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La Brigade des 800. Retour à l’humain

Par Balndorn

 La Brigade des 800. Retour à l’humain

Et si l’espoir d’un retour à l’humain venait du cinéma chinois ? Alors que les blockbustersétats-uniens redoublent d’efforts pour numériser jusqu’aux acteurs et décors – en résultent les hideuses batailles du Hobbitou d’Avengers : Endgame –, La Brigade des 800, en tête de liste du box-office chinois l’an passé, fait figure d’exception. Et pour cause : en choisissant une mise en scène en chair et en os, il fait le pari d’une épopée à hauteur humaine. Exitles fonds verts et autres CGI, rebonjour aux bonnes vieilles techniques du jeu d’acteur et de la scénographie.

Contre la course à l’inflation technologique…

Par ce simple fait, La Brigade des 800 rompt avec une certaine esth-éthique de l’épopée, qui remonte probablement à la trilogie du Seigneur des Anneaux. Au début des années 2000, Peter Jackson innove en effet en composant d’immenses batailles rangées, où cohabitent plans larges sur des hordes entièrement numériques et plans serrés sur des drames et des exploits réalisés par de vrai·es acteur·rices. En témoigne par exemple la magistrale bataille des champs du Pelennor au milieu du troisième volet (2003). Rétrospectivement, la trilogie du Seigneur des Anneauxapparaît comme l’une des dernières épopées à mêler aussi habilement prises de vue réelles et imagerie numérique. La plupart de celles qui suivront se lanceront dans une course à l’inflation technologique sans fin. On n’en mesure l’écart nulle part mieux qu’avec l’autre trilogie de Peter Jackson, Le Hobbit (2012-2014), une dizaine d’années après la première ; de ces batailles presque entièrement numérisées, on ne ressent plus le frisson de l’épopée, seulement la peur du ridicule. Aujourd’hui, tourner une épopée, à l’instar d’un film de super-héros, se fait au pied d’un fond vert, avec des acteur·ices bardé·es de capteurs électroniques.

Or, les épopées au cinéma n’ont pas toujours relevé de ce régime numérique. Beaucoup, au contraire, ont mis en avant la prouesse démographique et économique de rassembler – et donc, de payer – quantité de figurants et, par conséquent, de scénographes, de maquilleuses, de coiffeuses, etc. Qu’on se souvienne des péplums italo-américains ou des films de guerre des années 50-60, Le Jour le plus long au premier chef d’entre eux.

… la chaleur de la foule

C’est de cette tradition de la multitude que se revendique La Brigade des 800. En mettant à nouveau en images un fait bien connu de la seconde guerre sino-japonaise – la défense héroïque de l’entrepôt de Sihang lors de la bataille de Shanghai –, le cinéaste Guǎn Hǔ fait de l’humanité de ses membres la force de l’armée chinoise. Dans la lignée des grandes fresques historiques, le réalisateur ne lésine pas sur le nombre de figurants. À la manière du héros de cette histoire, le colonel Xie Jinyuan (Dù Chún), qui n’hésita pas à faire croire aux Japonais en supériorité numérique que 800 Chinois défendraient cet entrepôt stratégique jusqu’à la mort, alors qu’ils étaient deux fois moins en réalité, Guǎn Hǔ gonfle considérablement les effectifs de son armée cinématographique. Au vu du nombre de morts à l’écran, on pourrait croire que la bataille de Sihang a tourné au massacre général de l’armée chinoise… quand le décompte officiel s’établit à une dizaine de morts côté chinois, pour plus de 200 côté japonais.

C’est que le nombre ne fait pas tout. Rappelons la maxime du « petit père des peuples », Joseph Staline, qui, en matière de massacres, fait figure d’expert : « La mort d’un homme est une tragédie. La mort d’un million d’hommes est une statistique ». Elle résume bien ce qui fait l’émotion pathético-héroïque d’un film de guerre ; certes, on y meurt en masse, mais on y meurt à tour de rôle. Chaque mort, chaque combat porte un drame humain en soi. Et c’est ce drame qui amène à réfléchir la portée morale du geste accompli. On ne peut mieux illustrer ce précepte qu’avec la scène des kamikazes chinois. Constatant l’imminence d’une entrée des Japonais dans l’entrepôt, un jeune soldat chinois se dévoue pour se jeter sur eux, ceinturé d’explosifs, et périr en les annihilant. Le fait est historique, mais ne concerne qu’un seul individu. C’est là qu’intervient la dramaturgie épique. Car dans La Brigade des 800, c’est une quinzaine de soldats qui imitent leur camarade en se jetant tour à tour sur l’infanterie japonaise, scandant leur nom et leur village natal au moment de sauter. Le tout, sous le regard bouleversé des spectateurs britanniques et chinois de l’autre côté de la rivière, bien à l’abri dans les concessions étrangères.

Naissance du pathétique

Car c’est là encore un fait historique que le réalisateur exploite à merveille. La défense héroïque de Sihang eut lieu sous le regard des puissances occidentales, qui purent constater à la fois la brutalité des Japonais et la bravoure des Chinois. Par ce jeu de mise en abyme, le film invite à réfléchir notre propre position de spectateur ; c’est de notre impuissance même à sauver les soldats assiégés que provient notre admiration pour celles et ceux qui le tentent, à l’instar de la jeune propagandiste Yang Huimin (Táng Yì-Xīn), qui parvint avec succès à leur faire passer un drapeau chinois, qu’ils arborèrent aussitôt, attirant en retour l’ire des Japonais.

Le symbole est d’autant plus fort qu’il s’agit du drapeau des forces nationalistes, adversaires acharnés des communistes de Mao Zedong avant et après la seconde guerre sino-japonaise, pendant longtemps frappés de damnatio memoriae par l’historiographie des vainqueurs de la guerre civile. En se réappropriant cet épisode longtemps cantonné à l’histoire anti-communiste, le film met en miroir sa propre capacité à générer un pathétique fédérateur[1]par-delà les clivages politiques.

Ainsi, à l’heure où la plupart des épopées au cinéma jouent la surenchère de moyens technologiques toujours plus inhumains, La Brigade des 800 fait le pari inverse d’un retour aux sources de ce qui fait l’émotion dans ce genre : décors reconstitués, jeu d’acteurs, caméras immersives, respect des trois unités pour accroître la tension dramatique. Et ça marche.

On voyait déjà la tendance poindre en Asie, notamment en Corée (Battleship Island en est un excellent exemple). Gageons qu’à l’avenir, elle saura conquérir le restant de la cinéphilie mondiale.

La Brigade des 800. Retour à l’humain

  

La Brigade des 800, de Guǎn Hǔ, 2020, 2h29

Maxime

 

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[1] « Le pathétique, c'est ce qui oblige le spectateur à bondir de son fauteuil. C'est ce qui l'oblige à quitter sa place. C'est ce qui l'oblige à crier, à applaudir. C'est ce qui fait briller de ravissement ses yeux avant que n'y montent les larmes d'exaltation. En un mot, tout ce qui oblige le spectateur à "sortir de lui-même », disait Sergueï Eisenstein.



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