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Robert Owen, père fondateur du mouvement coopératif

Publié le 27 octobre 2021 par Raphael57
Robert Owen, père fondateur du mouvement coopératif

Après mes billets sur les dépenses publiques et le prix de l'électricité, j'ai souhaité prendre un peu de champ comme je l'avais déjà fait en vous présentant la pensée de Cornelius Castoriadis, dont les réflexions jettent une lumière éclatante sur notre société. Aujourd'hui, il sera question de Robert Owen, entrepreneur britannique vu comme le père fondateur du mouvement coopératif et même du socialisme britannique. Lorsque des numéros de pages sont cités, ils font référence à ma traduction personnelle de certains textes rassemblée dans l'excellent recueil de textes de Robert Owen, aux éditions Penguin.

Éléments de biographie

Robert Owen est né le 14 mai 1771 dans le comté de Montgomeryshire au pays de Galles, plus précisément dans une ville appelée Newtown. Il ne fera que peu d'études, mais développera très tôt un véritable esprit d'entrepreneur (au sens que lui donnera Schumpeter), qui le conduira avec plus ou moins de succès à construire des machines à filer le coton et à diriger de très grandes filatures. Le tournant de sa carrière se produisit lorsqu'il épousa Anne Caroline Dale, fille du propriétaire de la filature de New Lanark. Il devint alors directeur général de l'entreprise en 1800 et prit la décision - révolutionnaire pour l'époque - d'y appliquer des principes paternalistes quasiment inconnus dans les autres manufactures.

En 1825, il créa une communauté de vie basée sur ses idées et principes dans ce qui est aujourd'hui l'Indiana (comté de Posey). L'échec de cette utopie (voir ci-dessous) l'affecta beaucoup et il abandonna alors toute participation dans son entreprise la New Lanark, pour s'engager à Londres dans une activité de propagande mêlant socialisme et laïcité. Celle-ci déboucha en 1832 sur l'instauration d'une bourse du travail équitable, sur laquelle les échanges étaient effectués par le moyen de bons de travail semblables à des billets de banque et basés sur le temps de travail (1, 2, 5, 10, 20, 40 et 80 heures). Toujours convaincu néanmoins de l'importance d'un système de production coopératif, il se lança dans diverses créations de guildes/syndicats sectoriels (bâtiment) et même dans une Association of all Classes of all Nations, en 1835. L'on peut donc affirmer que les positions et visions de Robert Owen se sont radicalisées avec le temps.

Toutes ses réflexions sur la société, consignées dans plus de 130 livres et d'innombrables discours, firent ainsi de Robert Owen un précurseur du socialisme, dans la veine plus précisément du "socialisme utopique" (Saint-Simon, Fourier...) tel que l'appelait Karl Marx, même si ce dernier voyait également en Robert Owen un précurseur du "socialisme scientifique".  Vers la fin de sa vie, Robert Owen se tourna même vers une forme de spiritualisme millénariste, affirmant que la société était en passe de connaître une grande révolution morale (Book of the New Moral World, 1844), lui qui avait déjà prédit la fin de la religion dans son Catechism of the Moral World en 1838. Il mourut à l'âge de 84 ans, le 17 novembre 1858 à Newtown, lors d'une ultime allocution.

Une certaine vision de l'Homme et de la société

En sa qualité d'entrepreneur et de directeur d'entreprises, Robert Owen voit les grandes manufactures comme "le principal pilier et support de la grandeur politique et de la prospérité de notre pays".  Néanmoins, il n'a de cesse de répéter dans ses nombreux écrits, qu'il est impératif de tenir compte du bien-être des travailleurs : "si l'attention que vous portez à l'état de vos machines inanimées peut produire des résultats aussi bénéfiques, que peut-on attendre si vous accordez la même attention à vos machines vitales, qui sont bien plus merveilleusement construites ?" (p.5). Il devançait en cela toutes les théories modernes du management, qui portent sur le bien-être au travail et la motivation à l'ouvrage.

Mieux, il comprend parfaitement que les principes tenus pour justes par la société sont en fait imposés par la classe sociale dominante, d'où une aberration : "la seconde est la masse restante de la population, qui est maintenant instruite à croire, ou au moins à reconnaître, que certains principes sont infailliblement vrais, et à agir comme s'ils étaient grossièrement faux ; remplissant ainsi le monde de folie et d'incohérence, et faisant de la société, dans toutes ses ramifications, une scène d'insincérité et de contre-action" (p.10).

Et lorsque rien n'est fait pour améliorer le sort des pauvres, cela aura des répercussions pour toute la société et donc l'économie du pays. En effet, les pauvres "sont maintenant formés pour commettre des crimes, pour lesquels ils sont ensuite punis". Il en conclut que "c'est dans cet état que le monde s'est maintenu jusqu'à présent ; ses maux ont augmenté et augmentent continuellement ; ils réclament à grands cris des mesures correctives efficaces, qui, si nous tardons plus longtemps, entraîneront un désordre général" (p.10).

Il annonce alors son ambition d'améliorer le bien-être d'un pays par la mise en œuvre de principes communautaires que nous détaillerons plus loin : "tout caractère général, du meilleur au pire, du plus ignorant au plus éclairé, peut être donné à toute communauté, même au monde entier, par l'application de moyens appropriés ; ces moyens sont dans une large mesure à la disposition et sous le contrôle de ceux qui ont une influence sur les affaires des hommes" (p.12). Bref, l'on retrouve ici une idée-force de la vision de Owen, à savoir que le caractère de l'Homme est déterminé par l'environnement dans lequel il vit et travaille : "la volonté de l'homme n'a aucun pouvoir sur ses opinions ; Il doit, et il a toujours fait, et il croira toujours ce qui a été, est, ou peut être influencé sur son esprit par ses prédécesseurs et les circonstances qui l'entourent" (p.52).

C'est donc cet environnement qu'il faut modifier pour améliorer la société, en s'appuyant sur la raison et l'éducation. Sur ce dernier point, en particulier, il précise : "Ces plans doivent être conçus pour former les enfants, dès leur plus jeune âge, aux bonnes habitudes de toutes sortes (ce qui les empêchera bien sûr d'acquérir celles du mensonge et de la tromperie.) Ils doivent ensuite être éduqués rationnellement, et leur travail doit être utilement dirigé. Ces habitudes et cette éducation leur donneront un désir actif et ardent de promouvoir le bonheur de chaque individu, et cela sans l'ombre d'une exception pour la secte, le parti, le pays ou le climat. Elles assureront aussi, avec le moins d'exceptions possible, la santé, la force et la vigueur du corps, car le bonheur de l'homme ne peut s'ériger que sur les bases de la santé du corps et de la paix de l'esprit." (p.16).

Il prend également position de manière plus en plus radicale sur la question du travail des enfants, considérant dans un premier temps qu'il "vaudrait beaucoup mieux pour les enfants, pour leurs parents et pour la société que les premiers ne commencent à travailler qu'à l'âge de douze ans, lorsque leur éducation serait terminée et que leur corps serait plus apte à supporter les fatigues et les efforts qu'on leur demande" (p.30). Il est vrai qu'il avait très bien compris combien les initiatives d'école après 11 heures de travail à la filature ne pouvaient qu'être vouées à l'échec. Dans sa vision de l'éducation, la pédagogie devait s'éloigner de celle de l'instruction publique nationale, tenir compte de l'âge des enfants et les éloigner des livres, comme en témoigne l'école qu'il avait ouverte dans son entreprise à New Lanark après avoir constaté l'échec de celle bâtie par son beau-père. Plus tard, dans son utopie de la société, il souhaitera que chaque couple dispose d'un appartement privé et élève ses enfants jusqu'à l'âge de trois ans environ, puis que la communauté prenne le relais...

En tout état de cause, il faisait grand cas des problèmes de violence, d’alcoolisme, de grossesses non désirées et autres périls qui ravageaient le peuple. Il s'inquiétait même du temps de repos de ses ouvriers, prônant 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil, répartition qui n'est pas sans rappeler les revendications des mouvements ouvriers.

L'expérience de New Harmony

Mais ses réflexions ne s'arrêtent pas à la porte de son entreprise. Bien au contraire, la misère économique et sociale qui déferla sur l'Europe après les guerres napoléoniennes l'incita à imaginer une nouvelle organisation de la société humaine (A new view of society). Dans Address to the Working Class (1819), il explicite que la société qu'il appelle de ses vœux prendrait la forme de villages où l'agriculture serait privilégiée sur l'industrie ("civilisation de la bêche"), autonomes et fondés sur des principes communautaires ("villages de coopération") comme la mise en commun de la propriété. Le producteur devra y recevoir une part équitable de la richesse qu'il a contribué à créer, le travail humain étant "le critère naturel de la valeur". Bref, "une science de la société", que certains appelleront plus tard socialisme...

Pour mettre en œuvre concrètement sa vision alternative de la société, il fit l'acquisition, en 1824, de 20 000 arpents (vergers, vignobles, terres arables...) et d'une petite colonie de peuplement dans l'Indiana, composée de nombreuses infrastructures (moulins, usine textile, tannerie...), qui deviendra la communauté autonome de New Harmony. Régis par une Charte de la communauté égalitaire de New Harmony, tous les membres devaient être vus comme appartenant à une même famille - ce qui fait référence à la communauté telle que définie sociologiquement par Tönnies -, qui vivraient sur un pied d'égalité en matière de nourriture, d'éducation, de logement, etc. Owen imaginait une ville où les bâtiments seraient organisés en forme de parallélogramme, comme le montre le plan dessiné par l'architecte Thomas Stedman Whitwell :

Robert Owen, père fondateur du mouvement coopératif

[ Source : Wikipédia ]

Une exposition à la BNF sur les utopies présentait un document rare de 1826-1828, un numéro de The Co-operative Magazine and Monthly Herald (dirigé par Owen lui-même) dans lequel il était question de New Harmony. On y apprend notamment que les quatre côtés du parallélogramme devaient être occupés par des maisons avec des écoles et des "salles de conversation" aux angles. Hélas, l'édifice tel que dessiné par l’architecte ne fut jamais bâti et les quelque 800 à 900 personnes qui participèrent à la communauté de New Harmony (de nos jours l'on dirait l'expérience de New Harmony) virent l'utopie s'effondrer en 1828, en raison d'une population trop hétérogène (utopistes, aventuriers, vagabonds...), d'une trop grande désorganisation, de contestations (présence de surintendants dans une communauté égalitaire...) et d'une mauvaise gestion.

Au-delà de cet échec, les idées promues par Owen eurent une postérité. En effet,  d'anciens membres de New Harmony et même des associations d'ouvriers ou commerçants intéressées par sa vision du monde créèrent de telles communautés au Royaume-Uni, même si parfois leurs statuts furent bien éloignés de la Charte de New Harmony... Mais surtout, les idées d'Owen sur l'éducation connurent un certain écho aux États-Unis, pays où le rêve américain s'harmonisait fort bien avec la foi dans l'éducation pour soigner les maux de la société !

P.S. L'image de ce billet est la couverture d'un excellent recueil de textes de Robert Owen, aux éditions Penguin.


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