pour parvenir à "passer derrière la carte de visite" de son interlocuteur, c'est-à-dire derrière sa fonction, pour trouver la personne ? Cela peut dépendre de ce que vous avez à proposer, mais le principe de base est d'arriver assez vite à impliquer votre vis-à -vis en tant qu'usager du service ou du produit que vous proposez. Peut-être que ce n'est pas toujours possible, mais quand ça l'est, c'est particulièrement efficace pour créer des liens assez forts, et détendre une atmosphère. Bien entendu il y faut de l'empathie puisque votre interlocuteur doit accepter votre procédé. Je n'ai jamais dit que c'était facile, il peut y avoir de la méfiance, des blocages. Peut-être que le fait que la plupart de mes interlocuteurs étaient des femmes facilitait les choses ?

Finalement, j'ai essayé de dépasser la classique confrontation de niveaux : celle du commercial (fonction décrite sur sa carte de visite) essayant de prouver quelque chose à un client, lequel reste figé dans sa position de client "examinateur".

Dans le cas de figure de mes interlocutrices aux PHILIPPINES, le sourire est rapidement sur les lèvres, on plaisante, et on fait référence à des expériences personnelles. Bref, c'est bien parti. Pourtant les risques étaient grands de ne pas être pris au sérieux, à cause de ce bout de carton que je tendais.

 En fait, si j'ai utilisé cette approche sur un plan commercial, c'est que je l'ai souvent expérimentée avec succès dans les relations humaines.

J'ai dirigé des ouvriers, des commerciaux des chauffeurs routiers, des techniciens et des ingénieurs, des administratifs. …

Dans une entreprise, nous avons tous notre "carte de visite" (même si elle n'existe pas physiquement parce qu'on est standardiste ou comptable et qu'elle n'est pas physiquement utile). Notre carte de visite c'est évidemment la fonction, le rôle qu'on nous a confié, et que nous avons accepté. Et la plupart du temps, nous nous adressons la parole de carte de visite à carte de visite. Dans la vie quotidienne de l'entreprise, cela ne pose pas de problème. Mais il existe des circonstances, relativement nombreuses, où il y aurait un grand intérêt à se parler plutôt de "personne à personne".

Par exemple en cas de restructuration, en cas de simple déplacement de bureaux, en cas de licenciement, en cas de difficultés de l'entreprise, ou de changement de stratégies, en cas de modifications hiérarchiques, etc…

J'ai envie d'appeler cela la Relation Humaine 2.0 pour emprunter l'image de l'évolution du Web, qui d'apporteur est devenu échangeur.

Le web 2.0 c'est la contribution fondée sur l'égalité de traitement : je peux désormais contribuer à une encyclopédie, quelle que soit ma carte de visite ! Je n'ai plus besoin d'être académicien. Résultat : avec le concept du Web 2.0 plus rien n'est comme avant.

Je crois qu'aujourd'hui c'est ce type de management qu'il faut apporter à nos collaborateurs et à nos collaboratrices pour leur conserver leur motivation à leur poste. Il y a évidemment de nombreuses raisons à cela, mais probablement l'une des raisons les plus importantes réside dans le fait qu'ils ont découvert, hors des murs de l'entreprise, qu'ils pouvaient donner leur avis, contribuer (par exemple à une encyclopédie comme le faisaient les illustres contemporains de Diderot, mais aussi à des quantités de sujets), discuter avec des gens de tous horizons dans le monde entier, bref être pris en considération en tant que personnes ayant, à priori, une vraie valeur.

Dès lors, si une fois passé le pas de porte de l'entreprise, nos collaborateurs ne sont plus que rarement considérés en tant que personnes capables de jugements propres, si on ne prend que de façon épisodique (voire intéressée) leurs préoccupations personnelles dans le cadre de leur travail, ils n'auront qu'une seule hâte, c'est de terminer leur journée pour aller voir du côté où ils se sentent exister en tant que personnes , ayant un droit d'expression susceptible d'être pris en considération.

Car le collaborateur n'est plus cette personne qui attendait parfois de l'entreprise une possibilité de devenir quelqu'un, d'exister socialement. Son point de vue sur ce que lui apporte l'entreprise n'est donc plus le même qu'il y a quelques années.

Dans "Quand je serai grand(e), je ferai…"je donne l'exemple de licenciements auxquels j'ai dû procéder. Chaque fois que j'ai pu le faire, et après l'entretien formel et obligatoire, j'ai essayé de rencontrer la Personne. J'ai essayé de l'amener à se déclarer par rapport à la satisfaction réelle qu'elle avait et de son poste et de l'entreprise, et notamment à parler sincèrement de ses aspirations profondes sur le plan personnel et professionnel.

Lorsque j'y suis parvenu (il y a ici aussi beaucoup de méfiance au départ, chacun ayant une "carte de visite" en tête) j'ai souvent trouvé en face de moi des personnes qui acceptaient de regarder leur nouvelle situation comme un tremplin possible, en tout cas autrement que comme un échec. Elles ont même parfois pris conscience d'une certaine médiocrité de leur situation, à laquelle elles pouvaient s'attacher à remédier en repensant leur orientation ou leur secteur d'activité sur de nouvelles bases.

Léonid Hurwicz est l'auteur d'une théorie macro-économique qui lui a valu le prix Nobel d'Economie en 2007. Il dit (en simplifiant bien sûr) que pour qu'une organisation puisse survivre, (en l'occurrence il parlait des Etats), il faut quelle puisse prendre les bonnes décisions. Et pour prendre les bonnes décisions il faut avoir les bonnes informations, c'est-à-dire la vérité. Et Léonid Hurwitz de conclure que dans toute organisation il est indispensable d'avoir des collaborateurs qui savent comment faire (comment créer les incitations) pour obtenir la vérité de la part de ceux qui y travaillent, à tous les niveaux.

Bon sens évidement, mais combien de managers se préoccupent réellement d'obtenir la vérité, c'est-à-dire de savoir réellement ce que pensent leurs collaborateurs en tant que personnes, de la situation qu'ils doivent gérer, des relations humaines dans l'organisation, etc…

Des opposants à cette idée il y en aura, puisqu' elle va déranger tous ceux pour qui la relation "employeur /employé" est, et ne peut que rester, celle d'un rapport de force, (comme au bon vieux temps).

Mais tout comme les enseignants ne pourront plus longtemps ignorer que leurs élèves ont appris à travers l'utilisation de leur batterie d'écrans divers et variés qu'il existait autre chose que la relation du Maître et de l'Elève qu'ils leurs proposent, et qu'ils vont devoir modifier leur vision de "la classe", les personnes qui ont une responsabilité de management, aussi "petite" soit-elle, ne pourront pas longtemps faire semblant de ne pas savoir que leur personnel est devenu grand.


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