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La France, une « grande puissance moyenne »

Publié le 01 août 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Vendredi, 01 Août 2008 14:19

La France, une « grande puissance moyenne »Par Valéry Giscard d'Estaing,de l'Académie française

(Sélection RELATIO-EUROPE sur le blog de VGE et sur le Site du Point.fr)

Il existe un trouble profond dans la société française, un trouble qui dépasse la perception des difficultés quotidiennes. Ce trouble s'exprime par la question, davantage ressentie que formulée : la France a-t-elle encore un avenir ?

 Cette interrogation est relativement récente. Elle tient aux changements intervenus dans le monde, qui paraissent tous à notre désavantage. Auparavant, avec le général de Gaulle, on pensait que la France pourrait retrouver son indépendance et sa dignité, et tenir sa place dans le monde. Puis, avec le président Pompidou et moi-même, on imaginait que la France pouvait se moderniser et devenir le leader de la construction européenne. Mais au fil des décennies suivantes s'est instauré un étrange climat où se mêlaient, notamment, la démagogie financière, le culte de l'oisiveté et le recul de l'ambition européenne de la France. On ne peut pas s'étonner que les Français aient perdu leurs repères.

Le grand modificateur qu'est le temps est passé par là. La tornade démographique du XXe siècle fait que la France ne représente plus aujourd'hui que le centième de la population mondiale, tandis que la Chine et l'Inde ont bondi jusqu'à 20 % chacune. Les Etats-Unis constituent à eux seuls la puissance militaire dominante. Le centre de gravité de l'économie mondiale s'est déplacé vers l'est : le Moyen-Orient et la Russie pour l'énergie, et l'Asie pour les grands marchés émergents. En valeur relative, la position de notre économie s'est affaiblie et elle se montre plus vulnérable aux pulsions venues de l'extérieur.

Alors, quel avenir pour la France ? La réponse traditionnelle du milieu politique est de chercher à tout prix à la maintenir dans le peloton des grandes puissances. Cette attitude est approuvée instinctivement par une grande partie de l'opinion, qui garde la nostalgie de l'époque où la France comptait au nombre des quelques puissances qui conduisaient alors les affaires du monde. Mais cet objectif est irréaliste et coûteux. Il disperse l'emploi de nos moyens dans trop de directions. Il est frustrant dans ses résultats. D'où le désarroi de l'opinion, qui vit dans une sorte de complexe de Coupe du monde de football, gagnée puis perdue.

Faut-il alors conduire une démarche lucide, évaluer exactement ce que notre pays représente et y ajuster nos actions et nos ambitions ? Cela signifierait abandonner l'objectif de continuer à compter parmi les grandes puissances mondiales et cesser d'intervenir dans toutes les situations de crise. Cette révision à la baisse serait sans doute courageuse, et saluée favorablement par la communauté internationale, que nos prétentions irritent, mais elle serait mal vécue par le peuple français, qui y verrait une forme de capitulation et en rendrait responsables les dirigeants qui la lui proposeraient.

Existe-t-il une alternative qui puisse définir l'avenir de la France et mobiliser ses énergies ? Oui ! Celle de devenir une « grande puissance moyenne ». C'est l'objectif que je m'étais fixé durant mon septennat. Il n'est pas neutre et demande des efforts ! Il signifie que la France accepte de se reconnaître telle qu'elle est, en ajoutant à sa dimension objective son extraordinaire capital historique, culturel et philosophique, et qu'elle concentre ses efforts pour devenir une référence du « bien-vivre » du XXIe siècle. En faisant un tel choix, la France prolongerait sa spécificité, je dirai presque sa spécialité historique. A l'exception du premier Empire et de l'ère coloniale, la France n'a jamais eu, à la différence de l'Autriche des Habsbourg et de la Russie de Pierre le Grand et de Catherine II, une obsession d'expansion territoriale. Elle campait sur son pré carré, dont elle arrondissait les contours pour se protéger, et y cultivait ses qualités spécifiques : le grand style au XVIIe siècle, l'effervescence philosophique au XVIIIe siècle et l'épanouissement de la littérature, des arts plastiques et de la musique au XIXe siècle.

Dans un monde secoué par les excès d'une globalisation qui échappe à tout contrôle et sur une planète fragilisée, la France représenterait un espace sécurisant, bien installée dans le groupe des puissances moyennes, qui s'étend du Japon à l'Espagne, et représentant une image de la qualité de la vie, de l'harmonie sociale et de la créativité contemporaine. Bref, une grande et belle puissance moyenne.

Ce passage, cette transition de la dimension vers la qualité ne sera pas facile. Il suppose l'abandon des postures conflictuelles ou claniques qui encombrent notre vie politique, la refonte de notre système éducatif en direction de l'objectivité, de la sérénité et du savoir, la recherche d'un climat de négociation qui mette fin à la fébrilité de nos relations sociales et à la multiplication des conflits. Et aussi une priorité dans la dépense publique accordée à la recherche scientifique, à l'investissement éducatif et à la mise en valeur de notre patrimoine culturel.

Le prolongement de cette option devrait être de s'appuyer sur deux éléments extérieurs : les Nations unies, comme membre du Conseil de sécurité, et la poursuite de l'intégration européenne, en partenariat avec notre grande amie, l'Allemagne fédérale.

On rêve. C'est l'été... La France est au repos. Puisse-t-elle choisir, quand elle aura refait ses forces, de devenir une « grande puissance moyenne » !

Valéry Giscard D'Estaing

Cette « Chronique de la pensée multiple » en pdf)

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