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Allo? Win!

Publié le 03 novembre 2021 par Alexcessif

Le nord

Résumé: je revenais de Belgique ...

... Ils sont entrés, ont dit bonjour, fait quelques pas hésitants dans la salle de restaurant presque déserte puis sont ressortis sans hésiter sur un "à bientôt" sans avenir.

Sur les trajets retour je laisse toujours une petite place pour le hasard. Dans ce vagabondage je suis une gigantesque antenne sensorielle. J’avais donc éteint mon téléphone coupant le sifflet à la fonction Waze avec pour résultat d’ignorer où j'étais. D’après une borne floue aperçue furtivement entre crachin et brouillard, j’aurais quitté la Belgique depuis 30 secondes, errant depuis Mons, Jemmapes et Frameries. Trop tôt, trop vite ! Tous les nomades le savent, on ne quitte pas un pays, une ville, un quartier, un lit, une femme sans un petit pincement au cœur. Il y a de ces instants où le mouvement est un outrage, le départ, violence, l’agitation, dérision. J’entends un murmure "reste encore un peu !"de l’amour d'après.

Le ciel est bas comme dans une chanson de Brel et, très vulgairement, j’ai la dalle. Rase campagne d'un plat pays qui n'est pas le mien, temps nordiste, maisons rares de briquettes rouges pour les murs et blanches pour les linteaux et les tableaux des ouvertures. Je trouve du charme à cette architecture quand le temps se fige malgré les rues vides dans des villages déserts aux commerces fermés. Parfois la croix verte d’une pharmacie clignote et seuls quelques garages donnent des preuves de vie d’une population malade et de voitures en panne mais qui ne bouffe pas car les multiples sandwicheries sont fermées ainsi que les bars et les commerces de bouche. Tant pis pour le champ de bataille que je cherche autant dans ma mémoire que sur le terrain.

Allo? Win!

C’est la tête pleine de préjugés sur le Chnord que je gare la bagnole sur le parking du seul resto que j’ai identifié malgré l’absence de signalétique.

Je comprends la fuite des deux dégonflés.

Moi, j’ai pensé très fort à Enrico Macias. "Les gens du nord ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors".

Lorsque je suis entré j’ai entrevu, avant que mon regard ne se dérobe, le troisième Bogdanov couturé de partout. Je pense à Halloween en avance, à Shrek et à la créature du docteur Frankenstein pourtant il est bien réel et je ne saurais le décrire sans l’outrance des mots de l’hyperbole. Il est moche mais pas que. Il semble avoir subi un accident ou pris une branlée. Sa négligence ajoute au paranormal. Il est "vêtu" d’un genre de pyjama/robe de chambre de fraicheur, de couleur(s) et de matière indéfini. Le genre de physique qui (me) met mal à l’aise. Je dois adopter la poker face du gars qui attend un as de pique quand il lui rentre un sept de trèfle : impassible ! La moindre émotion trahirait une curiosité malsaine (et dangereuse au vu de l’empreinte carbone du gonze). Le gars sait que sa mère a accouché d’un second Eléphant man mais il attend d’être considéré comme un être humain. 

Il est affublé à sa gauche d’une énorme jeune fille blonde inapte à la station debout ou bien les lois de la pesanteur sont obsolètes dans cette partie de l’univers, d’un mec fringué en mécano qui picole au comptoir et d’une dame à la cinquantaine propre et coquette. Vu l’heure et ses fringues c’est probablement le maître des lieux. La preuve : la dame a attendu son grognement pour se lever et m’accueillir.

La salle de resto est propre, vide, agencée gentiment avec une belle symétrie de tables autour de la cheminée éteinte ornée sur le manteau d’une déco principalement constituée de pots de lait peints à la manière de l’art naïf du douanier Rousseau.

Voilà !

La politesse, la faim ou la curiosité étaient supérieures à la défiance. Après tout l'endroit ne me semblait pas plus hostile que certains bivouacs en forêts.

Je suis le "presque" sans qui la salle serait déserte. Je n’ai pas osé dire que j’étais herbivore pour ne pas déranger puisque la carte ne prévoyait pas ce genre de fantaisie et j’ai dans l’assiette un truc sans doute d’origine humaine sous un terril de frite. On dirait le bras d’un nourrisson sous la mère dodu à point. De mémoire cela m’a rappelé le goût de l’andouillette.

C’est là qu’ " Ils sont entrés, ont dit bonjour, fais quelques pas hésitants dans la salle de restaurant presque déserte puis sont ressortis sans hésiter sur un "à bientôt" sans avenir. "

Pourquoi pas le " on s'appelle!" ?

L’air du dedans est devenu plus dense que celui du dehors. Côté bar "on" a senti que le réchauffement climatique faisait une pause.

Le patron a quitté la pièce en maugréant, l’énorme jeune fille blonde inapte à la station debout a posté l’incident diplomatique sur Insta, le mec fringué en mécano qui picolait au comptoir a cassé son bock, la dame à la cinquantaine propre et coquette a refermé la porte muette, honteuse et rougissante.

C’est le vernis de ce "à bientôt" aussi improbable que conventionnel qui m’a gêné. Je ne sais pas faire ! J’ai bien quelques filtres mais je déteste cette politesse sociale assénée avec un sourire hypocrite. On le sait que tu ne reviendras pas gros, ce n’est pas ton monde ici. Ton "à bientôt" pue, mec ! T’en as rien à foutre de vexer, d’humilier, il te faut fuir sans autre explication en dissimulant ton mépris de faux derche. On l’a bien senti ta morgue supérieure du mec qui ne se mélange pas.

Du coup j’ai discuté avec la taulière en prenant un café de prolongation. Je sais qui et où je suis.

Qui ? Pas meilleur.

Où ? A Taisnières-sur-Hon ! En 1709 à la bataille de Malplaquet les français et les espagnols se sont frités dans le champ d’à coté avec un score de 1/0 pour les locaux. L’énorme jeune fille blonde inapte à la station debout avait une jolie voix, le mec fringué en mécano qui picolait au comptoir a accepté ma tournée. J’ai fait un loto flash, vidé ma bière, payé ma note en promettant à la dame à la cinquantaine propre et coquette de revenir si je devenais milliardaire.

Aussi improbable que le "à bientôt" de l’autre !

MeZaventures parisiennes et d'ailleurs- Taisnières/Hon- Octobre 2021 


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