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Lignes de désir

Publié le 27 août 2021 par Tetue @tetue

Sinueux est le chemin de l'UX design.

Souvent reproduite pour introduire au design d'expérience [*], l'image suivante illustre bien l'importance de la conception orientée utilisateur (UX design). L'on y voit une personne qui, au lieu d'emprunter le chemin prévu, à angle droit, préfère couper en diagonale, à travers la pelouse, comme bien d'autres avant elle, au point d'avoir tracé un sentier de terre battue.

Lignes de désir

Les urbanistes nomment ligne de désir ces sentiers graduellement tracés par érosion suite au passage répété de piétons, cyclistes ou animaux. Cela dénote un aménagement qui n'est pas pleinement adapté aux habitudes des usagers du lieu ou, dit autrement, une « interface » ne correspondant pas au « parcours utilisateur » ici constaté, un écart entre l'intention et la réalité. En conception logicielle, la notion de ligne de désir est employée pour décrire les actions réalisées par certains utilisateurs afin de contourner les limitations des interfaces qu'ils utilisent.

Comment éviter cela ? Certainement pas par une pancarte « pelouse interdite » : ça ne fonctionne pas. Plutôt qu'espérer que les gens ne la piétinent plus, mieux vaut déplacer la pelouse. Car l'usage l'emporte toujours. En effet, il est plus difficile de changer les humains que les choses. Il sera donc plus efficace de modifier l'interface, c'est-à-dire ici de corriger le tracé des allées.

Lignes de désir
Deux approches opposées : une ligne de désir interdite d'accès pour re-végétalisation (Brisbane, Australie) et une autre finalement pavée (Vancouver, Canada).

Mieux encore : concevoir utile dès le début. Savez-vous qu'en moyenne deux tiers des fonctionnalités d'un produit numérique ne sont pas utilisées ? À quoi bon paver de belles allées bien droites si les gens passent à côté ?

Une anecdote raconte qu'une grande université américaine fit appel à un architecte qui estima les trajectoires et affluences en fonction du nombre d'inscriptions aux cours et activités, des plannings, des distances entre les bâtiments, etc. pour en déduire l'emplacement et la largeur idéales des allées. Mais malgré tous ces calculs, les étudiants quittaient les allées et traçaient des lignes disgracieuses dans les pelouses…

Le comportement utilisateur n'est pas prédictible. Il se constate. C'est ce qui fonde le design d'expérience : personne ne pouvant deviner, pas même le meilleur designer, il faut sortir des bureaux et aller sur le terrain observer les comportements.

Vraisemblablement UX designer avant l'heure, l'architecte qui suivit fit dépaver les allées conçues par son prédécesseur pour laisser les étudiants tracer leurs chemins à travers la pelouse, sans contrainte, à travers l'espace redevenu vierge, avant d'y replacer les pavés, sous leurs pas.

C'est ainsi que procèdent les UX designers, dont l'action première n'est pas de concevoir, mais d'observer les usages, pour en déduire l'interface adaptée. L'UX designer ne sait pas : il observe.

C'est ce qu'à (involontairement) fait l'université d'état de l'Ohio (États-Unis) au début du siècle dernier pour son parc central, The Oval, devenu célèbre pour le tracé optimisé de ses allées. Les architectes avaient initialement prévu des allées au tracé géométrique, qui se croisaient en « X » et à angle droit, mais leurs plans ne furent pas exécutés. Fort heureusement somme toute car il advint mieux.

Lignes de désir
Taylor Weese | Ohio From Above / Ohio State University

Cela laissa les étudiants libres de leurs déplacements qui, par leurs allées et venues quotidiennes, tracèrent leurs propres chemins selon leurs besoins. Suivant une logique naturelle, ces « chemins d'indien » sont toujours les plus efficaces. Ils furent par la suite pavés et constituent ce motif aujourd'hui emblématique de l'université, au point de faire partie de son identité de marque.

Lignes de désir
Taylor Weese | Ohio From Above / Ohio State University

Pour bien faire, les designers urbains et paysagistes ne devraient pas dessiner d'allées sur leurs plans et laisser les riverains tracer leur chemin dans l'espace vierge par leurs passages répétés. Ce n'est qu'après quelques semaines, lorsque les lignes de désir apparaissent, que l'on peut paver. C'est ainsi qu'on améliore l'expérience utilisateur.


Pour en savoir plus :


[*] Bien que souvent reproduit, ce mème est aussi très critiquable pour l'inexactitude des termes : sur l'image originale, à la place du mot « design » il faudrait lire « interface » et « parcours utilisateur » au lieu de « user experience », comme corrigé dans la variante ici publiée. Voir : Please stop using these images to compare UI design vs UX design, Debunking Bad Design Memes, Part 1 : “Design vs. UX” infamous pictures, Tension and Release… Bien que critiqué, ce mème a le mérite de mettre en évidence la nécessité d'aller sur le terrain observer les usages réels, fondement de la démarche UX.


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