Une réflexion sur la montée de modèles alternatifs au capitalisme libéral.
Pierre-Yves Hénin et Ahmat Insel étudient dans cet essai la montée en puissance des pouvoirs autoritaires ayant opté pour l’efficacité économique du capitalisme. On pense bien évidemment à la Chine, mais aussi à la Russie, la Turquie, ou encore certains pays d’Europe centrale. La part dans le PIB mondial des États autoritaires étant passée d’après Roberto Foa, relèvent les auteurs, de 12 % à 33 % entre 1990 et 2018.
UN CADRE DE RÉFÉRENCE QUI S’ÉTEND
Distinct du capitalisme autoritaire, selon eux, le national-capitalisme autoritaire va plus loin en ce sens qu’il n’est pas essentiellement un phénomène post-communiste, comme certains le pensent. Le capitalisme autoritaire se caractérisant avant tout par un illibéralisme déniant certains droits individuels fondamentaux, politiques et économiques à travers cette intervention de l’État. Distinct également du capitalisme d’État, en ce sens qu’il n’est pas le simple fruit d’un interventionnisme d’État, ou le freinage du mouvement de libéralisation de l’économie comme dans le cas chinois, ni une simple prééminence de la part publique du capital des entreprises, voire l’émergence d’un État prédateur.
Il s’agit avant tout de « l’engagement par l’État d’un processus de légitimation idéologique visant à accréditer un socle de valeurs dans l’opinion », fondé sur la référence nationale, qui se veut protectrice et rassurante. Dans la plupart des cas, opposé aux valeurs universalistes.
Dans l’imaginaire social-historique que cherchent à façonner les NaCA [Nationaux-Capitalistes], la référence nationale renvoie souvent à un projet de refondation de la civilisation et à la promesse de renouer avec une grandeur perdue, parant ainsi les politiques adoptées d’un caractère indigène, authentique. C’est ce que l’on observe actuellement dans des pays aussi variés que la Hongrie, l’Inde, la Turquie, la Malaisie et, bien entendu, la Chine.
UNE DISSOCIATION NETTE ENTRE CAPITALISME, LIBERTÉ ET DÉMOCRATIE
Capitalisme et liberté se trouvent ainsi dissociés, de même que la démocratie, qui ne constitue nullement un cadre de référence. Les modalités de contrôle politique sur les entreprises sont variées, ayant en commun de se substituer dans nombre de cas à la propriété du capital par l’État. Les auteurs en apportent un certain nombre d’illustrations. Elles combinent une très forte personnalisation du pouvoir, le clientélisme et des pratiques prédatrices avec des institutions légales bureaucratiques. Mais aussi de fortes références à des valeurs culturelles ou traditions historiques propres au pays ou à la civilisation considérés.
Sur le plan de la mondialisation – et ce, à la suite de l’épisode Covid – la montée des protectionnismes défensifs va induire non pas la fin de ce processus de mondialisation, mais une stratégie de construction d’avantages concurrentiels plus ciblés. Non plus sur le modèle ricardien mais sous forme, pour ces pays – outre des politiques de taux de change réel sous-évalué – d’avantages concurrentiels institutionnels (subventions, charge d’intérêts moindre, charge fiscale inférieure, mesures non tarifaires avantageant les producteurs nationaux, mécanismes de contrôle social comme un syndicat unique ou majoritaire inféodé au pouvoir par exemple afin de mieux contrôler les salaires et bénéficier d’une main-d’œuvre disciplinée, etc.).
Mécanismes face auxquels l’OMC se montre bien impuissante, révélant la faiblesse de cette institution surtout depuis que la Chine y est entrée en 2001, celle-ci se posant depuis en contemptrice du modèle de capitalisme libéral et promotrice des régimes autoritaires et nationalistes.
Ce qui a pour effet d’encourager les accords bilatéraux plutôt que multilatéraux, mettant en avant de nouvelles formes de capitalisme autoritaire fondées sur des stratégies étatiques de type mercantiliste et de mesures de sanctions, sans oublier le rôle non négligeable des fonds souverains et les fortes collusions entre capital privé et pouvoir politique. Une rivalité entre deux modèles qui confine à l’affrontement.
UNE NOUVELLE GUERRE FROIDE ?
Selon les auteurs, le néolibéralisme et l’individualisme constitueraient des causes essentielles expliquant les dérives du modèle occidental et sa contestation. Tandis que, malgré leurs vulnérabilités, les NaCA usent de stratégies d’influence, de manœuvres géopolitiques, ou dans le cas de la Chine de son statut de superpuissance, pour tenter d’imposer leur modèle. Mais pour combien de temps ?
Car lorsque viennent les moments d’essoufflement économique du système, corruption et répression ne risquent-elles pas à plus long terme de se heurter au besoin irrépressible de libertés individuelles ? À moins que le renforcement du contrôle social et une dérive totalitaire ne viennent contrecarrer toute tentation de réaction et entraînent une nouvelle guerre froide, cette fois entre les États-Unis et la Chine…
Pierre-Yves Hénin et Ahmet Insel, Le national-capitalisme autoritaire : une menace pour la démocratie, Bleu Autour, avril 2021, 112 pages.