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Jean Rolin, romanesque

Publié le 01 août 2008 par Lironjeremy
Comme du fait de son propre mouvement, l’auteur pousse des phrases précises et d’une simplicité frappante qui font alors comme une narration ambulatoire aussi fluide et consciencieuse qu’un mouvement de caméra. J’ai aimé à la première lecture les récits de Jean Rolin. Avec Terminal Frigo comme révélation, puis la Clôture et l’Explosion de la durite, puisque je me fournis en livre au hasard des soldes, des occasions Gibert, plus que suivant le calendrier des éditions. A chaque fois j’y ai retrouvé cette apparente aisance dans la narration (son développé et ses emboîtements) et cette sobriété savoureuse, factuelle, qui mêlent l’exactitude journalistique du rapporteur à la fantastique fantaisie (souvent teintée d’humour) du rêveur, de l’aventurier. Comme s’il y avait là dedans à la fois Perec, Williams et Melville. Habile conteur, les digressions de ses intrigues rattachent toujours la route du récit - qu’elles s’attachent un moment à la description d’un bout de quai ou à décortiquer d’inextricables situations politiques - contribuant à donner ce ton de dérive, cette épaisseur particulière, qui font l’efficace du roman d’aventure. A chaque fois j’ai dévoré les pages, souvent étendu dans l’herbe d’un parc, adossé à une marche, avec cette même impression de voyage quand je relevais la tête et que soudain les gens de passage en diagonale des places prenaient une présence singulière.
Pour extraits :
La lune s’est levée, pleine, au milieu des nuages, tandis qu’à l’horizon traînaient encore quelques restes du jour, faisant miroiter les eaux sombres comme dans un tableau pompier évoquant des choses tristes, telle la mort d’une jeune héroïne dont le corps a roulé sous la vague marine. Et il y a dans le mauvais goût pathétique, quand c’est la nature elle-même qui s’en empare, une telle force de persuasion qu’en considérant cette étendue noire et luisante (image de l’infini, peut-être, plutôt que du néant ?), soulevée sous la clarté lunaire d’amples ondulations, l’idée m’est venue, brièvement, que si je me jetais dedans, depuis l’aileron de passerelle bâbord, je connaîtrais une fin vraisemblablement effroyable, déchiqueté par l’hélice ou boulotté par des requins, mais tout de même plus noble, et plus propice à ma gloire posthume, que celle « lente et douloureuse », promise jour après jour aux fumeurs par leurs propres paquets de cigarettes. (p.146)
Les derniers moments de ma vie à bord avaient été marqués par une angoisse très vive de me retrouver bientôt sur la terre ferme, et de renouer avec les difficultés inhérentes à l’acheminement de l’Audi. Lors de l’ultime soirée dans mon salon aux trois sabords, j’avais progressé dans la lecture de Sodome et Gomorrhe, puis je m’étais absorbé dans la contemplation des quelques objets familiers, sans grâce, dont j’allais devoir me défaire, en même temps que des habitudes auxquels ils étaient associés : ainsi du cintre métallique, accroché à une patère, sur lequel je mettais mes t-shirts à sécher, après les avoir lavés à l’aide du Génie en tube acheté à Soulac-sur-Mer, et que le roulis faisait osciller faiblement, cette image évoquant inévitablement, qu’on le veuille ou non, celle d’un pendu. (p.149)
A la lumière du jour, il apparut que le quai auquel était amarré le San Rocco avait été dédié, dans un passé récent, à la manutention des grumes, et c’est pourquoi, défoncé par les roues ou les chenilles de lourds engins, matelassé de lambeaux d’écorce tassés et retassés, de la couleur à peu près du chocolat en poudre, il présentait cet aspect rustique et même forestier. Il s’y voyait encore quelques grumes, éparses sur le terre-plein, et on y remarquait aussi un long camion ayant appartenu à un cirque domicilié dans le Morbihan. Ce cirque promettait des spectacles « à mourir de rire », et il y avait quelque chose de pathétique, sur ce terre-plein congolais où le camion avait échoué, à imaginer comment, pendant des années, des artistes mal payés et généralement dépressifs, tels que je les envisageais, avaient présenté jour après jour le même numéro comique à des spectateurs bretons le plus souvent impassibles, à l’exception peut-être des enfants. (p.152)
Jean Rolin, L’Explosion de la durite. P.O.L

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